Double jeu

par C’est Nabum
samedi 12 octobre 2024

Le tout à l'ego.

« Je » ne cesse de se jouer de moi, de mener double jeu à l'insu de mon plein gré. Chaque fois qu'il s'invite à mon écritoire, il brouille les cartes, pipe les dés et sème le trouble dans le miroir de mes vanités. Il est forcément mauvais joueur, ne cherchant nullement à respecter les règles qu'il impose aux autres. Il s'émancipe de toute contrainte, laissant la part belle à sa glorification.

« Je » ne connaît aucun émoi. C'est là sa plus singulière manifestation. Il se croit au-dessus de la mêlée, se donne le premier rôle et aurait tendance à n'en attribuer aucun autre dans sa distribution. Il ne joue pas en équipe préférant l'expression purement individuelle de son indépendance forcenée. Il tire toutes les couvertures à lui ce qui ne m'étonne guère, tant il se montre frileux à reconnaître les autres.

« Je » a tendance à jouer perso. Ne comptez pas sur lui pour qu'il renvoie la balle ou bien l'ascenseur. Il préfère se gargariser de lui-même, se congratuler et se mirer dans la glace sans jamais demander son avis au miroir. Le risque serait trop grand que celui-ci sème malicieusement une pomme de discorde. En dehors de lui, « Je » n'envisage personne qui puisse, simplement lui servir de faire-valoir.

« Je » se fait des nœuds dans la tête que jamais il ne dénoue. La chose pour singulière qu'il vous paraisse renseigne parfaitement sur sa singularité. Il ne noue aucune relation durable et sincère avec un autre. Il accepte volontiers de n'être pas seul pourvu que ce fut avec un autre lui-même. C'est ainsi qu'avec son avatar, il entretient de fort bonnes relations.

« Je » mène double jeu. Agent double et plus sûrement trouble, il brouille les pistes, embrouille les messages, dilue les indices et falsifie le réel. Nul autre que lui-même ne parviendra à discerner le vrai du faux dans cette autobiographie qu'il s'évertue à construire au fil de ses interventions. Faussaire, il n'est pas besoin pour lui de signer ses écrits, sa patte étant reconnaissable entre toutes.

« Je » pérore, ratiocine, déblatère et profère sornettes, coquecigrues et billevesées avec une logorrhée qui confine à la névrose. Il en fait des tonnes, remplit des pages de son verbiage incessant pour n'explorer que le seul sujet qui mérite son attention : « lui ». « Je » et « lui » du reste s'imaginent ne faire plus qu'un, ce qui n'est pas de l'avis de l'autre…

« Lui » se défend d'être ce « Je » hautain et méprisant qu'on aime à décrire dès qu'il a le dos tourné. Ce n'est pas une raison pour lui de tourner la page et de biffer d'un trait de plume toutes les allégations mensongères que son double se plaît à semer à son propos. À vouloir toujours noircir le trait, « Je » se donne un rôle de décomposition au travers de ses incessantes compositions tandis que « lui » a beau clamer sa bonne foi, plus personne ne le croit.

« Je » n'est pas un autre ni même un quelconque quidam. Ce n'est qu'une vue d'un esprit maladif, une création diabolique qui finit par dévorer son créateur. C'est le revers de celui qui a perdu son avers dans les circonlocutions de sa créature. « Je » a gagné la partie au point d'avoir bouté de l'échiquier le maître du jeu. Il est trop tard pour inverser les rôles, reprendre la main et éviter de s'effacer devant lui.

« Je » a tombé le masque tout en s'attribuant le seul rôle qui vaille tandis que « lui » a dû quitter la scène, lui laissant tout loisir de tenir son rôle à sa place. Le véritable « Je » s'est fait la malle, rien ne va plus et les jeux de mots sont faits dans une totale perte de sens. Il n'est pas plus tricheur plus redouble falsificateur. Le plus sage est de ne jamais accorder foi à ses dires. Ses écrits sont aussi vains que dérisoires, je vous aurai averti !


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