Angoisse : dans un an, “Mai 2008”...
par François-Xavier Ajavon
mardi 24 juillet 2007
Préparons-nous dès aujourd’hui à subir l’atroce « fête » que donnera notre société hyper festive, dans un an, à l’occasion de l’anniversaire de « Mai-68 »... Allez, on prend son souffle, on fait entrer de l’air dans ses poumons... La société hyper festive aura raison de nous...
Qu’on se le dise dans les chaumières : le mois de
mai 2008 sera peut-être un peu difficile à supporter. En effet, nous fêterons
alors - dans une liesse médiatique qu’il faut craindre - les quarante ans des événements
anarcho-festifs de 1968.
D’abord les médias donneront à cet anniversaire un écho démesuré. Le Figaro
titrera peut-être : « Génération 68 : pour un droit d’inventaire. » Si Libé
est toujours en kiosque (espérons-le !), il nous gratifiera de la photo géante
d’une jolie militante trotsko, aux allures baba, avec le titre « 68,
année érotique ». L’Huma osera certainement quelque chose dans le genre
« 68-08 : la lutte continue ». Plus prudente La Tribune titrera
sobrement : « Sarkozy revient de Chine avec une commande ferme pour 300 Airbus.
»
Les médias audiovisuels en feront des tonnes et des tonnes : on sera saturé de
ces délicieuses images d’actualité en noir et blanc, siglées INA. On rendra le
culte aux idoles en invitant sur les plateaux de télé les anciens combattants
de cette drôle de guerre... Oh ! ce seront des moments de télévision émouvants,
efficaces, et d’un pouvoir de nostalgie évident. Ils diront que leur "avant"
était meilleur que notre "aujourd’hui", qu’on aurait dû les écouter et changer le
monde, que leur génération avait tout compris à la vie et que Mitterrand a
brisé les illusions de la gauche. Alors on les écoutera béatement, en se disant
que nos parents, et grands-parents, sont en train de tristement entrer dans
l’Histoire.
Daniel Cohn-Bendit, toujours aussi frais et séducteur, en veste de velours
côtelée verte, dira dans l’émission spéciale que France 2 consacrera à
la question, que ça avait été pour lui une bonne blague, et même peut-être que
« Mai » avait été la période de sa vie où il avait le plus baisé, des
commentaires dans ce genre, mêlées d’attaques politiciennes perfides contre le
président Sarkozy. Il dira des phrases comme « M. Drucker, mais comment
voulez-vous que nos petits Français aient, de nos jours, le sens du rêve et de
l’utopie ? Comment voulez-vous que les jeunes se passionnent pour la politique
? Pour eux, c’est quoi la politique ? Un petit bonhomme qui prend un Airbus
pour aller en Chine, et en vendre trois cents autres... (rires dans la salle
et sourire complice de Michel Drucker). Alors que ma génération avait le
sens des illusions... »
Si tout se passe bien, la réalisatrice Josée Dayan tournera un téléfilm en
trois parties pour France 3, sur les événements de mai vus à travers le prisme
de plusieurs milieux sociaux. Elle appellera ça « 68 et des poussières », par
exemple. Ce sera : « Mai » au lycée Louis Le Grand, « Mai » à l’usine Renault
de Boulogne-Billancourt avec Sartre (joué par Lorant Deutsch) sur un tonneau,
et « Mai » côté gaullien, avec Philippe Torreton en talonnettes dans le rôle du
Général de Gaulle. Ce sera pro. Un peu chiant, un peu vulgaire, mais pro. Il y
aura de l’action, des scènes filmées « caméra à l’épaule » de manifs,
soulignant la « brutalité policière » (qui n’a pourtant tué personne...), et puis
certainement une histoire d’amour transversale et émouvante entre un ouvrier
maghrébin en lutte syndicale dans son usine et une petite minette en pull-over
cachemire de chez Louis-Le-Grand. Péripétie sentimentale qui facilitera de
beaucoup la narration de ce film. Il obtiendra quatre « T » dans Télérama, avec
l’approbation « Chrétien media », et ce commentaire élogieux mais banal : «
Josée Dayan nous fait toucher du doigt la grande Histoire, à travers la petite.
Toute la beauté lyrique de Mai est rendue avec vigueur et retenue. »
On fera des grandes fêtes populaires dans les rues pour commémorer
l’anniversaire des émeutes de Mai. On organisera des débats, des concerts, des
cafés philo, des soirées à thèmes dans des clubs branchés, des bals costumés,
des partouzes... Ce sera une année faste pour le monde de l’édition. Tout le
monde sortira son bouquin sur Mai-68 : historiens, essayistes, journalistes. Et
ils passeront dans des émissions littéraires divertissantes, pour faire leur
promotion, et dire en substance que c’était chouette Mai-68, qu’on avait bien
rigolé, et qu’on avait fait une vraie petite révolution. Comme des grands.
Comme la Russie et la Chine. Évidemment, quelques trublions tenteront de
troubler la fête, mais on les traitera partout de fascistes, de révisionnistes,
et d’adorateurs de Satan. Par exemple Dantec pondra un petit pamphlet sur la
question. Houellebecq aussi commettra un petit bouquin de ce genre. P-A
Taguieff écrira une somme, lourdement documentée, de 600 pages, dans laquelle
il démontera avec intelligence et perspicacité les mécanismes idéologiques des
groupuscules d’extrême gauche qui ont animé le mouvement de « Mai », et qui ont
progressivement viré à l’antisémitisme dans la fascination politico-religieuse
du tiers-monde.
La Ville de Paris, dont la « mairesse » sera alors la très charmante Clémentine
Autain, rendra des hommages nombreux et tapageurs à l’esprit de « Mai-68 ».
L’avenue Montaigne sera rebaptisée « avenue Pierre-Bourdieu », la place de la
Nation deviendra « place de la Révolution-de-Mai », la voie rapide
Georges-Pompidou deviendra un « espace civilisé » Manu-Chao, et la prison de la
Santé deviendra « centre semi-ouvert de rééducation à la citoyenneté
Michel-Foucault ». Pour l’occasion on repeindra durablement la tour Eiffel en
rose, et on l’appellera Tour « Mon-Plaisir ».
Tout cela arrivera, d’une manière ou d’une autre.
Souvenons-nous de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française
en 1989... La gauche de l’époque se voyait héritière des sans-culottes de 1789 et
des communards. La dialectique politique sera certainement comparable en mai
2008 : les grands partis de gauche essaieront de nous faire croire que toutes
les révolutions se valent, du moment qu’on les « commémore ». Une question me
taraude cependant, et je suis plein d’angoisse : quand va-t-on enfin cesser de
faire de la politique sur le dos de l’Histoire ? Devons-nous craindre mai 2008
?
Pour certains Français, le printemps 2008 sera une belle saison pour mourir...