À mots couverts

par C’est Nabum
vendredi 6 septembre 2024

 

En termes voilés.

 

Parfois il convient de mettre son mouchoir sur une vérité qui ne peut ni s'entendre ni se comprendre. C'est d'ailleurs souvent le cas lors de divergences qui finissent par exploser en plein vol. Les dégâts collatéraux – selon l'expression en vogue – seraient tels qu'il est préférable de mettre de l'eau sans son vinaigre pour ne pas aggraver les choses.

Couvrir les mots s’impose alors, mettre la vérité sous le boisseau, se voiler la face pour étouffer ses ressentiments, mettre en sourdine son courroux et avaler des couleuvres pour faire bonne figure. Les manières sont variées et le résultat toujours le même : le silence s'il n'est guère possible laisse place à une série de petits cailloux laissés sur le chemin afin que ceux qui ont besoin de comprendre soient discrètement mis au parfum.

Les mots couverts ne poussent pas en serre, ils se contentent de cultiver la différence qui s'est manifestée sous la forme d'une divergence qui fleure bon l’irréconciliable. Comme vous pouvez le constater le flou demeure artistique et la langue se camoufle pour mieux éviter de cracher son venin. C'est une forme de courtoisie qui suit la tempête, une élégance de la pensée dans le champ dévasté de l'amitié.

Couvrons donc les mots d'un voile pudique même si la pudeur semble dans pareille circonstance une notion qui ne permettra jamais à la vérité de sortir toute nue du puits sans fond des ressentiments. La langue se joue avec délectation des possibles pour tourner autour du pot ou bien de la margelle dans le cas présent.

Quant aux termes qui se voilent d'un brouillard sémantique pour évoquer sans expliquer, décrire vaguement en se contentant d'esquisser un contexte qui demeurera flou et incompréhensible pour le commun des lecteurs, ils démontrent la richesse d'une langue qui aime les circonlocutions et autres périphrases qui permettent de noyer aussi bien le poisson que le poison.

La langue de bois n'est donc pas le seul apanage des politiciens et je fais ici assaut de propos abscons pour libérer ma colère, évacuer mon désappointement sans rien trahir de la toile de fond qui sous-tend ce billet obscur. Je saisis même cette occasion fort regrettable pour souffler le chaud et le froid sans déclencher le vent de la fronde ou de la riposte.

La chose prend alors des allures d'exercice de style et d'une grande peine il convient de faire naître une forme de jubilation à rédiger un message subliminal aussi vain que d'une totale vacuité. C'est la meilleure manière de crever l’abcès sans ajouter les plaies purulentes de la réaction en chaîne, celle qui fait tourner le moulin à paroles amères pour que remonte le seau (sot) du puits.

À bout d'idées, je dois laisser ce billet inachevé comme restera à jamais inachevée une aventure qui prend fin dans le silence d'une fin de non-recevoir. Curieuse formule du reste puisqu'à défaut de recevoir, elle s'évertue à décevoir dans un au revoir qui prend des allures d'adieu. Les mots permettent ainsi d'éluder, de gommer, d'effacer ce qui ne peut s'exprimer clairement faute de pouvoir parfaitement définir les causes profondes.

C'est ainsi que n'ayant rien écrit de clairement compréhensible pour le béotien, je n'en suis pas moins satisfait d'avoir vidé un sac qui se satisfait de grimer ses griefs en formules creuses et indéchiffrables. Veuillez me pardonner de vous avoir pris ici en otage par une logorrhée de mauvais aloi et acceptez mes remerciements de m'avoir ainsi permis de partager avec vous un lourd fardeau dont vous ignorerez toujours la nature.

Les mots qui se couvrent évitent les précipitations. C'est sans doute une belle manière d'ouvrir le parapluie pour échapper aux gouttes.

Tableaux de Jean-Humbert Savoldelli


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