L’inutile austérité provoquée par l’euro et l’UE
par Laurent Herblay
samedi 19 octobre 2024
La panique budgétaire apparue en début d’année a gonflé jusqu’à la présentation d’un sévère budget d’austérité par Michel Barnier la semaine dernière. Si, derrière quelques grosses ficelles de communication, se cachent le plus souvent les vieilles recettes Sarkozy et Hollande, il convient de se poser la question des raisons de ce dérapage budgétaire, dont beaucoup ont à voir avec l’UE et l’euro.
Une faillite du bloc central et du projet européen
Bien sûr, en premier lieu, il faut incriminer les responsabilités de la macronie, aux affaires, seule, pendant 7 ans, sachant que le résident de l’Élysée avait eu une forte influence sur les 5 années précédentes, comme conseiller économique de François Hollande, puis comme ministre de l’économie. Bref, ce fiasco budgétaire est doublement celui de Macron. Il l’est d’abord par l’incapacité à prévoir la trajectoire budgétaire du pays, même par temps calme. Après le dérapage du budget 2023, révélé début 2024, le grand écart devient abyssal pour le déficit du budget 2024, annoncé à 4,4% du PIB il y a un an, et qui semble très sensiblement supérieur à 6% aujourd’hui… Pourtant, nous ne traversons pas une crise externe imprévue. Que les prévisions pour 2009 n’aient pas été tenues, soit, mais pour 2024, cela en dit long sur l’amateurisme et l’incompétence de celui qui a pourtant régné à Bercy pendant 7 longues années.
Mais outre une incapacité à seulement gérer notre budget, qui qui impose de savoir analyser et prévoir, c’est une faillite plus profonde que révèle ce fiasco budgétaire : la voie prise depuis des années est une impasse. Bien sûr, les oligarchistes retournent la crise actuelle en affirmant que ce serait parce que ceux qui sont au pouvoir ne seraient pas allés assez loin dans les « réformes » que notre pays irait mal. Cette inversion accusatoire, qui les fait dépeindre Macron et compagnie comme trop indulgents (! !!) avec notre modèle social et la fonction publique, aussi répandue soit-elle, est fausse. Cela fait depuis la commission Attali que ceux qui nous dirigent déconstruisent notre modèle social et le pressure. S’il n’est pas malhabile rhétoriquement, cet argument ne prend pas quand on considère le manque de professeurs ou de soignants, et leurs salaires dérisoires, tout comme les coupes dans les retraites et les allocations.
L’austérité est là depuis longtemps, quasiment en continu depuis 2010, à l’exception de la période Covid. Et on pourrait revenir plus loin en convoquant le tournant de 1983, l’austérité délirante du début des années 1990 pour maintenir la parité franc-mark stable, ou celle de 1995. Voilà pourquoi il faut revenir à la racine des raisons de ce dérapage budgétaire. Seulement incriminer l’inconséquence budgétaire des sortants est insuffisant, car une grande partie de nos services publics souffrent d’un grave manque de moyens depuis trop longtemps, sans qu’un effort particulier ait été fait dans les dernières années (à l’exception de la défense peut-être). On peut aussi insister sur la folie qui a consisté à continuer à émettre des bons du Trésor indexés sur l’inflation, qui ont généré des surcoûts monstrueux du service de la dette depuis trois ans. Et cela nous amène aux responsabilités de l’UE et de l’euro dans la situation actuelle.
Le choc inflationniste est une des raisons du dérapage actuel, sous la forme d’une très forte augmentation des coûts de l’électricité pour tous les services publics, même s’ils ont bénéficié du coûteux bouclier tarifaire. Et ce choc inflationniste est un choc complètement artificiel pour un pays comme le nôtre dont environ 90% de l’électricité vient du nucléaire ou est d’origine renouvellable. C’est parce qu’il y a un « marché » unique de l’électricité et un prix unique, que nos dirigeants ont accepté, que le prix de l’électricité est fixé sur le prix marginal de production des centrales à gaz, et non en fonction des coûts de production de chaque pays, que les prix ont tellement monté en France. Sans « marché » et prix unique de l’électricité, pas de choc inflationniste, pas de bouclier tarifaire, une meilleure croissance et une plus grande attractivité de notre pays pour produire, au détriment de notre voisin allemand notamment.
Et peu ou pas de choc inflationniste, ce sont des taux beaucoup plus bas, et donc un service de la dette qui ne progresse que lentement. Bref, le pseudo-marché européen de l’électricité, accepté et conçu par ceux qui nous dirigent depuis trop longtemps, a une grande part de responsabilité dans la crise actuelle. En outre, cela a poussé la BCE à monter les taux, ce qui augmente le budget des intérêts de la dette (alors que les banques centrales européennes ont cessé de racheter la dette de leur pays). Hors du pseudo-marché européen de l’électricité et hors de l’euro, chaque pays aurait pu mener une politique monétaire adaptée à sa situation. Hors « marché » unique européen de l’électricité, et hors de la monnaie unique, la France aurait été un ilôt de stabilité, avec moins d’inflation, des taux plus bas, nous épargnant l’envolée du coût des intérêts d’emprunt directement issue des choix européens et un budget plus serein.
Structurellement encore, l’appartenance à l’UE et à l’euro, ce sont aussi des frontières grandes ouvertes, aux produits venus de toute l’UE (et pas que), dont certains ont des prix de production souvent structurellement bien plus faibles que nous. Ceci provoque un déficit commercial structurel extrêmement fort, qui creuse directement notre déficit budgétaire. Tous les produits qui viennent de l’étranger contribuent bien moins à notre budget. Et l’accentuation du déficit commercial pèse doublement sur notre budget car s’y ajoutent toutes les sommes folles consacrées depuis plus de 10 ans à améliorer notre compétitivité : plus de 100 milliards d’euros par an de mesures qui ont été décidées à cette fin, dont le fiasco se lit autant dans le déficit commercial, qui reste à un niveau très élevé, que dans le déficit budgétaire.
Pour finir, l’appartenance à l’UE et à l’euro, c’est aussi la plongée de notre pays dans le paradis des parasites fiscaux. Tous les capitaux, produits et services circulent sans contraintes, ou presque, dans un espace comportant des parasites qui font un dumping fiscal monstrueux par les manipulations comptables permises par le cadre de l’UE. C’est ainsi que l’Irlande, 2% de la population de l’UE, 3% du PIB, capte à elle seule 100 milliards des 175 milliards de profits des multinationales étatsuniennes en Europe… Et avec des profits en hausse dans la valeur ajoutée, et dont une part grandissante échappe en grande partie à un pays comme le nôtre, cela créé un double appauvrissement... La désertion fiscale totale est estimée aujourd’hui entre 60 et 100 milliards d’euros par an, plus que le dérapage du budget.
En clair, ce ne sont pas des dépenses inconsidérées pour la population ou nos services publilcs qui expliquent la crise actuelle, mais deux raisons bien différentes. D’abord, les mesures de la politique de l’offre, environ 100 milliards par an, sans aucun effet sur notre commerce. Et plus encore, toutes les caractéristiques délétères de cette Union Européenne qui nous appauvrit de multiples manières.