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par C’est Nabum
jeudi 15 août 2024

 

Les mots s'envolent eux aussi

 

Si l'épistolier fait sa mauvaise tête et qu'il se prend les pieds dans la formule de politesse finale, qu'adviendra-t-il dans le futur d'une correspondance qui du reste ne passe plus par la poste ? À la lecture de cette question, beaucoup vont penser que je suis timbré et qu'il ne convient plus d'accorder foi à mes écrits qui manquent de cachet.

Il y eut dans le passé, d'autres flammes pour rester sur les dents et satisfaire les philatélistes en quête d'exotisme. Le facteur sonnait toujours plusieurs fois et prenait le temps de discuter le bout de gras lors de sa tournée des calendriers. Il convenait de prendre au pied de la lettre toutes les nouvelles importantes de l'existence tandis que le temps jouait son œuvre pour les glisser dans la boîte aux lettres ou bien sur la porte.

La lettre se meure et avec elle ce doux parfum de confession pudique, de récit chamarré, de déclaration enflammée, de désastres étouffés … On a coupé l'herbe sous le pied de la lettre, l'écran remplace le délicat papier blanc ou le maladroit papier rayé. L'écriture n'a plus rien à vous dire de celui qui ne tient plus la plume mais pianote maladroitement sur un clavier étroit. Les corbeaux n'ont plus rien à craindre s'ils sont capables de dissimuler leur adresse IP.

L'immédiat s'impose à chaque instant sans prendre le temps de la digestion, de la réflexion et de la rédaction pour transmettre à son prochain un message qui lui aussi perd toute contenance. Le superficiel est de mise quand le propos lui-même en perd sa syntaxe et les mots leur écriture. Le message se transforme en un illusoire slogan, une dérisoire saillie, une pitoyable traînée de graphèmes épars.

La forme s'est dissoute dans la célérité de la transmission qui elle-même se dilue dans la spontanéité d'une rédaction qui n'est plus que réflexe déconditionné, décontextualisé, désorganisé. La pensée ne trouve plus sa place dans la transmission de ce qui était jadis une information, une émotion, une action pour devenir un fragment de l'instant.

Les mots du reste ont pris la poudre d'escampette en subissant une cure d'amaigrissement avant que de tirer leur révérence au profit d'images, de photographies ou d'émoticônes. Curieusement moins les gens ont de choses sérieuses à dire véritablement plus ils communiquent en délayant les fragments insignifiants d'une existence vouée à la futilité.

Que restera-t-il de cette multitude de messages inutiles, dérisoires et impensés ? Les datas s'encombrent des détritus de nos cervelles entièrement vouées désormais à la vacuité. Les archéologues du futur si celui-ci demeure envisageable se prendront la tête à deux mains devant ce vide sidéral qui s'ouvrira sous leurs yeux. Quant à ceux qui se chargeront de décrypter les messages oraux, ils seront également surpris par l'appauvrissement de la langue, la réduction du lexique, la disparition de la grammaire et la minceur du propos.

Fort heureusement, un changement d'ère se profile à l'horizon. Une sorte de révolution culturelle qui redonnera ses lettres de noblesse, un temps très bref sans doute à la langue et aux messages écrits. L'intelligence artificielle prenant le pouvoir, durant une courte période, ses productions iront puiser dans cet héritage du passé.

Puis au fil du temps, les robots devront se mettre au niveau de leurs contemporains et donneurs d'ordre pour enfin se faire comprendre d'eux, à moins qu'effarés par le niveau de ceux-ci, ils ne se décident tous, à prendre la main, à conserver la tête et à leur donner un bon coup de pied au séant. C'est ainsi que longtemps après l'abandon des lettres d'imprimerie, les ordinateurs mettront du plomb dans la tête aux décervelés en guise de bouteille à l'encre dans ce désespérant marasme cognitif.


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