Où en est la campagne présidentielle de Kamala Harris ?
par Sylvain Rakotoarison
samedi 19 octobre 2024
« Kamala Harris est prête à faire le boulot ! » (Barack Obama, le 10 octobre 2024 à Pittsburgh).
L'année 2024 sera-t-elle celle de Kamala Harris ? À deux semaines et demi du scrutin, le 5 novembre 2024, les sondages donnent une totale incertitude et gare aux pronostiqueurs ! Ce dimanche 20 octobre 2024, Kamala Harris fête son 60e anniversaire. Elle n'est plus toute jeune, donc, pas quadragénaire comme John Kennedy, Bill Clinton ou Barack Obama à leur élection à la Maison-Blanche, mais loin aussi d'être une vieillarde, proche d'être octogénaire comme son redoutable rival Donald Trump. La soixantaine, c'est l'expérience avec encore le dynamisme.
Kamala Harris porte cette double ambiguïté dans sa propre candidature. D'abord, certains électeurs démocrates regrettent qu'elle n'ait pas été désignée selon des primaires normales. Elle n'est qu'un plan B après la défection de Joe Biden, si bien qu'elle n'a pas su passer cette épreuve du feu, celle des primaires pendant le premier semestre, qui épuise mais aussi qui révèle. Ensuite, celle qui est à la fois une femme, une fille de deux immigrés, une afro-asiatico-américaine (je ne sais pas comment on le dit), bref, elle présente deux caractères de la "diversité" (comme on dit un peu pompeusement) qui seraient plutôt l'apanage, chez les démocrates, de l'aile gauche... alors qu'elle, elle est plutôt de l'aile centriste, celle des raisonnables, celle qui est prête à accueillir les électeurs républicains déboussolés par un Donald Trump vraiment inclassable et impayable.
Après l'abandon de Joe Biden, Kamala Harris a lancé sa candidature avec force. Elle a su faire l'union de son parti, le parti démocrate, autour de son nom et ce n'était pas gagné, mais l'urgence d'investir un candidat sérieux et son expérience de 49e Vice-Présidente des États-Unis depuis le 20 janvier 2021 ont fait la différence, la rendre incontournable. Surtout, elle qui était si discrète, elle a révélé une capacité de faire campagne inimaginable. L'apothéose fut bien sûr la Convention nationale démocrate à Chicago en août 2024, mais c'était prévisible quel que soit le candidat, c'est le rôle des conventions.
Son premier (et unique) débat télévisé avec Donald Trump, le 10 septembre 2024, a montré qu'elle savait débattre, répondre par des arguments, faire à l'occasion sa procureure, son métier d'origine, pour affronter ce repris de justice qu'est le milliardaire Donald Trump qui, paradoxalement, trouve le cœur de son électorat dans les classes populaires. Kamala Harris a tellement gagné ce débat télévisé que son contradicteur, mauvais joueur comme d'habitude, a fustigé ce débat "truqué", selon lui, et a annoncé qu'il refuserait de débattre à nouveau avec elle.
Cette belle mécanique de Kamala Harris, qui a réussi à rendre désormais possible et réaliste l'arrivée d'une femme à la Maison-Blanche, s'est un peu grippée depuis un mois. Certes, la fin de l'été a permis aux démocrates de rattraper leur retard sur Donald Trump, principalement basé sur l'âge de Joe Biden dont la perspective de réélection devenait de moins en moins raisonnable au fil des gaffes et des bourdes. Mais depuis un mois, la campagne s'enlise, dans les deux camps. Ni l'un ni l'autre ne s'échappe dans les sondages, et surtout, aucun événement, ni les événements extérieurs (la guerre que mène Israël contre le Hamas et le Hezbollah, par exemple), ni aucun événement intérieur (comme les tentatives d'assassinat contre Donald Trump ou les dossiers compromettant Donald Trump sur son rôle dans l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021) ne semblent avoir de prise ou d'influence sur les intentions de vote des deux candidats. Les intentions de vote semblent figées, comme s'il s'agissait d'une guerre de positions, comme la guerre en 1939. La campagne ne consiste donc pas à vouloir changer les convictions des convaincus, mais à convaincre les hésitants.
Alors, attention à la Bliztkrieg ! Donald Trump, qui est généreux en coups politiques de dernière minute, n'hésitera pas à faire le tout pour le tout pour gagner son ultime combat (il a déjà annoncé qu'il ne serait pas candidat en 2028, il aurait 82 ans !). Dans le camp démocrate, on a peur que Kamala Harris n'attire pas l'électorat populaire (d'où son colistier Tim Walz, d'origine populaire). Elle est de Californie, et parle aux intellos, à l'etablishment de Washington, mais c'est l'électorat populaire, les classes peu aisées, qu'il s'agit de convaincre.
Comme d'habitude, Donald Trump, dont les meetings sont devenus de plus en plus n'importe quoi (il a dansé plusieurs dizaines minutes sur de la musique des années 1970 et 1980 au lieu de parler), a ironisé sur sa rivale lors du dîner annuel de la Fondation Alfred E. Smith le 17 octobre 2024 à New York en assurant que Kamala Harris « peut à peine parler et enchaîner deux phrases cohérentes » et qu'elle « a les facultés mentales d'un enfant et n'a aucune intelligence » (cela fait un peu propos de cour de récréation d'une école primaire).
De son côté, Kamala Harris ne manie pas de meilleurs arguments. Ainsi, en campagne dans le Michigan ce vendredi 18 octobre 2024, elle a insisté sur l'âge et la fatigue de Donald Trump : « Être Président des États-Unis est probablement l’un des emplois les plus difficiles au monde et nous devons vraiment nous demander : s’il est épuisé par la campagne, est-il apte à faire ce travail ? ».
C'est vrai aussi que Kamala Harris a raté certaines occasions de faire campagne. Ainsi, lors du passage du terrible ouragan Milton, qui a provoqué le 11 octobre 2024 en Floride la mort d'au moins seize personnes et des dégâts d'au moins 50 milliards de dollars (le gouverneur républicain Ron DeSantis a déclaré : « Nous n'avons pas connu le pire scénario, mais nous avons été touchés. »), Donald Trump s'est rendu sur place et a annoncé qu'il demanderait à son ami milliardaire Elon Musk de rétablir la situation en attendant que les services de l'État arrivent. Son adversaire Kamala Harris n'est même pas venue sur place, retenue à un autre endroit du pays pour sa campagne.
Le système politique américain, dont l'origine est multiséculaire, et qui, à l'époque, avait ses raisons historiques, est tel que ce n'est pas le vote populaire qui fait emporter l'élection (sinon, Kamala Harris serait assurée d'être élue, et Hillary Clinton aurait été élue), mais l'élection des délégués. Ces grands électeurs sont élus par États, et à l'exception du Maine (4 grandes électeurs) et du Nebraska (5 grands électeurs), la majorité simple des voix dans un État fait remporter la totalité des délégués de cet État (le nombre de délégués dans un État est proportionnel à sa population). Cela signifie que si un candidat obtient 55% dans un des 48 autres États, il est sûr de remporter la totalité des délégués de cet État et n'a pas intérêt à avoir 70% puisqu'il a déjà 100% des délégués.
Si bien que les États où le vainqueur est sans incertitude ne font pas l'objet d'une grande campagne des candidats, alors qu'il existe des États que j'appellerai tangents, qu'on appelle aussi États pivots ("Swing States"), qui, même s'ils ont peu de délégués, présentent un enjeu crucial pour l'issue de l'élection. Ces États, en 2024, sont au nombre de sept : la Pennsylvanie (16 grands électeurs), la Géorgie (16), la Caroline du Nord (16), le Michigan (15), l'Arizona (11), le Wisconsin (10) et le Nevada (6). Or, lors de l'élection précédente du 3 novembre 2020 qui a vu la victoire du démocrate Joe Biden, les démocrates étaient majoritaires dans tous ces États sauf la Caroline du Nord. Dans ces États (en particulier la Géorgie et la Caroline du Nord), il y a une véritable envolée de participation dans les votes anticipés, pour ceux qui peuvent déjà voter (cela dépend de chaque État). Au 18 octobre 2024, plus de 10,7 millions de votes ont déjà été faits dans tout le pays, selon l'Election Lab de l'Université de Floride, ce qui est énorme (pour certains États, c'était le jour ou le lendemain de l'ouverture du scrutin).
Les sondages au 18 octobre 2024 donnent une grande incertitude et laisse un léger avantage à Donald Trump, avec une dynamique récente pour ces États, même si les calculs de moyenne de sondages pour ces États clefs ne donnent pas forcément les mêmes résultats (par exemple, entre "Le Monde" et le site RealClearPolitics).
C'est bien entendu vers ces États que tous les efforts de campagne sont faits dans les deux camps. Ainsi, l'ancien Président Barack Obama est entré en campagne le 10 octobre 2024 à Pittsburgh, dans un gymnase plein et enthousiaste, en Pennsylvanie, pour soutenir activement Kamala Harris (sans sa présence car elle était à Las Vegas) et surtout, condamner Donald Trump qui fut son successeur direct : « Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est que quiconque puisse croire que Donald Trump va bouleverser les choses d'une manière qui soit bonne pour vous. (…) Nous n'avons pas besoin de quatre années supplémentaires d'arrogance, de maladresses, de fanfaronnades et de divisions. (…) Ne huez pas ! Votez ! ». Il ne faut pas croire que ses arguments volent plus haut que les autres : pour montrer qu'il ne connaissait pas la vie quotidienne des Américains, Barack Obama, père de famille, a assuré que Donald Trump n'avait jamais manié de couches-culottes... laissant à l'assistance le soin de crier : si, les siennes !
Cette semaine, Barack Obama a fait campagne dans l'Arizona et le Nevada, et ira la semaine prochaine dans le Wisconsin et le Michigan. Il fera un meeting commun avec Kamala Harris le 24 octobre 2024 en Géorgie. Quant à son épouse Michelle Obama, elle sera avec Kamala Harris dans un meeting commun le 26 octobre 2024 dans le Michigan. Elle fera aussi campagne pour Kamala Harris le 29 octobre 2024 à Atlanta, en Géorgie. Le couple Obama, et en particulier Michelle Obama, est très populaire dans l'électorat démocrate et leur implication totale dans la campagne de Kamala Harris vise à mobiliser au mieux cet électorat acquis aux candidats démocrates mais qui risquerait de s'abstenir par déception, désillusion ou indifférence.
Plus qu'en 2000, en 2016 et en 2020, jamais une élection présidentielle n'a été aussi incertaine aussi longtemps que celle de 2024. Kamala Harris pourra peut-être gagner, mais dans tous les cas, le trumpisme restera un phénomène de société insolite et, surtout, durable.
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Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2024)
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