Michel Blanc, grosse fatigue sur un malentendu

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 11 octobre 2024

« Michel Blanc avait endossé ses premiers rôles mythiques aux côtés de la troupe du Splendid, pour composer ensuite des personnages plus troubles, glaçants ou lâches, vaincus par leurs fragilités. Sa disparition (…) est celle d’un grand acteur du cinéma populaire qui osait prêter son talent à l’exploration, lumineuse ou sombre, comique ou tragique, de nos vagues à l’âme. (…) Michel Blanc inventa (…) un personnage de séducteur sans succès (…), un "Bronzé" à la silhouette étriquée, hypocondriaque et désarmant, irrésistible dans sa gaucherie et touchant dans ses illusions brisées. (…) S’il joua toute sa vie des hommes qui ne s’aimaient pas, Michel Blanc pouvait compter depuis cinquante ans sur l’amour du public. » (Communiqué de l'Élysée, le 4 octobre 2024).

En présence de Brigitte Macron, de Rachida Dati et de très nombreuses personnalités du monde de la culture, les obsèques de l'acteur et réalisateur Michel Blanc ont été célébrées ce jeudi 10 octobre 2024 à l'église Saint-Eustache de Paris, en plein centre de Paris, sa paroisse, celle des artistes et celle aussi de la soupe populaire. 700 places étaient réservées dans l'église et malgré la pluie, des centaines de personnes étaient venues pour lui rendre hommage, des hommes du peuple, à l'extérieur.

La mort brutale de Michel Blanc le 3 octobre 2024 à l'âge de 72 ans a profondément ému le pays. Il n'était pas une star, ou plutôt, il ne jouait pas à la star, il était resté simple, mais il faisait partie de la vie de ces Français qui ont grandi et vieilli avec lui, depuis les années 1970. Un anti-héros, quelqu'un qui n'avait jamais d'autorité, pas de chance, angoissé... ces personnages peu valorisants, Michel Blanc les regrettait et les appréciait, cela lui a fait sa notoriété, mais il voulait aussi s'en dégager pour vivre des rôles plus différents, plus diversifiés, comme dans "Monsieur Hire" ou encore "L'Exercice de l'État".

C'est presque un comble. Michel Blanc n'était pas in articulo mortis, il était en forme. Hypocondriaque (dans la vraie vie), il craignait de tomber malade. Il est mort brutalement, d'un effet pas de chance de sa santé. Précisons que la manière de mourir fait partie de la vie privée et même du secret médical. Néanmoins, il faut préciser que pendant un jour, certains médias ont répété, parfois par l'affirmative, que Michel Blanc serait mort d'un choc anaphylactique dû à une allergie après l'injection d'un produit de contraste pour faire un scanner ou une IRM. C'était faux et cela a rendu très difficile la relation des radiologues avec leurs patients ce jour-là (vendredi dernier), en faisant naître la peur d'avoir une telle allergie (ultra-rare). Cette allergie seraient plutôt consécutive à la prise d'un antibiotique dans la matinée. Le choc anaphylactique aurait pris la forme d'un œdème de Quincke qui aurait provoqué un malaise cardiaque.
 

La disparition montre à quel point il pouvait être familier. Peut-être que le meilleur rapport implicite, c'était de l'avoir toujours considéré comme un copain, un peu collant, un peu énervant, mais indispensable, attachant, comme dans "Viens chez moi, j'habite chez une copine" (avec le regretté Bernard Giraudeau et l'éblouissante Thérèse Liotard). L'émotion, c'est aussi parce Michel Blanc a eu l'audace d'être le premier de la bande du Splendid à sortir, à partir, sans crier gare. On est loin de la réaction à la disparition d'Alain Delon, pourtant véritable monstre du cinéma. Emmanuel Macron a parlé de Michel Blanc comme d'un « monument du cinéma français », je préciserai : un monument populaire car aimé de tous.
 

Cet humour du Splendid au cinéma, nouveau à l'époque et toujours aussi vivant, qui n'a pas pris une seule ride malgré plus de quarante-cinq ans d'âge, basé sur des chroniques sociales, des enjeux de société (vacances, amour, logement, chômage, petits boulots, etc.), après les grands comiques qui étaient partis depuis longtemps (Fernandel, Bourvil, Louis de Funès, Coluche, etc., sauf Michel Serrault). De plus, c'est rare, au cinéma, le fait d'avoir eu une troupe aussi nombreuse et aussi soudée, aussi longtemps, sans empêcher que chacun puisse avoir sa propre carrière solo en même temps.

Partenaire dans un film, Lio, qui fut la compagne de Michel Blanc au début des années 1990, a témoigné le 4 octobre 2024 sur RTL : « Michel a fait partie d’une parenthèse enchantée de ma vie. Il est vraiment dans mes meilleurs souvenirs (…). Même si je ne le voyais pas et qu’on se parlait peu, chaque fois qu’on se parlait c’était bien. Chaque fois qu’on se croisait, c’était chouette. Je suis très triste (…). C’était un compagnon attentif, qui aimait faire des surprises. La vie avec lui était surprenante. Je n’ai rencontré que des gens intéressants pendant que j’étais avec lui. Il regardait, il était intéressé, il était passionné par l’Angleterre. Il était so British ! C’était un type bien, quoi... ».

Pourtant, pas d'enfant pour Michel Blanc ; il ne se voyait pas père, il le disait : « Je ne suis pas fait pour être père. Je suis trop gosse moi-même. On ne fait pas élever un enfant par un autre enfant. ».
 

Parmi les nombreuses réactions dans les réseaux sociaux et dans les médias, je retiendrai deux extraits de l'interview intéressante de l'émission "Le Divan" diffusée sur FR3 le 11 juin 1988.

Interrogé par Henry Chapier, Michel Blanc s'est exprimé sans retenue sur la notoriété, la sienne, et celle des autres : « [Ma notoriété ?] Ça change des choses dans la vie, si ! J'espère que ça ne change pas la bête, mais ça change des choses. Parce que je peux vous dire que quand les gens vous reconnaissent dans la rue, quand les gens vous disent "J'aime beaucoup ce que tu fais, ce que vous faites", quand ils vous demandent des autographes, quand ils font tout pour vous faire plaisir quand vous entrez... C'est très injuste ! C'est très injuste ! Vous entrez dans un restaurant, il n'y a pas de place, on vous en trouve une. C'est extraordinaire ! Mais c'est vrai, c'est épouvantable ! Mais bon, moi, j'en suis ravi parce que c'est extrêmement gentil, et puis parce que ça me facilite la vie d'une manière extraordinaire. Mais il y a des moments où je suis gêné parce qu'il y a des endroits où on se dit "non, quand même pas là". Il m'est arrivé d'accompagner une amie aux urgences, dans un service hospitalier, pour un truc qui n'était pas dramatique, et d'un seul coup, de me dire "non, quand même pas là...", il ne faut pas que là, il y ait un passe-droit... Il y a peut-être un type en train de mourir sur un brancard. On ne va pas me dire "je vous en prie, j'aime bien ce que vous faites, vous voulez signer un truc pour mon fils ?". Bon, mais enfin, c'est quand même plutôt agréable en général. Donc, ça change beaucoup de choses ! Finalement, ça révèle, voilà. Ça révèle. C'est-à-dire que les gens qui sont profondément des salopards ou des cons, à partir du moment où on leur donne la possibilité d'épanouir ça, ils n'hésitent pas. Alors, j'espère ne pas tomber là-dedans. ».

Et il y a parlé aussi de son obsession de la mort : « Oui, c'est cela... La dégénérescence du corps, la maladie, tout ça, oui oui, et la mort au bout... Bien sûr, ce n'est pas une phobie, c'est une obsession. Enfin, chez tout le monde, chez tout le monde. (…) Je suis un surdoué pour ça. Mais c'est vrai que j'y pense tous les jours, un peu. Tous les jours, un peu, oui oui. Par exemple, quand je dis que je sens le besoin de travailler de plus en plus, c'est une forme d'angoisse de l'échéance. C'est qu'on va ramasser les copies, un moment... ». Vox populi, vox dei : apparemment, la copie aura une bonne note !
 

Un hommage sera rendu à Michel Blanc lors du Festival Film Courts de Dinan du 20 au 24 novembre 2024, par la projection de l'excellent film "Monsieur Hire" dont le réalisateur Patrice Leconte est également le président de ce festival.


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Sylvain Rakotoarison (10 octobre 2024)
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