Des vitraux polémiques pour Notre-Dame de Paris

par L’apostilleur
vendredi 27 septembre 2024

Touchant au monument probablement le plus emblématique de la nation française, vaisseau admirable de l’Occident chrétien depuis près de huit siècles, la question du remplacement de quelques vitraux de Notre-Dame de Paris ne pouvait pas manquer de provoquer des haut-le-cœur pour des conservateurs inconditionnels.

Sans la catastrophe de l’incendie, à priori il ne serait venu à l’idée de personne d’envisager le remplacement de quelque vitrail que ce soit. Si des vitraux avaient été détruits, personne n’aurait imaginé qu’on ne les remplaça pas. La singularité de la controverse provient de ce qui se dit moins, ces œuvres ont été réalisées bien après la cathédrale sous Viollet-le-Duc il n’y a pas encore deux siècles. Pour ce motif, et celui de ces dessins géométriques sans attrait particulier, ils ont été affublés d’une épithète peu amène qui les distingue des autres ; « vitraux grisailles ». Ceux qui vadrouillent en terre islamique pourraient y voir la simplicité de cette expression artistique propre aux musulmans (et aux juifs) pour leurs édifices, qui tranche avec l’art religieux en Occident.

« Vitraux grisailles » de Notre-Dame de Paris.

 

Décoration d’une mosquée.

Zellige pour les décorations géométriques destinées aux monuments musulmans, sans représentation d’êtres vivants sauf rarement comme sur le pishtak de la médersa Cher-Dor du Régistan où un lion et un tigre décorent une splendide façade sauvée par l’occupant russe. 

Cher-Dor Samarcande

Des partisans du maintien des vitraux de Viollet-le-Duc argueront que d’autres remarquables sont d’une inspiration semblable, comme ceux de l’abbaye cistercienne d’Aubazine du XIIe s. plantée dans sa forêt de petite montagne (2).

Vitraux géométriques qui auraient inspiré une célèbre pensionnaire d’Aubazine pour son logo, Coco Chanel.

Ceux récents de la chapelle du Rosaire s’intègrent parfaitement dans une chapelle moderne dépouillée comme l’a proposée Matisse aux sœurs dominicaines. Le besoin de connaissance de l'histoire biblique des fidèles du XXe s. n'était plus celui des siècles précédents.

Vitraux chapelle du Rosaire Vence.

Reste que l’esprit des vitraux de cette fin de moyen-âge ne s’y retrouve pas, il leur manque cette figuration propre à diffuser l’enseignement des épisodes bibliques aux fidèles, comme ceux de la cène de l’église Saint-Sulpice à Fougères, moins célèbres que la cène sur la seine des JO.

Vitraux église Saint-Sulpice. Fougères.

Les vitraux parlent pour les monuments ancrés dans les territoires, ils sont l'âme des pierres et communiquent avec ceux qui s'en approchent, croyants ou non. Le caractère universel de l'Eglise ouverte à tous les hommes s'impose dans ses bâtiments aussi. Ceux qui auront tenté d'entrer dans le Dôme du Rocher à Jérusalem témoigneront de cette différence. 

Leurs innombrables représentations rapprochent l'histoire des hommes et celle de leur dogme. Ils témoignent aujourd'hui d'une expression possible, à l'opposé des obscurantistes talibans destructeurs des bouddhas de Bâmiyân ou avant eux des calvinistes avec leur « furie iconoclaste » dans le nord de l’Europe qui détruiront ces représentations religieuses.

Ancienne église Saint-Pierre de Leyde nettoyée de ses attributs catholiques par les calvinistes

A Damas on s'étonne devant le trésor d'une façade figurative des origines avec ses mosaïques de conception byzantine redécouvertes au XIXe s. Comme pour Sainte-Sophie à Constantinople, elle avait été badigeonnée pendant des siècles par les ottomans au nom de l'interdit islamique " Les anges n'entreront pas dans une maison où il y a des images".

Mosquée Omeyyade Damas

 

Les vitraux avec les mosaïques, les fresques, les tableaux, les statues ont contribué à l'interprétation d'un dogme catholique unique quand les rabbins dans les Talmud et les imams avec les hadith, arrangeaient au fil des siècles des interprétations contradictoires.

La valeur patrimoniale intrinsèque de ces « vitraux grisailles » entrouvre donc la discussion malgré qu’il ne viendrait à l’idée de personne de remplacer les gargouilles imaginées par Viollet-le-Duc ou ses seize statues miraculeusement sauvées par leur restauration commencée avant l’incendie. Une rencontre exceptionnelle avec elles a été possible un temps à la Cité de l'architecture, remarquable.

Saint-Thomas (*)

L'archevêque Laurent Ulrich qui a émis le vœu de « quelques vitraux nouveaux » n’est pas le premier, en 1935 le cardinal Verdier archevêque de Paris avait été favorable à l’idée de nouveaux vitraux pour la cathédrale. Aujourd’hui l’archevêque Laurent Ulrich a mentionné dans sa lettre adressée au Président Macron, un motif à considérer ; «  Le retour dans Notre-Dame après l’incendie du 15 avril 2019… ne peut pas se faire sans marquer dans le bâtiment restauré une trace de cet événement…  ».

L’idée du remplacement de ces vitraux reprend celle de Viollet-le-Duc qui a marqué avec ses créations jusque dans la pierre, l’exploit du sauvetage de Notre-Dame de Paris au XIXe s. De même que Viollet-le-Duc s’est fait représenter sous les traits de Saint-Thomas (*), on comprendrait qu’un des artisans de cette restauration exceptionnelle comme feu Jean-Louis Georgelin responsable de la reconstruction de la cathédrale ait une trace de son implication inscrite dans le bâtiment au nom de tous les acteurs de la reconstruction. Pourquoi pas son effigie glissée dans une des scènes des nouveaux vitraux par les artistes artisans verrier du XXIe s.

Un autre hommage pourrait être rendu à l’occasion aux verriers de Murano inventeurs du bleu cobalt qui émerveillera les cours d’Europe, ainsi qu’aux nains de Venise ces prospecteurs qui ont rapporté secrètement d’Allemagne le précieux minerai. 

Coupe cristal de Murano "bleu cobalt"

L’admirable « bleu de Chartres » réputé dans le monde entier a été obtenu avec le cobalt découvert par les nains les premiers dans les gisements allemands.

Vitrail Charlemagne « bleu de Chartres »

Le bleu qui rappelle le ciel a fréquemment été utilisé par les artistes pour leurs représentations spirituelles depuis les sumériens et les égyptiens avec le lapis-lazuli, et longtemps après encore par les peintres. Les chrétiens qui ont associé le bleu et le jaune à leurs représentations de la vierge Marie ont prolongé cette tradition, avec Notre-Dame. Il serait surprenant que les prochains vitraux s'en écartent.

Des vitraux qui perpétueraient donc l'héritage des catholiques et qui inscriraient pour d'autres siècles encore, le souvenir de l'exploit fantastique de ces artisans fiers de leur participation à ce chantier de traditions voulu par cette France qui a été « fille aînée de l’Eglise » pendant six siècles.

Même si le Pape ne viendra pas à sa prochaine inauguration.

 

  1. Illustration. Vitraux de l’abbaye Sainte-Foy à Conques qui vus de l'extérieur évoquent l’enfermement pour une église romane millénaire. Un genre « vitraux grisailles » qui ne devrait plus se reproduire.
  2. En cette saison les forêts champignonneuses difficilement accessibles autour de l’abbaye offrent quantité de ceps à déguster par exemple dans une auberge sur la place.

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