Kamala Harris sera-t-elle la première femme Présidente des États-Unis ?

par Sylvain Rakotoarison
mardi 23 juillet 2024

« Nous sommes à 107 jours de l'élection. Ensemble, nous nous battrons, ensemble nous gagnerons. (…) Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour unir le parti démocrate, notre nation et battre Donald Trump. » (Kamala Harris, le 21 juillet 2024).

Le retrait du Président Joe Biden de la course présidentielle ce dimanche 21 juillet 2024 est un événement majeur de cette campagne présidentielle, huit jours après la tentative d'assassinat contre Donald Trump et quelques jours après la désignation triomphale de ce dernier à Milkauwee comme candidat du parti républicain. On a reproché à Joe Biden d'avoir mis une petite demi-heure avant de proposer de soutenir Kamala Harris, l'actuelle Vice-Président des États-Unis. Mais le fait, c'est qu'il la soutient.

Amusant de voir qu'au lendemain de ce retrait, il existe des journalistes français à passer encore du temps à se demander : pourquoi Joe Biden s'est-il retiré ? La réponse paraît en effet assez évidente, mais cela fait penser aussi à la question que tous les Français (moins un) se posent depuis le 9 juin : pourquoi Emmanuel Macron a-t-il dissous l'Assemblée Nationale ? On pourrait d'ailleurs titrer : Joe Biden s'est auto-dissous ! Ou proposer à Jean-Luc Mélenchon de faire comme Joe Biden, se retirer de la vie politique (après tout, la retraite à 73 ans, ce n'est pas trop tôt) et laisser les générations à venir s'occuper du pays.
 

Ce qui est étrange, c'est que dans les récents sondages, réalisés après l'attentat de Butler, Joe Biden n'était pas si loin de Donald Trump en intentions de vote. Ce qui va surtout changer, avec le départ de Joe Biden de la course présidentielle, c'est que l'argument de l'âge va pouvoir être retourné à l'envoyeur en rappelant ainsi que Donald Trump devient le candidat à l'élection présidentielle le plus vieux de l'histoire des États-Unis (Joe Biden était plus jeune que lui en 2020). Certains observateurs affirmaient même que ce serait le parti qui renverrait le premier son candidat âgé qui gagnerait l'élection. Donald Trump sera, lui, bien candidat, rescapé de l'attentat et toujours bien vivant. À la combativité presque insolente.

Bien sûr, connaître le pourquoi du comment du renoncement est toujours intéressant, mais c'est aux historiens et aux politologues que la question échoie, avec le recul du temps. Dans l'immédiateté de la vie politique, que ce soit pour une campagne législative en France ou une campagne présidentielle aux États-Unis, ces deux actes, provoqués par le Président respectivement des deux nations, ont bouleversé considérablement le cours des événements politiques et la question serait plutôt ce que cela va entraîner.

Pour le camp des démocrates, assurément, il leur faudra désigner leur nouveau candidat, d'ici à leur Convention à Chicago (du 19 au 22 août 2024), dans le meilleur des cas le plus rapidement possible car il ne reste pas beaucoup de temps avec l'élection du 5 novembre 2024. Joe Biden a annoncé son soutien assez clair à Kamala Harris, ainsi que le couple Bill Clinton et Hillary Clinton, cette dernière adversaire malheureuse de Donald Trump en 2016 : « Nous sommes fiers de nous joindre au Président pour soutenir la Vice-Présidente Harris et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour la soutenir. ».

En revanche, Nancy Pelosi, ancienne Présidente de la Chambre des représentants et figure très influente du parti démocrate (bien qu'âgée de 84 ans), n'a pas mentionné le premier jour le nom de la Vice-Présidente et souhaiterait une désignation transparente : « Le Président Joe Biden est un patriote américain qui a toujours donné la priorité à notre pays. Son héritage de vision, de valeurs et de leadership fait de lui l'un des Présidents les plus influents de l'histoire américaine. ». Toutefois, Nancy Pelosi a apporté son soutien à Kamala Harris le lendemain (22 juillet).

De son côté, l'ancien Président Barack Obama a salué le courage et l'abnégation de Joe Biden, mais sans évoquer sa Vice-Présidente : « Nous allons naviguer dans des eaux inconnues dans les jours à venir. Mais j'ai une confiance extraordinaire dans la capacité des dirigeants de notre parti à créer un processus qui permettra de désigner un candidat exceptionnel. ». Certains murmurent que son épouse Michelle Obama pourrait être intéressée par une candidature, mais au contraire d'Hillary Clinton, qui a été élue sénatrice et qui a eu des fonctions d'État (Secrétaire d'État), Michelle Obama n'a joué aucun rôle officiel à ce jour. D'autres expliquent que Barack Obama souhaite dans le parti démocrate des débats et de la démocratie.

Avant d'évoquer le parcours de la future candidate ainsi que la polémique que les trumpistes ont voulu créer dès le retrait de Joe Biden, il faut donc rappeler quelques règles du parti démocrate, car on ne désigne pas un candidat à l'élection présidentielle sur le coup d'un claquement de doigts, ou à la lecture des sondages, ou encore dans une obscure salle de comité central.

Ah, tiens, à propos de comité central, tentons encore le parallèle avec la nouvelle farce populaire (NFP) : depuis seize jours, ces supposés vainqueurs des élections législatives (à cent sièges près !) peinent à choisir un Premier Ministre (la candidate du PS Laurence Tubiana, 74 ans, a renoncé le 22 juillet 2024, après l'abandon d'Huguette Bello le 14 juillet 2024) qu'ils reprochent au Président Macron de ne pas avoir nommé ! Faut-il l'unanimité, comme veulent l'imposer les apparatchiks des insoumis, ou un vote des groupes parlementaires, comme le suggèrent les socialistes qui jouissent d'un avantage numérique au Parlement avec son groupe sénatorial ? L'unanimité semble pourtant nécessaire, car chaque vote à l'Assemblée sera capital. Et dans ce cas, mission impossible.
 

Chez les démocrates américains, c'est différent. Au lendemain de l'abandon de Joe Biden, il n'y a pas beaucoup de suspense sur le nom du candidat, de la candidate : Kamala Harris a démarré avec beaucoup d'élan et de dynamisme sa campagne présidentielle. Dès les premières heures, elle a su récolter sur son nom ce que les donateurs hésitaient à donner à un vieillard trop peu dynamique pour vaincre Donald Trump : « À 21h, les sympathisants de la base ont récolté 46,7 millions de dollars via ActBlue après le lancement de la campagne de la Vice-Présidente Kamala Harris. Il s'agit de la journée de collecte de fonds la plus importante du cycle 2024. Les petits donateurs sont motivés et prêts à affronter cette élection. » (selon un tweet de ActBlue du 21 juillet 2024). Au bout de 24 heures, ce sont 81 millions de dollars qui ont été collectés pour la campagne de Kamala Harris. C'est beaucoup. Cela ne réhaussera pas forcément le niveau (très bas) de la campagne, mais cela va rééquilibrer les spots politiques en faveur des démocrates.

Mais il faut rester dans la forme. Nancy Pelosi et d'autres grands démocrates veulent rester irréprochables sur la désignation de leur candidat, pour défendre les institutions face à un adversaire qui s'assied allègrement sur celles-ci, Congrès, justice, etc. quand cela l'arrange. En principe, le candidat démocrate est désigné à l'issue des primaires du parti démocrate qui se sont déroulées du 23 janvier au 8 juin 2024 et Joe Biden a obtenu 3 905 délégués alors que 1 975 sont suffisants pour être désigné (ce qui correspond à 14,5 millions de voix, soit 87,1%). Les autres candidats aux primaires démocrates étaient Dean Philips avec 4 délégués (3,2% des voix), Jason Palmer 3 délégués (0,1% des voix) et Marianne Williamson 0 délégué (2,9% des voix).

Le problème, c'est que les délégués qui ont été élus pendant ces primaires ont un mandat impératif (ce qui fait que la démocratie amércaine est complètement différente de la démocratie française). C'est-à-dire que les délégués de Joe Biden ont été élus pour apporter leur suffrage à Joe Biden, à lui seul et à personne d'autre, le 19 août 2024 lors de la Convention. Dès lors que Joe Biden n'est plus candidat, ces délégués retrouvent leur liberté de choix, car il est bien entendu hors de question de redésigner de nouveaux délégués (cela prendrait au moins cinq mois).


 

C'est donc le choix personnel de ces 3 949 délégués qui va désigner le candidat démocrate. La question reste toutefois : comment feront-ils connaître leur choix ? Beaucoup souhaitent qu'ils fassent leur choix de manière électronique avant la Convention pour que celle-ci, comme c'est le cas d'habitude, soit le moment festif de lancement de la candidature officielle. D'autres, au contraire, en particulier Nancy Pelosi, voudraient plus de transparence et que le vote intervienne au début de la Convention, le 19 août, ce qui, à mon sens, sera probablement retenu car c'est le moyen le plus transparent.

Tout cela n'est qu'un problème de forme, car pour le fond, la candidature de Kamala Harris est lancée avec force et dynamisme. Soutenue notamment par six gouverneurs dont l'ancien maire de San Francisco et actuel gouverneur de Californie Gavin Newsom, Kamala Harris aurait déjà gagné la confiance au moins de 1 208 délégués en un jour. Aucun candidat démocrate ne semble en mesure de lui disputer sérieusement la candidature. La vraie question sera quel sera son colistier, forcément un homme, probablement dans un État "partagé" ou "tangent" (un "swing state").

La polémique créée par les républicains quelques heures après son annonce de retrait, c'est de dire : si Joe Biden n'est plus capable d'être candidat, alors il n'est plus capable d'être Président, il faut qu'il s'en aille. Mais le raisonnement est particulièrement stupide pour les républicains, car si Joe Biden quittait la Maison-Blanche, ce serait Kamala Harris qui deviendrait tout de suite Présidente des États-Unis, la première femme à la Maison-Blanche. Et elle démontrerait alors qu'elle est présidentiable.

Cela n'a pas empêché les instituts de sondage de sonder le peuple sur ce thème : Joe Biden doit-il quitter la Maison-Blanche ? Dans le sondage publié le 21 juillet 2024 par YouGouv, une large majorité des sondés (56%) souhaiterait que Joe Biden termine son mandat dans tous les cas. Le peuple américain est parfois sage (mais pas toujours).

Qui est Kamala Harris ? C'est une femme de presque 60 ans (elle les aura le 20 octobre) qui, par son histoire, fait partie du rêve américain. Fille d'un économiste d'origine jamaïcaine et d'une cancérologue spécialiste du cancer du sein d'origine indienne, elle est devenue avocate au barreau de San Francisco. Ses parents s'étaient rencontrés à l'Université de Californie à Berkeley où chacun préparait un doctorat (l'un en économie, l'autre en médecine). Il se sont quittés quand Kamala avait 7 ans.

Kamala Harris a fait toute sa carrière en Californie : procureure de San Francisco de 2004 à 2011, puis première femme procureure générale de Californie de 2011 à 2017, elle a acquis une réputation de progressiste (pour être procureur, il faut être élu). Au lendemain de la victoire de Donald Trump à la Présidence des États-Unis le 8 novembre 2016, et alors que les dirigeants démocrates étaient sonnés par leur défaite, Kamala Harris, nouvellement élue sénatrice des États-Unis en Californie, a prononcé une discours de combat où elle disait qu'elle se battrait de toutes ses forces contre Donald Trump, contre ses idées. Et effectivement, elle s'est lancée le 21 janvier 2019 dans la bataille des primaires démocrates pour l'élection présidentielle de 2020.

Si, avant l'été 2019, elle talonnait Joe Biden dans les sondages pour les primaires démocrates, elle s'est écroulée à la fin de l'automne et a jeté l'éponge le 3 décembre 2019, par manque de moyens. Repêchée par Joe Biden qui en a fait, le 11 août 2020, sa colistière, Kamala Harris a été élue Vice-Présidente des États-Unis le 3 novembre 2020, première femme à occuper ce poste, qui plus est, une femme de couloir (mais qui n'a rien à voir avec les Afro-américains).

Être Vice-Président des États-Unis est toujours ingrat. Son principal rôle est de présider le Sénat, ce qui peut être déterminant lorsque le Sénat est partagé. Et le Président peut lui confier des missions. En mars 2021, encore en pleine crise du covic-19, Joe Biden a confié à Kamala Harris la gestion de la grave crise migratoire : beaucoup de ressortissants des pays d'Amérique latin sont entrés illégalement aux États-Unis. Le sujet est très difficile à traiter. En raison de la sensibilité de ce thème, repris autant par les populistes américains dans leur pays que les populistes français en France, Kamala Harris n'a pu que se prendre des coups : fustigée par les républicains en raison de l'arrivée massive des migrants, elle a été aussi très critiquée par l'aile gauche du parti démocrate car elle est allée dans tous les pays d'Amérique latine pour négocier la réduction des flux migratoires. Si elle a déçu les démocrates pendant ce mandat, elle est cependant une battante, capable de visiter tout le pays pour expliquer les lois et apporter de la compréhension aux citoyens.

La voici aux portes du pouvoir. Contrairement à ce qu'affirme Donald Trump qui n'en finit pas de se dire miraculé et qui n'en finit pas de débiter des grossièretés et des insultes sans argumentation politique, l'élection du 5 novembre 2024 va être très serrée. Kamala Harris a un potentiel encore intact et dès le premier jour de sa campagne, déjà dans les réseaux sociaux, son visage a remplacé celui de Barack Obama dans la célèbre affiche, y ajoutant un jeu de mot : Yes, We Kam ! Le moment Trump est en train de s'évaporer. Place au moment Kamala.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 juillet 2024)
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