Les crues au marais
par C’est Nabum
mercredi 26 février 2025
Les « évaïes »
Enfant, il attendait avec impatience l'arrivée dans l'hiver. Comme chaque année, les eaux petit à petit, se pressaient au cœur du bassin versant de la Sèvre Niortaise se répandant et prenant toutes leurs aises dans les terres du Marais. Les terres les plus basses, étaient alors merveilleusement envahies pour finir par être recouvertes par une étendue liquide à perte de vue.
Il avait toujours entendu les anciens nommer ces crues magnifiques « les évaïes », un terme qui leur donnait encore plus de mystère et de magie pour le gamin qu'il était. Son père lui avait expliqué que c'est à cause d'elles que les rares cabanes de jardin en plein marais étaient bâties sur pilotis, à presque deux mètres du sol. Elles avaient une drôle d'allure si hautes et pourtant si fragiles qu'il craignait de s'y aventurer.
Dans ce royaume des eaux dormantes, seuls les rangs de peupliers apparaissaient encore et montaient la garde. C'est eux qui lui donnaient le courage d'aller affronter ce monde transfiguré par l'intrusion des eaux. C'est ainsi qu'un jour, alors qu'il avait tout juste une dizaine d'années, son père lui proposa de l’emmener en pleines évaïes, pour une raison qui lui échappa totalement.
Tous deux avaient emprunté le « batai » comme disait ce voisin qui leur prêta volontiers sa petite embarcation. Ils partirent ainsi du port, où les barques affleuraient le quai alors qu'en temps ordinaire il fallait y descendre pour gagner le niveau de la Sèvre. Son père, bien qu'il ne possédât pas de barque maniait la « palle », une simple rame avec le bout du manche en T avec une réelle habilité qui provoquait la fierté de son rejeton. Il évitait par contre d'utiliser la « pigouille », longue perche avec un V de métal au bout avec laquelle il risquait fort de ne pas atteindre le fond !
Ce jour-là, il devait bien y avoir deux mètres d’eau au-dessus du sol. Les buissons avaient disparu sous l’étendue liquide. Les séparations de barbelés également. Bien entendu, tous les animaux de ferme, qui habituellement y paissaient pendant les deux tiers de l’année, avaient été rentrés depuis longtemps (ce qui n’avait pas dû être facile pour les éleveurs du secteur). Dans ce décor fantomatique, l'enfant éprouvait une joie immense.
Il songeait à la Camargue en pensant que les gardians, eux, avaient des chevaux ! Chez lui, ce sont les vaches qui vivent habituellement dans cet écrin de verdure. L'été, il n'était pas rare qu'il doive courir après une bête ou parfois subir de vertes reproches parce qu’il avait laissé filer une vache dans une entrée de pré ouverte. Dans pareil cas, il ne restait plus qu’à réussir à la dépasser d’assez loin, pour éviter de la voir accélérer afin de parvenir à la rabattre vers le reste du troupeau.
La barque glissait lentement sur les flots. Son père était son héros tandis que lui, gravait à jamais ces instants inoubliables. Bien des années plus tard, devenu adulte, il revoyait encore tous les peupliers qui délimitaient les parcelles de terre, et les frênes têtards qui dépassaient un peu du liquide, au fur et à mesure de l’avancée du petit bateau. Les arbustes formaient petit à petit un écran, bien qu’il n’y eût pas de feuilles. Les sons s’estompaient. Régnait un grand silence. Parfois un aboiement de chien, au loin, si loin, lui rappelait que la vie était là, mais simplement endormie en vue d’une résurrection magnifique au printemps.
Ce fut un voyage majestueux, dans un univers quasi onirique, paisible, bouleversant de simplicité.
@babelouest extrait de l’autobiographie