1873, l’année où la France refusa son roi : l’histoire méconnue d’Henri V et du drapeau blanc

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
vendredi 7 février 2025

Imaginez un instant : la France, à peine remise des affres de la guerre franco-prussienne, s'apprête à couronner un nouveau roi. L'Assemblée nationale, à majorité monarchiste, est prête à l'accueillir. Le peuple, las des instabilités politiques, espère un retour à l'ordre et à la stabilité. Et pourtant, ce roi, Henri V, ne montera jamais sur le trône. La raison ? Un symbole : le drapeau blanc. 
 

 

L'héritier "miraculé" : une enfance entre ombre et lumière

Henri d'Artois, duc de Bordeaux, voit le jour le 29 septembre 1820 au palais des Tuileries. Un événement qui tient du miracle pour les royalistes. Sept mois plus tôt, son père, le duc de Berry, a été assassiné, plongeant la famille royale dans le deuil et la succession dans l'incertitude. Cet enfant posthume, dernier espoir de la branche aînée des Bourbons, est aussitôt surnommé "l'enfant du miracle".

 

 

Il grandit choyé par sa mère, la duchesse de Berry, une femme énergique et passionnée, et sous l'œil bienveillant de son grand-père, le roi Charles X. Son enfance est marquée par le faste de la cour et l'ombre portée de l'assassinat de son père. Mais cette insouciance est de courte durée. En 1830, la révolution de Juillet chasse Charles X du trône et contraint la famille royale à l'exil.

 

 

C'est en Autriche, au château de Frohsdorf, que le jeune Henri poursuit son éducation. Loin de la France, il grandit bercé par les récits de la grandeur passée de la monarchie et imprégné des valeurs de l'Ancien Régime. Il s'instruit auprès de précepteurs légitimistes, développe une foi catholique profonde et une vision traditionaliste de la société. Le "duc de Bordeaux" devient le comte de Chambord, symbole de l'espoir d'une restauration pour les monarchistes.

 

 

L'espoir d'une nation : la monarchie à portée de main

Les années passent, les régimes se succèdent en France. La monarchie de Juillet, la Deuxième République, le Second Empire... Autant d'expériences politiques qui, aux yeux des monarchistes, ne font que confirmer l'instabilité du pays et la nécessité d'un retour à l'ordre monarchique.

En 1870, la défaite face à la Prusse et la chute de Napoléon III ouvrent une nouvelle ère d'incertitudes. L'Assemblée nationale, élue en 1871, compte une majorité monarchiste. Le moment semble venu pour le comte de Chambord de faire valoir ses droits et de monter sur le trône.

 

 

Des négociations s'engagent entre les différentes factions monarchistes. D'un côté, les légitimistes, partisans de la branche aînée des Bourbons, soutiennent sans réserve le comte de Chambord. De l'autre, les orléanistes, représentés par Adolphe Thiers, sont prêts à accepter Henri V comme roi, à condition qu'il s'engage à respecter un régime parlementaire. 

 

 

L'intransigeance du "roi" : le drapeau, symbole d'un impossible compromis

Un obstacle de taille se dresse pourtant sur la route du comte de Chambord : la question du drapeau. Pour lui, pas question d'abandonner le drapeau blanc, symbole de la monarchie traditionnelle et de la légitimité dynastique. Il le voit comme l'étendard d'Henri IV, de François Ier, de ses ancêtres. Adopter le drapeau tricolore, ce serait renier l'héritage historique de la France et trahir ses convictions.

 

 

En 1871, il publie une lettre ouverte où il affirme : "Je ne laisserai pas arracher de mes mains l'étendard d'Henri IV. Je le relèverai dans la poussière où il est tombé." Ces mots, loin de rallier l'opinion publique, créent la consternation. Pour beaucoup, le drapeau tricolore représente l'unité nationale, la Révolution, les combats pour la liberté. Le refuser, c'est se couper d'une partie du peuple français et ignorer l'histoire du pays.

Les négociations piétinent. On tente de convaincre le comte de Chambord de faire un geste. On lui propose de conserver le drapeau blanc comme drapeau personnel du roi, tout en adoptant le tricolore comme drapeau national. Mais Henri V reste toujours inflexible. "Je suis le pilote nécessaire", écrit-il en 1873, "mais je ne monterai pas sur le pont si l'on me force à arborer un pavillon que je considère comme un signal de détresse."

 

 

 

Ce qui rend cette situation encore plus consternante pour les partisans de la royauté, c'est que le drapeau blanc n'a jamais été le symbole officiel de la France en dehors de la période de la Restauration (1815-1830). Avant la Révolution française de 1789, il n'y avait pas de drapeau national officiel. 

 

Le poids de l'héritage : une décision lourde de conséquences

Le refus du comte de Chambord de transiger sur la question du drapeau met fin aux espoirs de restauration monarchique. Les monarchistes, divisés et déçus, ne parviennent pas à trouver un autre candidat. La France se tourne alors vers la République. En 1875, l'Assemblée nationale vote les lois constitutionnelles qui fondent la Troisième République.

Le comte de Chambord se retire à Frohsdorf, où il meurt en 1883. Il laisse derrière lui l'image d'un homme prisonnier de ses convictions, incapable de s'adapter aux réalités de son temps. Certains l'ont admiré pour sa fidélité à ses principes, d'autres l'ont critiqué pour son entêtement et son manque de réalisme politique.

Quoi qu'il en soit, le choix d'Henri V a eu des conséquences considérables sur l'histoire de France. Il a marqué la fin définitive de la monarchie et ouvert la voie à une nouvelle ère politique, celle de la République. Le "roi qui ne fut jamais" reste un symbole des tensions entre tradition et modernité, et du poids du passé dans les choix du présent.
 


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