Passer du coq à l’âne
par C’est Nabum
mercredi 12 mars 2025
Changement d'état ?
Jadis jeune coq intrépide et sportif insatiable, la métamorphose ne semblait pas évidente. Il me fallait tout d'abord cesser de monter sur mes ergots tout en évitant désormais de battre de l'aile à la moindre incartade. La modération s'imposait désormais pour éviter que la plus malencontreuse prise de bec tourne en un combat de coq.
Autre désagrément induit par ce changement d'état qui se profilait à l'horizon de mon tas de fumier, je devais cesser de courir les poulettes, de me gonfler de mon improbable et fallacieuse importance. Je devais en rabattre, taire mon caquet une bonne fois pour toute. Même les batailles de clochers qui préoccupèrent tant mes vertes années devaient s'estomper pour revenir sur tête.
Adieu l'immonde basilic et ses légendes terrifiantes. La créature mythologique d'apparence reptiforme, parfois dotée d'une crête en forme de couronne sur la tête qui se distingue avec sa queue de serpent ne devait plus effrayer des donzelles plus jamais promises au bûcher. Je n'étais plus qu'un mauvais diable déplumé, la crête en berne et le souffle court.
Je n'avais plus qu'à raconter des sornettes, m'inspirer des légendes passées pour mêler les chimères de nos traditions à mes propres délires. Pour avancer sur ce nouveau chemin, point question de conserver le coq, même défraîchi comme avatar illusoire, l'éventualité d'une crise aviaire imposant plus de sagesse et la nécessite de revenir à mes origines. Le monde des mammifères m'ouvrait à nouveau ses portes.
Dans cette vaste famille, pour un manieur de mots, le choix s'est imposé de lui-même. Habile dans l'art de brouiller le lexique, de perdre de vue la trame narrative, de m'embrouiller dans les récits, le passage du coq à l'âne était plus qu'une évidence, une belle opportunité qui néanmoins imposa un choix cruel.
La bourrique me tendait les bras, elle avait tout pour plaire si ce n'est que la confusion avec barrique m'aurait mis le rouge aux joues tout en fleurissant gracieusement mon tarin. Il n'était pas besoin d'en rajouter sur ce registre bacchique. En pleine crise du genre, la pauvrette a le désavantage de s'accorder au féminin. Je ne tenais pas à abuser de l'équivoque étant déjà bien assez un personnage interlope.
Le mulet ou la mule eurent pu faire l'affaire aisément même si la mule traînait le pied tandis que le mulet imposait de fermer le ban. Tous deux sont des hybrides ce qui n'est pas fameux pour qui immodestement aspire à la postérité. En Val de Loire, l'hybridation renvoie hélas à de mauvais souvenirs, il convenait de ne pas pousser le bouchon trop loin.
Le bardeau, lui aussi hybride eut pu satisfaire les cinéphiles animalistes penchant vers des doctrines nauséeuses. Il exige de plus une plus grande connaissance lexicale puisque le croisement de l'étalon et de l'ânesse court moins les rues. De plus, il ressemblait bien trop à ce bordeau que je raconte si souvent pour que j'évite de monter à cru sur cette confusion équestre.
En d'autres circonstances, avec un casier judiciaire digne d'un élu du peuple, j'aurais pu opter pour le zèbre et choisir une carrière d'humoriste. Hélas, notre ami rayé n'est en rien autochtone ; il m'eut desservi dès que j'accostai les rives du langage vernaculaire. Je devais mettre un trait et même plusieurs sur ce choix par trop exotique.
L'âne me tendit ses oreilles et sa bonhommie. Il était bien le seul à m'écouter aussi attentivement et à faire hommage au cancre que je fus jadis. Qu'il fut gris et petit ou bien du Berry, il avait tout pour m'aller comme un gant surtout quand il était bâté. Voilà bien la transformation qui me seyait le mieux. Passer du coq à l'âne sans vraiment changer de ligne de conduite, voilà ce qu'il convenait de réaliser au plus vite. Le béret s'imposait pour dissimuler mes excroissances auriculaires et le tour était joué.