Médias : Des chiens de garde en marche ou des professionnels de l’info ?
par gruni
mardi 2 janvier 2024
Alors qu'une nouvelle année pleine d'imprévus vient à peine de commencer, petit regard dans le rétroviseur sur un rendez-vous élyséen d'Emmanuel Macron avec des élites journalistiques. C'était deux jours avant la grande manifestation contre la réforme des retraites. Le 17 janvier, le président de la République invitait secrètement à déjeuner au palais de l'Élysée 10 éditorialistes vedettes de la presse parisienne. Un "secret" de polichinelle découvert quelques heures après par le site "Politico". Comme dans d'autres professions, par jalousie ou égocentrisme, voire pour l'audimat, les journalistes possèdent un talent certain pour se chicorer entre eux et ils le prouvent à chaque occasion !
Mais d'abord, l'idée qu'on se fait du journaliste chien de garde du pouvoir n'est qu'une grossière caricature d'une majorité de professionnels de l'information. Comme était dérisoire d'entendre dire sous Sarkozy que toute la presse était de gauche. En réalité, le journalisme a de multiples facettes et comme la perfection n'est pas de ce monde, la parfaite neutralité n'existe pas plus qu'une totale objectivité. Le média d'opinion détient le mérite d'avoir montré son camp sans hypocrisie, alors que d'autres tentent de préserver un peu de leur indépendance. Il y a la presse nationale accrochée aux réseaux sociaux comme le sont des moules à leur rocher. Et puis le presse locale qui ensemble attire le plus grand nombre de lecteurs, avec l'impératif compliqué de devoir satisfaire tous ses clients sans trop politiquement les froisser. Évidemment, il y a l'exception, le plumitif laquais, seulement ce n'est plus un journaliste, mais rien d'autre qu'un pantin porte-voix de son maître.
Qui étaient donc les dix éditorialistes sélectionnés par un chef d'État alors très anxieux face au rejet de sa réforme par 80% des Français ? Des chouchous ou des toutous à la disposition du pouvoir diront certains, avec pour mission de propager les éléments de langage du président Macron ? Ou plus justement des professionnelles qui ne faisaient que leur travail ?
Des noms, vite des noms :
Guillaume Tabard (Le Figaro), Dominique Seux (France Inter, Les Echos), Françoise Fressoz (Le Monde), Nathalie Saint-Cricq (France Télévisions) et son fils Benjamin Duhamel de BFMTV, à ne pas confondre avec Alain Duhamel son oncle.
Alors, bien sûr, dans la profession, les avis sont partagés...
Guillaume Tabard du Figaro se défend d'être un caniche du président :
« Ces rendez-vous, ça peut être des déjeuners, des dîners, et ça se fait aussi bien avec Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Eric Ciotti, Marine Le Pen… C’est normal d’interroger et de comprendre le travail des politiques », a-t-il déclaré sur le plateau des Grandes Gueules sur RMC. « Ce n’était pas un déjeuner secret. Ils ne sont pas inscrits à des agendas officiels, c’est tout ».
Comme vous vous en doutez, ce n'est pas l'opinion de l'unique Edwy Plenel, toujours volontaire pour verser un peu d'acide sur ses collègues :
« Le déjeuner confidentiel à l’Élysée d’éditorialistes des médias, qui ont tous accepté de taire cette rencontre avec le président tout en reprenant ses éléments de langage, illustre ce "journalisme de gouvernement" contre lequel nous avons créé "Mediapart" ». Ne reste plus au fondateur du journal en ligne qu'à mener l'enquête pour découvrir quel était le menu proposé aux invités du président.
En réponse à Plenel, la riposte cinglante de l’éditorialiste de France Inter, Yaël Goosz : « Que savez-vous de l’usage qui a été fait de cet échange sur l’antenne ? Vous pensez que je suis une machine à recracher des EDL (Eléments de langage, ndlr) ? Avez-vous écouté les journaux mercredi matin ? Un échange avec le PR (Président de la République) ne fait pas de vous un perroquet ».
Quant à cette chère Ruth Elkrief, tombée dans les oubliettes du château, qui n'a même pas été invitée, elle soutient quand même ses confrères :
"Cette polémique inutile et stupide me fait penser que parmi nos confrères journalistes, le populisme a gagné. C'est-à-dire que le populisme était politique, maintenant il est devenu journalistique", "C'est notre métier d'aller à la source de l'information et de rencontrer les acteurs de la vie politique (...) Ils n'ont fait aucune faute." "Grosse hypocrisie collective ! C'est vraiment, presque, une forme de complotisme" "C'est pas bien, d'accentuer la défiance, qui est déjà grande (...) c'est pas rendre service à l'ensemble de la profession... Y compris à Médiapart".
La CGT France tv n'est pas du tout d'un avis favorable à l'invitation élyséenne. Le titre et le contenu de son article en est la démonstration irréfutable "Déjeuner à l’Elysée Les chiens de garde vont toujours à la soupe". La suite est du même tonneau : "Dans la gamelle de ce déjeuner animé par le Président de la République en personne, des éléments de langage choisis pour aboyer sur les opposants à la réforme. Leur mission est de la défendre, quoiqu’il en coûte !"
Rien ne pourra y faire, la concurrence, parfois la guéguerre entre journalistes, sur le papier ou le web ne finira jamais. Sans oublier l'hypocrisie chronique des partis politiques qui mettront une défaite aux élections sur le dos des médias, mais qui oublieront d'en parler en cas de victoire. Dans tout ça, que peuvent bien penser les Français de ce « je t'aime moi non plus » entre la presse et les politiques. La danse Saint-Guy médiatique est vraisemblablement l'une des causes de ce désamour de la presse par des citoyens fatigués par un trop-plein qui peut créer la confusion.
Une petite pincée d'Histoire de France pour finir. "Le 25 mars 1959, 500 reporters sont convoqués à l’Élysée pour assister à une conférence de presse du général de Gaulle, fraîchement élu à la tête de l’État. Le temps a passé, qui aujourd'hui pourrait imaginer le général De Gaulle sur les réseaux sociaux, pour y écrire « La presse est contre moi, la télévision est à moi ! ». Changement d'époque, faut-il vraiment la regretter, voire revenir aux crieurs publics du Moyen Age..."Oyez, oyez, avis à la population !"
Illustration empruntée au site L'insoumission