Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 12 juin 2024

« Oui, 2024 sera vous l’avez compris un millésime français. Parce que c’est une fois par décennie que l’on commémore avec cette ampleur notre Libération. C’est une fois par siècle que l’on accueille les Jeux Olympiques et Paralympiques. Et c’est une fois par millénaire que l’on rebâtit une cathédrale. C’est une fois par génération que le destin de la suivante se joue comme sans doute il se joue maintenant. (…) Oui, cette année, beaucoup de notre avenir se détermine. Alors, à nous de faire ensemble. À nous de choisir plutôt que de subir, à nous de tracer la route plutôt que de suivre. » (Emmanuel Macron, allocution télévisée du 31 décembre 2023).

Je reviens sur les résultats des élections européennes de ce dimanche 9 juin 2024 en France (j'évoquerai le reste de l'Union Européenne dans un article ultérieur). Il est des moments de l'histoire qui s'accélèrent à vitesse folle, et c'est le cas de ces semaines actuelles. Je me dépêche donc d'évoquer ces élections européennes qu'on a complètement oubliées en France après l'allocution présidentielle (il y a de quoi s'étonner qu'un Président aussi pro-européen efface aussi vite l'écho médiatique des européennes pour plonger la France dans la politique politicienne pendant un mois).

Les résultats officiels (mais non définitifs) peuvent être lus à ce lien. Le premier enseignement est que, pour des élections européennes, la participation est à la hausse (légère hausse) par rapport à mai 2019, elles mêmes en hausse par rapport à 2014. C'est clair que lorsqu'il y a un enjeu, il y a une mobilisation. Néanmoins, avec 51,5% des inscrits, elle reste encore très faible et insuffisante : un électeur sur deux n'a pas pris part au vote. Dans le bureau de vote que je tenais, il y avait parfois la queue (une dizaine de personnes), mais aussi des moments de solitude (pas seul, je rassure, une urne ne doit jamais être sans la surveillance d'au moins deux personnes).

Le dépouillement aurait pu être rapide mais avec le nombre de listes très élevé (trente-huit) et leur dénomination qui souvent ne fait intervenir ni le nom de la tête de liste ni le numéro d'ordre, c'est parfois difficile de ne pas se tromper de case. Ainsi, à une table de dépouillement, le bulletin de l'écologiste Jean-Marc Governatori a été confondu avec celui de l'écologiste Marie Toussaint. Combien d'électeurs ont-il peu se perdre dans la confusion ? Je l'ignore, mais c'est en tout cas astucieux de la part de Jean-Marc Governatori qui avait été candidat à la primaire des écologistes en 2021.

Passons aux résultats en eux-mêmes et à leurs enseignements. Il n'y a pas eu de surprise puisque, pour les grandes listes, cela correspond à peu près aux derniers sondages, avec un resserrement entre Valérie Hayer et Raphaël Glucksmann, mais les courbes sans se croiser, une remontée de Manon Aubry et deux listes qui ont failli passer sous la barre de 5%.

Il faut donc dire ce qui est, le défaite annoncée est bien là : pour la liste conduite par Valérie Hayer pour le compte de la majorité présidentielle, que j'ai soutenue, c'est une énorme défaite avec seulement 14,6% des voix, elle fait nettement moins que la liste macroniste de 2019 et ne fait rentrer au Parlement de Strasbourg que 13 élus, ce qui est faible pour peser sur un groupe, toujours le troisième, Renew, qui devrait peser 79 sièges sur 720. L'honneur est sauf de devancer la liste socialiste, mais il n'y a pas de quoi être fier avec seulement moins de 200 000 voix d'avance (0,8%). Selon certaines sources, l'Élysée était persuadé, même à la fin de la campagne, que Valérie Hayer remonterait à 20% des voix.

Inversement, la liste de Jordan Bardella a obtenu une très belle victoire avec 31,4% des voix et 30 sièges. D'un point de vue historique, c'est le deuxième meilleur score pour des élections européennes depuis 1979, le premier étant les 43,0% de la liste menée par Simone Veil en juin 1984. Localement, c'est aussi la Bérézina partout : plus de 97% des communes de France ont placé la liste RN en première position, et à l'exception de deux départements, quasiment tous les départements, et toutes les régions ont placé la liste RN en première position. C'est donc un mouvement de fond et général sur tout le territoire. Se placer systématiquement en première position partout, cela signifie que dans quasiment toutes les 577 circonscriptions, le RN est assuré d'être présent au second tour si son candidat n'est pas élu dès le premier tour. C'est donc impressionnant et très rare dans l'histoire électorale de la France.

Mettons cependant un petit bémol dans cette victoire du RN. Incontestablement, c'est la plus belle de ce parti depuis cinquante-deux ans, c'est vrai, et à ce titre, elle restera dans les livres d'histoire. Mais tentons de relativiser pour se donner la perspective des élections législatives anticipées qui arrivent. Il est parfois très instructif de prendre les résultats brut, c'est-à-dire, le nombre de voix, c'est-à-dire, derrière les chiffres, les personnes. Jordan Bardella a rassemblé près de 7,8 millions de voix, c'est beaucoup, mais un peu moins que Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle d'avril 2022 : 8,1 millions de voix. Comme il y a moins de participation, les pourcentages sont très différents entre 2024 et 2022, mais on peut imaginer que le RN a réussi à mobiliser quasiment tous ses primoélecteurs de 2022 (et cela, c'est un bel exploit). Inversement, Valérie Hayer n'a recueilli que 3,6 millions d'électeurs, tandis que candidat Emmanuel Macron avait obtenu au premier tour de l'élection présidentielle d'avril 2022 près de 9,8 millions d'électeurs. Où sont donc passés les 6,2 millions d'électeurs qui ont manqué à la liste de la majorité présidentielle ? J'insiste : c'était au premier tour (pas second), et Emmanuel Macron avait déjà exercé son premier mandat (ils le connaissaient donc). Certains de ses primoélecteurs de 2022 ont pu être déçus, évidemment, et l'abandonner en cours de route, mais les deux principales réformes clivantes qui ont été adoptées en deux ans, réforme des retraites et loi Immigration, avaient été annoncées pendant la campagne présidentielle, il n'a pas eu de surprise à ce sujet. Valérie Hayer n'a donc su mobiliser qu'un tiers de l'électorat macroniste. Elle est là, la réserve de voix de la Macronie pour les élections législatives anticipées. L'enjeu pour la majorité présidentielle, c'est de mobiliser son propre électorat !

La bonne performance de la liste de Raphaël Glucksmann (13,8% des voix et 13 sièges aussi, François Kalfon élu in extremis) n'a rien à voir avec le PS, très peu visible et audible dans cette campagne. Son éloignement du PS dès ce lundi 10 juin 2024, puisqu'il refuse absolument toute alliance avec FI, montre que ses électeurs se sont fait duper : voter pour Raphaël Gluckmann était voter pour Jean-Luc Mélenchon, même s'il refusait de le reconnaître (et malgré lui !). En clair, la majorité présidentielle peut avoir une réserve de voix dans l'électorat de Raphaël Glucksmann (pas la totalité mais une bonne partie). La rapidité à se mettre ensemble des partis de la Nupes, même le PCF, montre qu'ils restent les mêmes, sous allégeance des insoumis qui, par ailleurs, ont fait plutôt bonne performance en frôlant les 10% (9,9% des voix et 9 sièges).

La liste LR, si elle fait mieux que Valérie Pécresse en 2022, reste à plafonner comme en 2019, avec 7,3% des voix, soit 6 sièges, empêchant la réélection de Brice Hortefeux (pas celle de Nadine Morano qui a failli y passer). Cela confirme une nouvelle fois, depuis 2019, que le parti Les Républicains est devenu une petite formation politique, avec ce grand écart entre la tentation Le Pen et la tentation Macron (la campagne des législatives risque d'y apporter un point final).

Les deux dernières "grandes" listes ont failli n'avoir aucun siège. Les écologistes de Marie Toussaint n'ont obtenu que 5,5% des voix (5 sièges), soit moins de la moitié de la liste de Yannick Jadot en 2019. Il est clair que les électeurs ont exprimé un ras-le-bol des contraintes voulues par la transition écologique, dont a été aussi victime la liste de la majorité présidentielle. En revanche, nouvelle formation dans le paysage politique, Reconquête, le parti d'Éric Zemmour, s'y ancre avec 5,5% aussi (moins de 9 000 voix d'écart avec les écologistes), envoyant cinq élus à Strasbourg : Marion Maréchal, Guillaume Peltier, tous les deux anciens députés, Sarah Knafo, très proche d'Éric Zemmour, Nicolas Bay, député européen sortant ex-RN, ainsi que Laurence Trochu, président ex-LR de Sens commun. En comptant cette liste, le niveau électoral de l'extrême droite est donc très élevé en France puisqu'il correspond à environ 37% de l'électorat. C'est énorme !
 

Passons aux "petites" listes. Celle de Léon Deffontaines, du PCF, bénéficiant pourtant des plateaux de télévision comme les "grandes", n'a pas réussi à gagner de siège (le député européen sortant Emmanuel Maurel est donc battu). C'était sans surprise, et son score de 2,4% correspond aussi aux estimations des sondages. De tous les candidats qui n'ont pas bénéficié de cette devanture médiatique, la liste de Jean Lassalle est la première, avec 2,4% aussi, elle ne fait que 1 000 électeurs de moins que les communistes et pourtant, elle a été complètement négligée par le paysage audiovisuel français. C'était pourtant prévisible, en 2022, Jean Lassalle avait récolté sur son nom 3% des voix.

Ensuite, arrive Hélène Thouy, du Parti animaliste, qui, comme en 2019, sans beaucoup de publicité, a fait encore une bonne performance, 2,0% des voix (près de 500 000 voix), ce qui n'est pas rien. En 2019, elle s'affichait avec un chien. L'affiche avait alors été décisive pour des électeurs hésitant encore devant leur bureau de vote avant d'aller voter. Cette année, l'affiche est encore plus attractive puisqu'il s'agit d'un chat sur une épaule humaine, et aujourd'hui en France, il y a plus de possesseurs de chats que de chiens.



La onzième liste (sur trente-huit) est celle de l'écologiste centriste Jean-Marc Governatori, avec 1,3% des voix, la bouille plutôt sympa et bénéficiant peut-être d'une proximité graphique du bulletin de la liste EELV. Les deux suivants sont les frères ennemis du Frexit qui, décidément, n'est pas voulu par les Français (tant mieux !), avec l'ennuyeux François Asselineau 1,02% des voix et l'excité Florian Philippot 0,93%, seulement 23 000 voix les séparent.

Je termine avec trois listes encore : celle de Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) qui a fait 0,5% des voix (on est loin de hauts scores d'Arlette Laguiller en juin 1999 : 5,2% des voix !), et deux listes écologistes périphériques, celle de Yann Wehrling (ex-EELV, ex-MoDem) à 0,4%, et Équinoxe de la souriante Marine Cholley à 0,3%. Je renonce à évoquer les 22 autres listes qui ont rassemblé chacune moins de 65 000 électeurs et moins de 0,26% des voix, sinon pour évoquer le sort du député européen sortant Pierre Larrouturou, élu sur la liste socialiste en 2019 et tête de liste de son nanoparti Nouvelle donne, qui n'a fait que 0,05% des voix (on est à la deuxième décimale, en général, je l'évite !) et 13 068 électeurs (à confirmer avec les résultats définitifs). Les élections sont souvent rudes pour l'ego des candidats. Et évoquer aussi le sort de la liste commune de Francis Lalanne et Dieudonné : 5 474 voix (sous réserve des résultats définitifs), soit 0,02% (ayé, on a levé l'hypothèque Lalanne !!).

Ah si, j'en évoque pour l'anecdote une dernière, la toute dernière liste du tableau, c'est la liste Démocratie représentative menée par le militant communautariste Hadama Traoré, et il a rassemblé officiellement (sous réserve des résultats définitifs) ...749 voix ! (même pas 8 voix par département !), soit 0,003% (on est à la troisième décimale !).

Je proposerai un article sur ce que cela va signifier sur le plan européen (où, finalement, il y aura peu de changements dans l'ensemble), mais la signification politique franco-française, elle est déjà largement dépassée avec la décision du Président de la République qui a immédiatement fait table rase.

Emmanuel Macron aurait pu tendre le dos et attendre que cela se passe. Par exemple, l'échec de la majorité est moins cuisant que celui de François Hollande et Manuel Valls en mai 2014 (mais ce n'est pas un modèle), où les listes PS (de la majorité présidentielle) n'avait fait que 13,98% des voix face aux listes du RN 25,0% et celles de l'UMP 20,8%. Si la liste Hayer a fait moins de la moitié de la seule liste au-dessus d'elle, ce n'est pas un tiers ni placée en troisième position. La venue des Jeux olympiques et paralympiques auraient rapidement fait oublier la cuisante défaite, et la rentrée 2024 aurait été dans un autre contexte. Mais le Président de la République a préféré un coup de poker en usant de son outil de la dissolution. On verra donc ce qui surnagera dans quelques semaines, mais ça promet quelques remous et des lignes qui bougent voire des partis qui explosent en plein vol (à suivre !).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 juin 2024)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.
Élections européennes 2024 (3) : y aura-t-il une surprise dimanche soir ?
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Programme de la liste Hayer à télécharger (6 mai 2024).
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