Taishan ou Les Longues Marches
par François Blocquaux
mardi 4 août 2009
6000 marches, écrit Lonely Planet.
Ce compte, trop rond, m’est suspect.
6660, pour National Geographic.
6666, renchérit le Guide Bleu.
7000, annonce le Guide Epigones, pour faire bonne mesure.
Qui dit mieux et qui croire parmi ces guides ?
Ces marches, je ne les ai pas dénombrées et, si je l’avais entrepris, me serais très vite emmêlé dans les additions, trop préoccupé, à la montée, par l’état de mes mollets et de mon souffle, et, en descendant, par celui de mes rotules et de mes chevilles.
L’Histoire atteste que l’Empereur Qianlong, Confucius et Mao m’avaient précédé, sur cette distance de 7,5 km, qui, de la Porte du Sud au sommet, accuse un dénivelé de 1460 mètres.
Quasiment d’un bout à l’autre, des marches, des marches, des marches, presque d’une seule volée. Pratiquement pas de paliers, ni d’éboulis rocheux, à l’inverse des autres montagnes sacrées, où une légère descente, le faux plat, l’escalier grossier, puis à des marches régulières se succèdent et permettent un changement de rythme.
Ici, à Taishan, c’est la régularité implacable de degrès aux arètes vives, d’une égale hauteur. Et que dire des virages où la pente semble plus raide ? Et du vertige qui vous saisit quand, vous retournant pour mesurer le chemin parcouru, ondulent et moutonnent sous vos pieds, telle une énorme chenille animée, les têtes et les dos des grimpeurs qui vous suivent ?
L’assurance de passer le cap des cent ans, voire l’immortalité, sont les récompenses promises par la tradition aux audacieux qui surmontent leurs douleurs et passent sous la voute sommitale à la force de leurs seuls muscles.
D’autres « moteurs » vous tirent et vous poussent vers le haut.
Pêle-mêle :
L’amour-propre du long nez qui, noyé dans la foule chinoise, veut faire bonne figure et accepte même, en souriant, de stopper son effort pour se faire tirer le portrait, flanqué de la maman et du jeune fils, par le papa photographe, désireux d’immortaliser cette rencontre incongrue.
La compétition silencieuse avec le porteur, ployant sous le poids des charges accrochées au bambou qui lui meurtrit l’épaule et auquel on adresse ce discours silencieux : « J’arriverai à suivre ta cadence et tu ne me décrocheras pas. »
Les conversations, forcément décousues, conduites avec des étudiants qui veulent prouver la qualité de leur anglais et vous accompagnent un long bout de conduite, vous obligeant à forcer l’allure pour n’être pas ridicule.
La perspective de s’arrêter dans la prochaine gargote pour se rafraîchir avec des tranches de pastèques et une décoction de feuilles sèches d’origine incertaine, dans des récipients façonnés dans des tiges de bambous.
Un sentiment d’appartenance à une étrange confrérie de pénitents-alpinistes, aux profils fort divers - familles, sportifs, militaires, personnes âgées,…- qui plutôt que de se flageller à Séville ou d’user leurs semelles tout au long du chemin de Saint Jacques de Compostelle, a fait le choix de gravir pas-à-pas cet escalier dont l’ultime marche débouche sur le vide.
Si de nombreuses inscriptions sur les rochers jalonnent le parcours, il n’y a au sommet ni temple remarquable, ni mausolée, ni ruine. Le paysage, l’espace, la vue, le pic de l’Empereur, le pic de la Contemplation du Soleil, et la perspective de contempler le lever du jour le lendemain matin sont le seul salaire et l’unique rétribution de l’effort accompli.
J’oubliais le caravansérail propre à tout site, l’unique hôtel, les cafés-restaurants aux terrasses encombrées, le bureau de poste forain vendant enveloppes, timbres et coups de cachet attestant que vous étiez bien à Taishan ce jour-là.
La fraîcheur physique des visiteurs est d’ailleurs fort différente de l’un à l’autre et à la mesure des moyens de transport choisis. Ceux qui sont frais comme l’oeil, ayant opté, sans nul doute, pour le bus, qui effectue par l’ouest la première partie de la montée, puis pour le téléphérique qui achemine au sommet.
Pour avoir vu des porteurs qui descendaient, à vide, une chaise en bambou sur leurs épaules, j’en ai déduit que certains usaient de ce procédé…à moins qu’ils ne soient payés par l’Office du Tourisme pour donner une touche pittoresque.
Qu’en aurait pensé et dit Confucius ?
Si vous vous sentez d’attaque, participez au mois de septembre à la course qui réunit les meilleurs poumons, cœurs et jarrets de la province.
A chacun sa voie !