L’étonnante insouciance des marchés boursiers

par Eliane Jacquot
vendredi 2 juin 2023

Dans un ordre mondial de plus en plus fragmenté, une étonnante insouciance règne sur les marchés boursiers et ce malgré la recrudescence de l'inflation et la hausse des taux d’intérêt. Il y a aujourd'hui de multiples signes de fragilité susceptibles de menacer la stabilité financière, mettant à l'épreuve l'ensemble des agents économiques 

Situation des marchés financiers mondiaux

En France l'indice CAC 40 dividendes réinvestis est en 2022 supérieur de 7% de son record historique de 2021. Les entreprises qui le composent ont versé 56,5 Mds d'Euros de dividendes et ont procédé à 23,7 Mds d'Euros de rachats d'actions. Disposant d'un pouvoir de marché en raison de leurs poids et leurs positions dominantes dans certains secteurs (énergie, alimentation, luxe ), elles ont répercuté les surcouts des matières premières agricoles, pétrolières er gazières dans leurs prix de vente, et ce n'est pas l'augmentation des volumes, mais celle des prix qui explique leurs bons résultats. Le Stoxx 600 européen a progressé de 12,9 %en 2022 et les très grandes capitalisations affichent des gains supérieurs à leur indice. Ces résultats sont-ils reproductibles dans l'avenir ? La diminution de la croissance mondiale qui « touchera son niveau le plus bas à 2, 8% cette année » l'inflation mondiale qui « va diminuer, mais plus lentement qu'attendu, passant de 8 7% en 2022 à 7% en 2023 » d'après le FMI, dans un contexte de la baisse des prix de l'énergie et de sous rémunération du travail.

Les marchés boursiers des deux cotés de l'Atlantique sont artificiellement gonflés par ces entreprises qui recourent massivement aux rachats de leurs propres actions ayant pour effet de faire monter leurs cours et conduisant à une insuffisance chronique d'investissements, particulièrement dans le secteur de l' énergie. Les gouvernements auraient du les inciter fiscalement à orienter leurs surplus de trésorerie vers le financement de l'innovation… mais il n'en a rien été.

Les vulnérabilités de la finance non bancaire

Les acteurs du « Shadow banking » sont représentés par des institutions financières non soumises à la régulation bancaire qui agissent sur le marché privé du crédit. Depuis 2008, leur volume a considérablement augmenté, s'élève à 239 Mds de $ selon la Banque de France ( 1) et représente près de 48 % des actifs financiers mondiaux. Leur modèle économique repose sur l'endettement et regroupe des « Hedge Funds » des acteurs du « Private Equity », des sociétés d'assurances. Leur opacité complique l'évaluation des risques potentiels pour les superviseurs. Récemment, la Banque d' Angleterre et le directeur de la SEC ( Securities and Exchange Commission ) s'en sont inquiétés ...en vain. Les prêts à effets de levier, les dettes hypothécaires commerciales et résidentielles pourraient être vecteur d'une crise imminente dans un contexte d'inflation élevée. Exclus du mécanisme de garantie des dépôts les acteurs de l'intermédiation financière non bancaire ( IFNB) souvent filiales de banques ou de sociétés d'Assurances sont « vecteurs de risques de propagation systémique. » ( 1) En résumé, la finance non bancaire devrait faire l'objet d'une vigilance particulière, mais il n'en est rien.

Une éventuelle entrée en récession des Etats-Unis dans un environnement bancaire fragilisé

Les quatre faillites de banques régionales observées au cours de ce mois de Mars ont servi de révélateur aux fragilités du secteur. La forte hausse des taux directeurs de la Fed qui sont passés de 0 à plus de 5% sur un an accroit le niveau de risque que subissent les banques de petite et moyenne taille. Ces dernières sont des intervenantes essentielles dans l'octroi de prêts immobiliers commercial, résidentiel et à la consommation, et 1500 Mds de $ de dettes relatives à l'immobilier commercial arriveront à échéance au cours des trois prochaines année. On observe aussi un recul des marges bénéficiaires des entreprises depuis 2021 ainsi qu'un ralentissement de la croissance des salaires. La récession a été évitée de par la baisse de l'inflation sans hausse du chômage confirme dans un communiqué, Janet Yellen, Secrétaire américaine au Trésor.

Dette privée des entreprises et des ménages

Au moment où les conditions financières se durcissent et où l'activité économique ralentit, il semble utile de rappeler que l'endettement des entreprises fait peser des menaces sur l'emploi et ralentit la croissance. Un recours de leur part au financement par fonds propres serait le bienvenu, suivant en cela l'exemple de Joe Biden qui souhaite taxer à 30% le rachat par les entreprises de leurs propres actions. Toujours d'après des statistiques publiées récemment par la Banque de France, le taux d'endettement des ménages en pourcentage du PIB en 2022 est beaucoup plus élevé aux Etats-Unis ( 101,6 % ) que dans la zone euro ( 57,2% ). les banques américaines fragilisées, comme au moment de la crise des subprimes, vont-elles de nouveau être confrontées à des défaillances venant de crédits hypothécaires accordés à des foyers pauvres ?

Dette des pays émergents

Certains d'entre eux sont confrontés depuis la crise sanitaire à une dépréciation de leur monnaie et à un renchérissement du cout de leur dette. Dans un tel contexte, on observe une accélération des défauts de paiemen . Cinq pays sont concernés : Ghana, Liban, Sri Lanka, Pakistan, Zambie. Malgré l'appel de la Directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva visant à accélérer le processus de restructuration, dans le cadre commun crée par les pays du G20 en novembre 2020. La Chine qui détient près de 20% de la dette externe des pays émergents vulnérables, bloque le mécanisme, pendant que la pression internationale monte. C'est ainsi que 60% de pays à faible revenu courent un risque de surendettement.

Est-il possible de limiter ces errements de la finance de marché en l'absence de volonté politique et règlementaire( banques centrales ) au niveau international visant à la réguler ? Peut- être à l'issue de la prochaine crise, période de retournement de la hausse du cycle financier, qui ne saurait tarder. Il restera alors indispensable de corriger l'hypertrophie de la finance, et d'un modèle de société fondé sur l'endettement privé. Cela devrait impliquer un rôle accru donné aux banques centrales qui n'ont pas réussi à contrôler les acteurs de la finance de l'ombre et à contraindre les banques systémiques à isoler leurs activités de marché. Il faudra aussi, en se libérant du « fondamentalisme du marché » (Michel Aglietta) contraindre les entreprises du secteur public et privé à investir dans l'économie réelle au service des citoyens, face a des enjeux collectifs tels que le défi climatique auquel nous sommes confrontés.

( 1) Shadow Banking ou IFNB, Banque de France , Mars 2023 

 


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