La retraite de Philippe Martinez

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 8 mars 2023

« Il faut que les députés assument leur choix parce qu'ils ont des comptes à rendre aux électeurs. (…) Le fait de ne pas avoir permis ce vote [de l'article 7 qui repousse l'âge à 64 ans] fait que (…) des députés nous disent : "mais vous ne savez pas ce que j'aurais fait à l'Assemblée Nationale puisqu'il n'y a pas eu de vote". Ils ont des comptes à rendre aux électeurs. » (Philippe Martinez, le 7 mars 2023 sur France Info).
 

Le secrétaire général de la CGT, du deuxième syndicat de France (la CFDT a dépassé la CGT en mars 2017 pour la première place), Philippe Martinez va suivre, pour lui-même, le code du travail avant le projet de réforme des retraites : il aura 62 ans le 1er avril 2023 et il ne sera plus le chef de la CGT, au sommet d'une gloire (temporaire), celui du mouvement social contre le projet du gouvernement.

En effet, il "lâchera" son mandat au prochain congrès de la CGT qui aura lieu du 27 au 31 mars 2023 à Clermont-Ferrand. Il souhaiterait laisser le témoin à une femme, Marie Buisson (enseignante dans un lycée professionnel), mais des centrales plus extrémistes souhaiteraient proposer une autre figure, ce qui risque de créer une véritable division au sein de la CGT (Olivier Mateu, qui tenait des propos « guerriers », selon l'expression de Philippe Martinez, en menaçant, il y a quelques mois, de mettre le feu dans les raffineries en cas de réquisition, serait parmi les prétendants, également Céline Verzeletti).

Pour Philippe Martinez, il faut une CGT « encore plus ouverte, qui s'intéresse à tous les problèmes de la société et qui ne considère pas que l'écologie ou le féminisme, ce sont des problèmes sociétaux » et il a ajouté, sur France Info : « On aurait tort d'avoir une CGT qui se replie sur elle-même, qui considère qu'elle a raison toute seule. ».

La journaliste Fanny Guinochet considérait, le 7 mars 2023 sur France Info, que l'affrontement au prochain congrès provoquerait des surenchères : « En attendant, ces tensions internes promettent de peser sur la mobilisation contre les retraites, car les soutiens de Céline Verzeletti risquent de vouloir faire monter la pression avant le congrès. Pression sur le gouvernement, mais aussi sur Philippe Martinez, histoire de lui montrer qu'ils ont les moyens de contrecarrer son plan de succession. ».

Philippe Martinez est arrivé à la tête de la CGT le 3 février 2015 un peu par hasard, en pleine crise. Son prédécesseur Thierry Lepaon, qui semblait avoir une faible personnalité, était critiqué pour son train de vie et au bout de dix-neuf mois, a dû démissionner. Technicien et pas ouvrier, il n'était alors pas connu du grand-public. Progressivement, il s'est imposé comme l'une des grandes figures syndicales contemporaines (qui serait capable de donner le nom d'un autre dirigeant syndical actuel autre que lui et Laurent Berger de la CFDT ?), aidé probablement par ses moustaches et son air assez tranquille.

Refusant de bloquer immédiatement le pays avant de faire les cinq premières journées de grève et de manifestation pour s'opposer à la réforme des retraites, Philippe Martinez est partisan, au contraire de Laurent Berger, de la reconduction systématique des journées de grèves à partir du 7 mars 2023, puisque, selon lui, le gouvernement n'a pas écouté les manifestants (qui, soit dit en passant, bien que nombreux, sont très loin des 18,8 millions d'électeurs qui ont reconduit Emmanuel Macron pour un second mandat ; rappelons que Philippe Martinez n'a pas caché avoir voté pour lui).



Invité de la matinale de France Info, la seule station de radio du service public qui n'était pas en grève ce mardi 7 mars 2023, Philippe Martinez a confirmé ce qu'on pouvait subodorer depuis longtemps : il n'a aucun contact avec Jean-Luc Mélenchon, incapable de dire à quand remonte sa dernière conversation avec lui, et en tout cas, cela remonte à avant le début de cette année.

Philippe Martinez est très remonté contre les députés FI car ils ont empêché le vote de l'article 7 du projet de réforme, celui qui repousse l'âge de la retraite à 64 ans (cet article 7, le Sénat devrait procéder à son vote ce soir ou demain). Il n'est pas du tout d'accord avec la stratégie mélenchonienne de terre brûlée. Parce que le vote aurait mis dans l'embarras bien des députés, y compris des députés de la majorité qui peuvent ainsi se permettre de lui dire, un peu lâchement, qu'ils n'ont pas voté l'article (ni le projet). Le chef de la CGT voudrait, au contraire, que les députés prennent leurs responsabilités et assument leur choix.

Cette fracture, finalement, qui se trouve au sein même de la CGT puisque la fédération des Bouches-du-Rhône (Olivier Mateu) est beaucoup plus extrémiste que le siège à Paris, est très notable au sein de la gauche, entre une gauche révolutionnaire de pacotille (des élus immatures passant leur temps dans un fauteuil à liker dans les réseaux sociaux), de type insoumis, et la gauche traditionnelle qui fait son boulot, à l'Assemblée ou dans la rue, de type communiste (Philippe Martinez a quitté le PCF en 2002). La Nupes aussi est traversée par cette ligne de division.

Philippe Martinez termine en beauté ses huit années de mandat, avec une manifestation de 700 000 personnes à Paris selon la CGT (ce qui est une estimation excessive et les statistiques de la police, pas encore publiées, sont certainement plus proches de la réalité ; au niveau national, 1,28 million de manifestants selon la police, 3,5 millions selon la CGT). Son départ de la tête de la CGT en pleine opposition au projet de réforme des retraites constituera probablement un handicap car il a su incarner une opposition syndicale raisonnable bien que frontale que pouvaient suivre de nombreux opposants "modérés". Si l'aile extrémiste de la CGT venait à gagner le congrès dans trois semaines, les grèves seraient paradoxalement plus dures mais moins efficaces car "l'opinion publique" ne suivrait plus.

De toute façon, la loi est votée au Parlement et pas dans la rue. Il y a donc peu d'incertitude sur l'issue de ce texte. À moins d'une nouvelle pandémie !...


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Sylvain Rakotoarison (07 mars 2023)
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