Le Français Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 8 décembre 2022

« Ce n’est pas du tout de l’argent que j’ai sur mon compte. C’est la valeur des actions du groupe. Si les actions montent, ça monte, si les actions baissent, ça baisse. » (Bernard Arnault, "Le Monde" du 26 novembre 2019).

Un titre qui est fait pour attirer tant l'argent attire, dans un sens ou dans un autre. S'il est vrai, il est incomplet : Bernard Arnault (73 ans), patron du groupe de luxe français LMVH, a été l'homme le plus riche du monde pendant quelques heures ce mercredi 7 décembre 2022. C'est plus précis.

En effet, si lui et sa famille sont généralement au deuxième rang mondial dans le classement de la revue Forbes chaque année des grandes fortunes de la planète, cette année derrière Elon Musk, il existe aussi un classement en temps réel qui évalue les fluctuations des fortunes.

On pourra d'ailleurs toujours critiquer la méthode pour estimer la fortune d'une personne, puisque sa plus grande part reste très virtuelle, c'est le nombre d'actions multiplié par la valeur de l'action au temps t. Comme cette valeur fluctue tous les jours, les fortunes fluctuent aussi. Et si le classement change souvent au fil des années, et surtout, si les estimations grossissent énormément au fil des années, c'est avant tout grâce à la forte valorisation des entreprises dont les milliardaires sont propriétaires.

C'est donc une richesse qui est sur le papier, qui est réelle, bien sûr, car si le propriétaire de ces actions les vendait toutes, il recevrait cet équivalent sonnant et trébuchant, mais cela ne signifie pas qu'il est comme oncl' Picsou, sur une montagne d'or.

Cette explication permet de comprendre que le classement est, lui aussi, très virtuel, puisqu'en fonction du cours des actions, certains seront plus ou moins avantagés. Ce fut le cas de Bernard Arnault, qui a atteint la première place mondiale des milliardaires, avec une estimation de 184,7 milliards de dollars. Il a détrôné ce jour le premier du classement, Elon Musk, patron de Tesla, SpaceX et maintenant de Twitter, en raison d'un recul de l'action de Tesla.

Cependant, à 18 heures 30, Elon Musk est repassé devant Bernard Arnault (on est comme aux petits chevaux), avec une fortune de 184,9 milliards de dollars, tous les deux loin devant Gautam Adani (développeur portuaire et producteur d'électricité en Inde), avec 134,8 milliards de dollars, et Jeff Bezos, le patron d'Amazon, avec 111,3 milliards de dollars. Bill Gates (Microsoft) n'est qu'à la sixième place autour de 105 milliards de dollars et la famille Bettencourt (L'Oréal) à la quatorzième place avec environ 75 milliards de dollars (ces deux dernières estimations sont reprise du classement Forbes de 2022 et sont probablement "périmées"). Dans cette cour des très grands, Xavier Niel (Free), par exemple, est un "petit joueur" (!) avec une fortune de "seulement" 10 milliards d'euros (Il serait à la 230e place mondiale, selon Forbes, avec 5% de la fortune de la famille Arnault !).

Bernard Arnault s'était déjà hissé à la première place mondiale le lundi 24 mai 2021 pendant quelques heures, de 9 heures à 14 heures 30, en détrônant cette fois-ci Jeff Bezos, le premier de l'époque, de 300 millions de dollars, mais le patron de LVMH a dû rendre la première place à l'ouverture de la bourse à New York. La valeur patrimoniale de l'industrie de luxe est en hausse très largement ces dernières années, ce qui explique ces performances (les actifs de la famille Arnault ne valaient que 76 milliards de dollars en 2020). Moët Hennessy Louis Vuitton possède un portefeuille de plus de soixante-quinze marques de luxe qui sont très courues, comme Christian Dior, Givenchy, etc. La croissance du groupe est exceptionnelle, malgré la crise du covid-19 (Bernard Arnault, qui jouissait d'un salaire d'environ 8 millions d'euros par an comme patron en 2016, ne s'était pas payé en avril et mai 2020 au cause de la crise sanitaire).

Une petite remarque en passant : pourquoi vouloir être le premier ? C'est un peu ce qu'on a pu comprendre quand on a découvert les malversations supposées de l'ancien président de Renault, Carlos Ghosn. Quand on a 100 millions, pourquoi vouloir tripatouiller pour en avoir 110 ? Simplement parce qu'entre grands patrons, la valeur de la fortune et de la rémunération est le signe qu'ils sont les meilleurs. Il y a donc une course qui n'est même plus pécuniaire mais surtout égotique. L'existence de ce type de classement comme celui de Forbes, qui doit cependant être incomplet, certaines fortunes préférant vivre très cachées sous des sociétés très anonymes dans des paradis fiscaux, renforce ce type de compétition complètement délirante.



Une fois écrit cela, toujours avec la réserve que la majeure partie de la fortune est virtuelle et peut monter ou descendre selon les fluctuations de la bourse, on peut comprendre que ce sont des fortunes colossales et, pour bien dire, absolument impossible à appréhender. On peut encore imaginer ce que signifie 1 million de dollars, 10 millions, 100 millions... mais au-delà ? Une fois qu'on s'est acheté toutes les maisons voulues, voitures, assurer l'alimentaire pour quatre générations, être généreux avec ses amis et toutes les mouches qui gravitent autour de soi, payer son obole pour la reconstruction de Notre-Dame-de-Paris... ? C'est assez inimaginable.

Aux États-Unis, une telle information ferait chanter les citoyens d'un cocorico (gaulois), une fierté d'avoir su monter à la première place. Fierté du succès qui se calcule en sonnant et trébuchant, et sentiment d'être utile à la société, à son pays, au monde, en faisant travailler des centaines de milliers de personnes dans des activités économiquement pérennes.



Mais en France, un vieux reste catholique sans doute (pas le meilleur), on a l'argent honteux. On est supposé toujours trop mal payé mais on cherche à montrer qu'on a la meilleure voiture, la meilleure école pour ses enfants, etc. On recherche l'argent mais on dit rarement quand ça marche, quand ça prospère, on n'est pas des vantards imprudents comme Bernard Tapie, on est plutôt des discrets Bernard Arnault ou François Pinault, pas question de dire que ça roule au niveau des finances.

Alors, quand la fortune d'un Français est étalée en plein jour, au lieu du sentiment national de fierté, on a simplement un sentiment de jalousie. On va critiquer, on va vouloir même, pour les extrémistes, lui couper la tête, histoire de refaire la Révolution à l'endroit. En oubliant que la fortune de Bernard Arnault, il la doit à lui-même, à ses prises de risque il y a longtemps, à des fortes intuitions, à un travail acharné, à une stratégie pertinente, et bien sûr, à beaucoup de chances (et de relations).

Le marronnier nupo-mélenchoniste qui consiste à faire payer les riches pour se payer les services de l'État montre vite ses limites justement. Prenons Bernard Arnault, il est le plus riche des Européens et le deuxième plus riche au monde, donc, et il pèse 185 milliards de dollars, arrondissons à 200 milliards d'euros. C'est juste le déficit d'une année ou son double, selon les années. La dette publique en France, c'est 3 000 milliards d'euros. 200 milliards d'euros, non seulement ce n'est pas suffisant en confisquant tout, mais c'est en une seule fois, ce n'est pas tous les ans. On croit qu'en taxant les riches, cela apportera plus aux pauvres, mais on ne vaincra pas la pauvreté en éliminant les richesses. C'est le contraire qu'il faut faire.

Une certaine gauche prend toujours les problèmes à l'envers. Oui, il faut redistribuer les richesses ; oui, il faut de la justice sociale et surtout, de la solidarité nationale, car tout le monde ne part pas avec les mêmes chances, mais avant de redistribuer les richesses, il faut les produire, et c'est souvent ce qui manque à gauche dans le raisonnement. De la même manière, non, l'existence de milliardaires ne me gênerait pas si tout le monde avait de quoi se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner, s'éduquer, se cultiver, etc. Mais ce n'est pas en éliminant les riches qu'on éliminera la pauvreté. Ce n'est pas le même ordre de grandeur malgré les nombres astronomiques des milliardaires. Ceux des déficits de l'État sont encore plus monstrueux.

Le dogme de l'égalitarisme freine sinon empêche les initiatives économiques en prenant des risques. Les réussites de jeunes entreprises (on le voit avec Amazon, Microsoft, Tesla, Google, Apple, etc.), jeunes par rapport à la grande industrie traditionnelle (comme Renault, Michelin, etc.), donnent des valorisations astronomiques. Mais pour une start-up de réussie, combien de fermées ?

Au fond, c'est comparable aux chanteurs, aux acteurs, aux écrivains... beaucoup ne percent pas, vivent chichement, et puis, parfois, un jour, c'est le jackpot, ça marche du tonnerre et leur rémunération est scandaleusement élevée... tout simplement parce que le marché le souhaite, en quelque sorte, parce que les consommateurs le veulent. Il y a donc une sorte de schizophrénie à reprocher à Bernard Arnault d'être ultrariche et, en même temps, à acheter soi-même un parfum ou du champagne de LVMH, ou encore à jalouser la fortune de Jeff Bezos tout en faisant systématiquement ses courses chez Amazon, etc.

Alors, face à cette information furtive très anecdotique (Bernard Arnault n'est pas resté longtemps en haut du podium), j'en reste simplement au sentiment patriotique en disant bravo les génies français de l'économie mondiale d'être capables d'égaler les plus grandes fortunes à l'étranger. Cela n'enlève rien à l'impérieuse nécessité de solidarité nationale, bien sûr, mais c'est du ressort de l'État de favoriser l'activité pour réduire le chômage, la précarité et la pauvreté. La jalousie et la haine n'ont jamais rien construit.


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Sylvain Rakotoarison (07 décembre 2022)
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