Taux : la BCE répète ses fautes de 2008 et 2011

par Laurent Herblay
samedi 25 mars 2023

Ce jeudi, en pleine crise financière mondiale, Christine Lagarde a annoncé que la BCE avait choisi, comme annoncé précédemment, de remonter son taux directeur de 50 points de base, à 3%, du fait de l’inflation. Un choix complètement aberrant alors même que ce sont les hausses de taux qui ont précipité la crise, et qui rappelle les erreurs chères payées déjà commises en 2008 et 2011.

 

L’inflation avant la croissance, l’emploi et la stabilité…

Malheureusement, on ne peut pas dire que le choix de la BCE soit totalement incohérent, même si le calendrier aurait sans doute dû retenir son geste. En effet, la remontée des taux bouleverse les marchés financiers de plusieurs manières. Ceux qui se finançaient à coût presque nul, comme les starts up, sont poussés à être plus économe, et donc à utiliser leurs réserves. Et la valeur des obligations émises quand les taux étaient au plancher s’est littérallement effondrée. C’est ce double phénomène qui a précipité l’effondrement de la banque de la Silicon Valley, piégée par une augmentation des retraits de fonds dormants des entreprises de la technologie, moins enclines à emprunter, et une baisse de la valeur des liquidités placées en bons du Trésor. Pour couronner le tout, KPMG avait validé ses comptes quelques jours avant sa déroute, qui a opportunément eu lui quelques jours également après le versement des bonus
 
Mais le problème dépasse la Silicon Valley Bank. En 2023, comme en 2008, la défaillance d’une banque semble pouvoir être le domino déclencheur d’une crise financière majeure, même en l’absence d’équivalent strict des subprimes, du moins comme il le semble actuellement. D’autres banques étatsuniennes ont été touchées et la Fed a ouvert un parapluie spectaculaire, en garantissant les dépôts dans leur intégralité, au-delà des limites légales  ! Et cette crise étatsunienne s’est transmise en quelques jours au Crédit Suisse, qui était déjà en difficulté, au point que la banque centrale helvète a été contrainte de lui prêter la bagatelle de 50 milliards de francs suisses  ! Dans un jeu de domino habituel, cela a poussé le cours de toutes les banques à la baisse. Dans ce contexte, fortement monter les taux directeurs était une décision hasardeuse, l’équivalent d’allumer une alumette dans une forêt en pleine sècheresse…
 
Et malheureusement, ce n’est pas la première fois que la BCE commet une telle faute de politique monétaire. Pour qui n’a pas la mémoire courte, il y a deux précédents. Mi 2008, la crise des subprimes avait déjà commencé et la Fed avait déjà baissé ses taux directeurs de 5,25 à 2% en 6 mois. Mais, face au rebond de l’inflation provoqué par la hausse du prix des matières premières, la BCE avait cru bon, non seulement de ne pas baisser les taux comme la Fed, mais de les remonter de 4 à 4,25%, à contre-temps complet, propulsant l’euro momentanément au-delà de 1,6 dollars. La logique de l’euro cher était encore à l’œuvre. Résultat, en 2008, fait trop peu connu, alors que la crise des subprimes venait d’outre-Atlantique, la zone euro est entrée en récession deux trimestres avant les Etats-Unis, du fait de la politique monétariste délirante de la BCE de Jean-Claude Trichet, qui a accéléré les désindustrialisations.
 
L’autre précédent, c’est en 2011, encore une fois dans un contexte de hausse conjoncturelle et temporaire de l’inflation. Déjà, début 2009, la BCE n’avait baissé les taux qu’à 1% au lieu des 0,25% de la Fed : la plus forte rémunération des fonds en euro avait poussé la monnaie unique autour de 1,3 dollars, nous rendant moins compétitif et pénalisant la reprise de l’économie européenne… Pour couronner le tout, alors que le prix des matières premières rebondit et pousse l’inflation un peu au-delà de 2%, elle monte les taux deux fois en 2011, au contraire de la Fed. Cette sévérité monétaire pousse le continent dans la crise des dettes souveraines et lui imposera par la suite de baisser les taux sous ceux de la Fed, mais le déficit de croissance a été perdu pour toujours, et n’a jamais été rattrapé. Bref, il est assez choquant que dans des circonstances proches, la BCE commette encore la faute d’une politique trop restrictive.
 
Ici, on touche sans doute au problème fondamental de cette monnaie unique, qui impose une cote mal taillée pour des pays trop différents pour partager une même monnaie. Que l’Allemagne, où l’inflation est bien pus forte, du fait du plein emploi et du marché de l’énergie, veuille monter les taux, pourquoi pas ? Mais les pays du Sud, à l’inflation plus basse, n’en ont pas du tout besoin. Comme toujours, cette monnaie unique est un boulet qui nous pénalise. La seule solution est d’en sortir.

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