Le 29 mai, votez raffiné ;-)

par OEF
dimanche 20 mars 2005


« L’Europe est un Etat composé de plusieurs provinces » - Montesquieu.

En détail, le dernier sondage défavorable au traité constitutionnel européen révèle que l’essentiel de la progression du Non concerne l’électorat de gauche. Chapeau donc au Président Chirac qui en agitant l’épouvantail de la directive Bolkestein a réussi à coincer les socialistes dans les cordes. Cela permet à Sarkozy d’ironiser un peu rapidement : « Ne me dites pas de faire la campagne du PS ».

Derrière le folklore politique, il y a l’enjeu. En tant que méditerranéen, je me sens une coresponsabilité européenne. Je l’ai compris en me surprenant ce matin à m’indigner du fait que Karl Zéro acceptait d’endosser le badge de campagne de Jean Luc Mélenchon

 ;-) Géographiquement, le Maroc est sorte d’oasis insulaire à l’abri au pied de l’Atlas : au Nord-Ouest la Méditerranée et l’Atlantique, au Sud-Est le désert du Sahara. A ce titre et par simple effet d’isolement naturel, nous ne sommes véritablement ni africains ni européens, y compris sur le plan ethnique. Bref, un marocain qui parle d’Europe, c’est beaucoup moins que de l’ingérence et déjà plus que du micro-trottoir ;-)

, Euronews, Schengen, Ariane, OMC, Erasmus, CEDH, voilà ce que m’évoque l’Europe d’aujourd’hui. C’est quand même plus concret qu’on ne nous le laisse croire. Mais aujourd’hui, le TGV et Airbus n’y suffisent plus : la vision culturelle de l’Europe est par trop exclusivement patrimoniale. C’est une vision du passé : Versailles, le Louvre, la Tate Gallery, le Reichstag... Plutôt que revenir exclusivement sur les guerres du passé, il faudra montrer comment un Français, un Allemand et un Russe, par exemple, pourraient explorer Mars en utilisant des technologies spatiales développées par EADS ou Finmeccanica...

Les Français en particulier sont découragés par l’ampleur réelle du chantier européen, comme si chaque avancée venait dévaloriser la précédente à leurs yeux. On invoque l’hyperpuissance américaine comme un alibi : le gap militaro-technologique séparant l’UE des EU serait immuable, voire structurant. Je crois que c’est inexact. L’autre jour, Pierre Lelouche (député UMP) expliquait chez Yves Calvi que la France seule pourrait construire cinq porte-avions

en trois ans pour l’équivalent de ce qu’auront coûté les 35h durant trois années. Le retard militaire pourrait être comblé en une ou deux décennies, j’imagine.

Sans compter l’effet « keynésianisme caquis  » que ces mesures ne manqueraient pas d’avoir. Le vrai problème, c’est que les dépenses militaires ne sont pas vraiment mutualisées et cela entraîne l’apparition de comportements de passagers clandestins : seuls la France et le Royaume-Uni ont des capacités de projection militaires dignes d’être seulement mentionnées (cf. débat sur le traitement comptable des dépenses de défense dans le mode de calcul des déficits budgétaires d’Eurostat). L’Europe doit se doter d’une politique budgétaire digne de ce nom. Actuellement, le budget européen pèse moins de 2% du PIB de l’UE et va essentiellement à l’agriculture. En y ajoutant la recherche scientifique et la défense, on serait déjà bien avancés.

Si l’Europe ne prend pas ce chemin et n’adopte pas le traité constitutionnel, elle n’aura d’autre choix que d’intérioriser le modèle de développement anglo-saxon. Au fond, c’est cette violence psychologique là que dénoncent les caciques du PS. Le problème est autant économique qu’identitaire... Ceux qui voient dans la constitution européenne un Cheval de Troie libéral me rappellent ces islamistes marocains qui voyaient dans la première mouture de la réforme du statut de la femme la main de l’occident et des Nations Unies. J’aimerai citer ici un passage d’une interview accordée par feu SM Hassan II à la revue Géopolitique en 1997 :

«  Le code civil instauré sous Napoléon 1er a précédé de près d’un siècle Jules Ferry, le champion de la laïcité. Donc, pendant ces 80 années antérieures à la laïcité, vous avez vécu d’une façon binomique, soit sur le droit canon, soit sur le droit civil

et vous n’en avez éprouvé aucune difficulté : vous n’avez pas eu de problème de fracture sociale intellectuelle et vous vous êtes parfaitement adaptés à la Révolution industrielle. Je pense que chaque peuple, chaque civilisation, chaque ethnie, a sa propre façon de réagir à la civilisation et à l’environnement. Elle crée au fond sa propre écologie. »

L’Amérique est devenue ce qu’elle est en développant des industries culturelles destinées à forger son unité. André Leroi-Gourhan a montré la même chose quand il s’est penché sur la Chine antique, faite au départ de milliers d’ethnies différentes. Elles se sont unifiées quand elles ont compris qu’elles avaient un avenir commun à construire. Qu’est-ce qui rassemble donc vingt-cinq pays membres de plus en plus hétérogènes ? Certains comme Edgar Morin répondent que l’Europe est méta-chrétienne. D’autres comme Habermas et Derrida répondent : nos différences avec les Etats-Unis.

C’est de biodiversité culturelle qu’il s’agit : je ne suis pas anti-américain, mais je crois qu’il est maintenant impératif que l’Europe prenne ses responsabilités et propose au reste du monde le visage alternatif d’un occident médiateur et généreux (cf. The European Dream : How Europe’s vision of the future is quietly eclipsing the American dream de Jeremy Rifkin). L’Europe pratique ce que Tony Blair appelle effective multilateralism, autrement dit la discipline multilatérale. Il y a là un idiome culturel véritable qui peut participer à l’équilibre général de la planète.

De fait, l’UE a été l’instrument le plus efficace de changement de régime pacifique de l’histoire moderne. Si l’on croit sérieusement au modèle européen en tant que moyen de surmonter les conflits entre Etats-nations, l’Europe ayant donné au monde arabe le cadeau empoisonné du nationalisme, on peut au moins penser qu’au long terme, une union arabe « méta-islamique  » pourrait apporter la stabilité. La diversité des pays et des gouvernements favorisera à cet égard, non l’immobilisme mais une complexification stabilisatrice, celle d’un organisme vivant capable de développer chaque fois que nécessaire des immunités protectrices.


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