Internet et espéranto

par Henri Masson
lundi 17 octobre 2005

Parmi les 187 langues de l’encyclopédie libre réticulaire Wikipedia, l’espéranto occupe une place honorable par le nombre d’articles publiés : 28 111 au 1er octobre 2005, ce qui la classe en seizième position. Des affinités sont très vite apparues entre Internet et l’espéranto, qui s’est développé depuis 118 ans dans l’esprit des logiciels libres.

Commencée en novembre 2001, la version en espéranto de l’encyclopédie libre réticulaire multilingue démontre que cette langue se hisse peu à peu, dans ce domaine aussi, au rang des langues sur lesquelles il faut compter dans la communication internationale.


Bien que nés à près d’un siècle d’écart, le phénomène espéranto et le phénomène Internet se sont très vite découvert des affinités et sont venus à la rencontre l’un de l’autre. D’origine britannique, professeur de littérature anglaise, ex-président de l’Université de Hartford, aux États-Unis, Humphrey Tonkin a pu faire cette constatation voici déjà quelques années : “Il y a tant de choses en espéranto sur le Réseau que, même pour ne lire que les titres, votre vie entière ne suffirait pas.

En 1998, alors que l’anglais régnait presque sans partage sur Internet, une enquête publiée dans le numéro de janvier-février de Contact, le magazine des adhérents de la FNAC, faisait apparaître que, pour 37,99% des personnes interrogées, l’un des principaux obstacles au développement du réseau Internet en France était la barrière linguistique : “le fait que 90% du contenu du réseau soit en anglais joue comme un obstacle important.” Force est de constater que la plupart des logiciels n’existent encore qu’en anglais. Ainsi, la revue SVM Mac (déc. 2003) posait en ces termes le problème de traduction des logiciels : “Combien de fois avons-nous dû travailler sur une application non traduite ? Combien de temps a-t-il fallu attendre une version française finalement bancale ?”. C’est en effet dans sa propre langue que toute personne dispose vraiment de tous ses moyens. La langue la plus apprise au monde est très souvent réduite à l’état de langage approximatif. La régression démographique des natifs anglophones, constatée par Eurotext Translations, par rapport au reste de la population mondiale, entraîne un déclin plus rapide que prévu de l’usage de l’anglais sur le web. Il reste des chances à saisir pour les langues vivantes, y compris pour la moins étrangère des langues étrangères pour tous : l’espéranto.

Les premiers usagers espérantophones d’Internet apparurent avant 1995, principalement aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie. Des programmeurs et des passionnés d’informatique furent vite tentés de faire le lien entre Internet et la langue internationale, si bien qu’aujourd’hui, l’espéranto est l’une des langues qui peuvent être choisies, par exemple, pour l’utilisation du programme SPIP utilisé par AgoraVox, Le Monde diplomatique, Libération et bien d’autres médias. Il apparaît aussi sur Google, sur DMOZ, sur le navigateur Mozilla, sur le traitement de texte Mellel, conçu en Israël. Bien des logiciels de l’univers Linux existent en espéranto (Debian, Mandrake) ou sont en cours d’adaptation (Knoppix, KOffice, OpenOffice).

Dans le domaine de la traduction semi-automatique, il a fait l’objet de recherches concluantes réalisées par la firme néerlandaise BSO sur le programme "Distributed Language Translation" (DLT), dont il était la langue pivot. DLT, qui s’était montré économique et performant, avait été subventionné durant un moment par le Marché commun. Mais les subventions lui furent coupées au profit de programmes beaucoup plus lourds et coûteux qui privilégient les langues dites "grandes".

L’espéranto a aussi son traducteur semi-automatique "Traduku" (prononcer "tradoukou" : traduisez) sur Internet, pour l’instant de l’anglais vers l’espéranto. Ses performances n’ont rien d’extraordinaire, mais elles sont tout à fait honorables si l’on considère le budget dérisoire des bénévoles qui l’ont conçu dans l’esprit des logiciels libres, un esprit qui anime la langue internationale depuis 118 ans.

Ainsi, une langue souvent considérée comme un gadget linguistique, un passe-temps, une idée farfelue, et qui passe souvent inaperçue, est peu à peu prise en considération ; c’est le cas, par exemple, très récemment, dans le rapport Grin sur "L’enseignement des langues étrangères comme politique publique".


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