L’esprit critique est-il malade du coronavirus ?

par Laedi
jeudi 30 avril 2020

Sauf exceptions marginales et bien tardives, les médias français n'osent pas interroger le bien-fondé des stratégies du gouvernement, en particulier le confinement, dans la crise sanitaire actuelle. Pourquoi ?

Depuis plus d'un mois de confinement, on cherche en vain un grand disparu. Lequel ? Non pas le médecin, qui a désormais sa place garantie sur tous les plateaux télé, ni le journaliste, qui arpente les rues vides des grandes villes de France et du Monde. Eux on les voit partout et à toute heure. Pas non plus l'artiste, visible (hélas) sans son maquillage ni sa tenue de scène, ni le même le peuple, dont on nous montre chaque soir à 20 h la place qui est décidément la sienne : celle du spectateur, qui applaudit. Et encore moins le gouvernement, qu'on voit beaucoup, mais concentré en seulement trois visages : Olivier Véran pour le diagnostic, Edouard Philippe pour le traitement et Emmanuel Macron pour la psychothérapie post-traumatique. 

Quel est donc ce grand absent ? L'esprit critique.

Celui des journalistes, et peut-être même d'une grande partie de la population, qui semble suivre à la lettre, d'une façon inhabituellement docile, les préceptes du gouvernement dans la lutte contre l'épidémie. L'explication n'est pas très difficile à trouver : la population agit avec la sidération du patient mort d'inquiétude face à son médecin qui lui propose une thérapie salvatrice. Hypnotisé par les chiffres, terrorisé par le risque, l'honnête homme fait ce qu'on attend de lui : suivre le traitement et payer la facture. On ne peut pas lui en vouloir d'agir ainsi. 

En revanche, il est très choquant de ne pas voir, de ne pas entendre et de ne pas lire de propos interrogeant le bien-fondé du confinement sous sa forme actuelle. Pourtant, les chiffres sont publiés, les comparaisons avec les pays voisins et les données par département ne manquent pas : il y a une matière suffisante pour se questionner. Il ne s'agit pas forcément de critiquer ou de remettre en question cette stratégie largement adoptée en Europe et même dans le monde, mais d'émettre un regard critique, de considérer la situation avec le recul et la hauteur qu'on attend des journalistes d'investigation. 

Certes, il y a eu des débats sur le calendrier, sur le retard des masques, des tests, le traitement miracle ou non du Docteur Raoult, autant de signes illustrant la gestion catastrophique de l'épidémie en France, mais qui sont somme toute des éléments annexes, et qui dissimulent assez mal la grande question que personne ne veut poser : le confinement tel qu'il est effectué en France est-il efficace ou non ? Il a servi à "aplanir la courbe", mais les incommensurables sacrifices de millions de Français, pour plusieurs années, la crise économique à venir, et la catastrophe sociale, voire même sanitaire, qui découlent de ce faux choix (puisqu'il était semble-t-il déjà trop tard pour les autres options) sont-ils justifiés sans le moindre doute ? 

Les épouvantails agités depuis la mi-mars pour justifier le confinement (et surtout faire oublier la gestion calamiteuse en amont ainsi que l'indigence des services de santé) sont-ils également totalement justifiés ? Et que dire des mois de confinement à venir pour les personnes fragiles, l'entretien d'une peur latente, la politique de survie de toute la population privée de réunions de famille, d'emploi, de sorties, de vacances, d'amis, de restos, de concerts, de spectacles, de festivals, de matchs, de cinés, de leur vie tout simplement, dans un climat de culpabilisation permanent. Doit-on tout accepter sans réagir ?

La réponse n'est pas encore connue, et les "courbes s'aplanissent" mais il demeure à peine croyable que les questions sur le confinement ne soient pas posées, alors que tous les pays voisins commencent leur déconfinement, alors que l'Allemagne et l'Autriche n'ont vu passé aucun orage. Alors que la Suède n'a pas confiné et que l'épidémie n'a pris aucune ampleur. Alors que la Grèce est épargnée, et tant d'autres avec elle. 

La raison s'est peut-être égarée, lorsque les épidémiologistes et leurs règles mathématiques ont alarmé sur les prétendus millions de morts à venir (voir l'article). La peur de la mort l'a emporté, temporairement du moins, sur la sagesse. Même si l'épidémie n'est pas encore terminée, loin s'en faut, les faits sont têtus : certains pays et certaines régions ont connu des pics importants de mortalité, d'autre - la grande majorité - non. La nature n'a pour le moment pas répondu aux angoisses des médecins, et le confinement prend déjà fin un peu partout sans qu'on ait su s'il servait à quelque chose lorsqu'il était pratiqué à un stade déjà très avancé de l'épidémie. 

Mesdames et messieurs les journalistes des grands médias, n'ayez pas peur de passer pour des fauteurs de trouble, des traitres à la cause nationale de la santé, d'être désigné comme une odieuse cinquième colonne : osez au moins ne pas vous comporter en permanence comme si votre rédacteur en chef était l'attaché de presse de l'Elysée. Il ne s'agit pas d'attiser des tensions sociales, mais de votre devoir d'informer, de présenter les faits, tous les faits, et avec la nuance qui s'impose. Peut-être qu'il ne sert à rien de discuter un choix, puisqu'il a déjà été fait, et que les conséquences sont déjà visibles (les bonnes peut-être, et les mauvais indiscutablement). Mais peut-être que cela vaut la peine de le savoir, ne serait-ce que pour éviter de reproduire les mêmes erreurs à l'avenir.

Nous sommes en guerre, paraît-il. Cela justifie-t-il, en 2020, une désinformation qui ne dit pas son nom ?


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