Mais qui a peur de Renika Lesnik ?
par Europeus
mercredi 15 juin 2005
Dans son dernier ouvrage, La rebelle aux pieds nus,
Renata ne dit mot de ces derniers épisodes familiaux. Son histoire
s’arrête au 9 mars 1981, lorsqu’elle réussit à fuir l’Union soviétique,
son ex-mari guébiste et tout un système qu’elle n’a eu de cesse de
dénoncer de l’intérieur. Lorsqu’elle parvint à se jouer des autorités
soviétiques et à rejoindre la France le 20 avril de cette même année,
via un court séjour au Brésil. Lorsque détentrice d’un statut de
réfugiée politique elle bénéficia, dès le 13 mai, de la protection de
la DST. Ce que ne dit pas son livre - teinté d’une remarquable ironie
malgré les épreuves qu’il décrit - est qu’après toutes ces années,
l’ex-KGB a la rancune tenace et une vision très personnelle de la
souveraineté territoriale. Condamnée à mort en septembre 1983 par
Andropov pour « haute trahison d’Etat » (lors d’un « procès » où les
services guébistes étaient partie civile...), en raison de son passage à
l’ouest mais également suite à la publication de son premier ouvrage
français « Ici Moscou » et à sa participation à la création, depuis
Paris, d’un comité de soutien au journaliste russe de Radio Moscou
Internationale, Vladmir Dantchev (interné en asile psychiatrique pour
avoir dénoncé à l’antenne l’invasion soviétique en Afghanistan), Renata
craint désormais pour sa vie sur le sol français. « En fait, même si je
ne peux pas désigner de commanditaire, on ne m’a pratiquement jamais
laissée tranquille, confie-t-elle par téléphone. Je pense à des
personnes qui m’ont rencontrée comme par hasard dans la rue, alors que
je prenais un café avec un journaliste. Aux fois où ma maison a été
visitée en mon absence. Ou à des tentatives de kidnapping », les
autorités soviétiques n’ayant jusqu’alors pas le droit d’exécuter la
sentence hors de leur territoire. « Jusqu’alors, car depuis, ce droit
ils l’ont pris. Poutine a récemment été très clair sur ce point. Le
Russes sont libres de frapper en n’importe quel endroit du monde où se
trouvent des terroristes. » Terroriste l’ancienne traductrice et
journaliste ? Au yeux du Kremlin, la chose ne fait guère de doute,
poursuit Renata : « D’après Poutine, je tombe dans cette catégorie dans
la mesure où je m’oppose à la guerre en Tchétchénie. Sans compter le
fait que cet homme est à genoux devant la mémoire d’Andropov, son
idole. » Celle-là même qui avait condamné Renata à la peine capitale
sans que la sentence ne puisse être exécutée. « Comprenez, cela fait
désordre... »
Plus fortes, les pressions le sont indéniablement. Par le biais de
menaces de morts anonymes et téléphoniques, bien sûr. Mais aussi par
des approches énigmatiques. « Pas plus tard qu’hier soir, une berline
m’a suivie dans la rue. S’est arrêtée devant ma porte. Arrivée à mon
appartement, j’ai allumé la lumière. A cet instant précis, la voiture
est repartie. Bien sûr, il pourrait s’agir de quelqu’un qui me
protégeait mais j’en doute. » Autre lieu, autre situation : « Alors que
je prenais le bus, je suis tombée nez à nez avec un parfait sosie de
l’un de mes anciens chefs. J’étais prostrée. Vous savez, même si
quelque chose me disait qu’il ne s’agissait pas de la personne que
j’avais connue autrefois, cela fait un choc. Lorsque je suis descendue
à mon arrêt, l’homme m’a suivie quelques temps. Je me suis alors rendue
chez des amis. Plus tard, dans la journée, pour rentrer chez moi, je
devais traverser un petit square. L’homme y était... ». Et quand on
demande à Renata si le jeu en vaut véritablement la chandelle, s’il ne
serait, au moins pour elle, pas préférable de se faire toute petite, la
réponse ne souffre aucun commentaire : « Si je ne parle pas, ils me
tuent ». Des mots que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de ceux de
Tahar Djaout, journaliste et écrivain algérien assassiné le 2 juin 1993
pour avoir justement refusé de se plier à cette loi du silence. « Tu
parles, tu meurs, écrivait-il. Tu te tais tu meurs, alors parle et
meurs. » Ce qui pourrait préserver Renata d’une fin aussi tragique ? Une
mise en lumière de son histoire. De sa parole. Lui accorder une
véritable aura médiatique. Non pas par souci de promotion de son livre.
Mais simplement parce que la notoriété médiatique protège. Et parce
qu’il n’est pas admissible - encore moins sur le territoire français -
qu’un Etat tiers puisse, dans l’indifférence générale, exécuter une
sentence qui n’a pour seul but que de d’éteindre à jamais la liberté
d’expression d’un individu dont la seule ambition est de partager un
vécu et d’informer.
Christophe Nonnenmacher est journaliste
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