Une aventure ligérienne

par C’est Nabum
samedi 8 septembre 2012

La remontée des bateaux sur la Loire

À Bou, de gré ou de force : la Binette !

 


Une folle expédition ligérienne

 

Comment faire partager avec quelques mots notre étrange folie de vouloir malgré l'impossible évidence, naviguer sur un fleuve qui ne se prête que de très mauvaise grâce à ce désir absurde ? C'est à ce défi auquel je m'attelle pour essayer de vous donner à comprendre l'expédition incroyable que nous menâmes sur la Loire d'Orléans à Bou.

En cet après-midi ensoleillé, il nous prit l'envie inconsidérée de remonter le fleuve à contre courant de l'eau et de l'histoire. Notre trajet ne devait pas être bien long, nous disposons, contrairement à notre glorieux devanciers, de moteurs puissants pour affronter la force de l'eau qui file vers l'Océan.

Mais la Loire n'est pas fille facile. Elle dissimule bien des chausse-trappes pour contrarier les desseins des mariniers d'opérette en goguette. Le vingtième siècle a abaissé le lit du fleuve d'un mètre après un dragage insensé et anarchique du sable pour alimenter l'explosion des constructions lors des trente glorieuses. Ce bouleversement a mis à mal quelques ponts et bien des chenaux historiques.

Les hommes continuent de vouloir agir sans se rendre compte des conséquences de leurs actes. Ici, à coup de bulldozer, on a modifié la structure d'un immense banc de sable. Là, on a laissé s'effondrer un dhuit, mur de pierre dressé autrefois pour canaliser le courant. Partout, le passage des ponts demeure une épreuve avec les vestiges des guerres, les différences de niveau et les immondices des hommes.

La Loire ajoute ses petites roueries personnelles. Elle cache en son fond des rochers imposants et traîtres à nos coques. Ils viennent d'un lointain passé, ils se terrent, sournois et discrets pour blesser nos bateaux. Ailleurs, ils affleurent, ils provoquent remous et passes impossibles. À tout moment, il faut regarder où l'on met la coque et trembler pour les pales de l'hélice.

Il y a encore les bras d'eau qui se perdent et nous conduisent dans des impasses, les bancs qui soudain interdisent le passage sans que nécessairement ils soient visibles. Il y a encore les goulets où le courant s'accélère, les chenaux qui se bouchent et le lit qui n'a plus assez d'eau. Tout cela transforme une petite balade en galère merveilleuse …

Nous avons cumulé toutes les folies du fleuve en cette expédition. Nous partîmes avec deux bateaux : une toue sablière imposante, un fûtreau léger et manœuvrable. Le passage du premier pont fit hurler les moteurs qui allèrent au bout de leur puissance pour vaincre la colonne d'eau. Il fallait tout autant connaître le seul passage qui permet de franchir la marche.

Puis ce fut le début du jeu de cache-cache entre rochers, cailloux, coques et pales. Il ne faut jamais relâcher l'observation tout en choisissant la bonne option, le passage qui conserve assez d'eau pour nos pourtant petits tirants d'eau. Lors de cette première partie, d'Orléans à Combleux tout se passa sans anicroche et nous mîmes 1 heure 30 pour 5 kilomètres en ligne directe (ce qui n'est jamais la voie empruntée )

À Combleux, pour rendre service à un camarade fort sympathique mais indisponible, nous mîmes à couple son grand fûtreau le long de la toue sablière. Nous avions ainsi un encombrant des plus imposants pour ce fleuve qui préfère la barque légère, le frêle canoë ou l'aviron racé que notre embarcation double de 12 mètres de long et 10 de large. Un convoi exceptionnel en quelque sorte !

Ce fut le début de la Berézina ligérienne, le chemin de croix sur l'eau, la fin des haricots secs et le marinier à la mer. Quatre heures et demie de blocage, demi-tour, tergiversation, chocs et contrariétés. La Loire nous a montré avec constance qu'elle ne se laissait pas apprivoiser, la diablesse. Nous passâmes ainsi autant de temps dans l'eau à tirer, pousser, soulever nos lourdes embarcations qu'à tenter de naviguer. Un travail de forçat pour ceux qui pensaient simplement trouver du plaisir.

Pourtant, il y eu aussi un grand moment de bonheur, une demi-heure à la seule force du vent, le silence et l'effacement de presque tous les obstacles. Le bateau poussé par sa voile se moque alors des baisses de niveau, il va son chemin dans une paix magnifique. Mais, au bout de ce bonheur, le vent change de sens au détour d'un coude. Non pas qu'il tourne, non, il s'engouffre différemment, il vient d'une autre direction. Alors, il faut affaler la voile, revenir au bruit et aux soucis du moteur. Et le rêve venté devint cauchemar mouillé.

Il suffit de regarder les photographies pour comprendre que ce ne sont pas des paroles en l'air qui tombent malencontreusement à l'eau ! Ce fleuve a des facéties qu'il nous sert avec une roublardise sans égale. Nous avons subi mille avanies pour arriver au port, il fallut même avoir recours à des bons samaritains lorsque nous fûmes pris au piège d'un cul de basse-fosse aqueuse.

Nous avons tracté trois bateaux à la corde et au milieu de l'eau, au cœur du goulet pour terminer sur les genoux cette joyeuse escapade. Il y eu casse et avaries, deux pales ont rendu l'âme et deux voies d'eau se sont déclarées. La passion Loire n'est pas sans un prix à payer et bien des efforts physiques. J'espère que vous comprenez malgré tout ce qui nous pousse à redevenir mousse quelles qu'en soient les difficultés.

Ligériennement vôtre.


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