Vos luttes partent en fumée...

par Sandro Ferretti
jeudi 13 septembre 2012

Ceci est mon testament. Car le 26 septembre, j'arrête de fumer. Une nouvelle fois, devrais-je dire, car c'est très facile d'arrêter de fumer : je l'ai fait au moins sept fois. Je fais donc mon testament, car j'ai peur d'en mourir. De faire le deuil de mes illusions, des bons moments, des volutes et de mes luttes. Je vous demande donc un peu de silence. Ceux qui fument sont toutefois autorisés à en griller une en attendant.

 

Les outils :

Je suis un client sérieux : j'ai déjà donné dans les patch nicotiniques, qui n'ont eu pour effet que de doubler le prix habituellement dédié à ma consommation de tabac (62 euros la boite pour 28 jours). Le Ziban, qui m'a rendu moitié coucou, nauséeux et insomniaque à 100%, sans m'enlever un seul instant l'envie irrépressible de m'en allumer une après le café.

Le Champix, qui me donnait des pensées aussi positives qu'une maxime de Cioran lâchée une nuit sans lune, quand il pleut et qu'on a oublié son parapluie. Qui me rendait ennuyeux comme un paragraphe d'Amélie Nothomb, plat comme une discours d'Ayrault. Mais agressif, aussi : je ne compte plus le nombre de rouge-gorges avec qui j'ai voulu me battre sur la terrasse, quand leurs piaillements suraigus dignes d'une interview de Cécile Duflot persistaient malgré plusieurs « ta gueule ! » bien sentis. Immanquablement, au bout de deux semaines et pour éviter les plaintes à la SPA, je replongeais. En apnée, pour atteindre aussitôt le fond la piscine, avec mon petit pull marine, mes illusions et des suintements nicotiniques jaunâtres au bout des doigts.
 

J'ai aussi tenté l'acupuncture, avec un copain masseur/ thérapeute des stars. Pour moi, il voulait bien rabattre le prix de la séance de 200 à 50 euros. Bon. Comme musique de fond, il avait mis «  This is the end, my only friends  » des Doors. J'aurais p'têt dû me méfier. Percé de flèches comme un bonze dissident en Mongolie, le nez empalé de palettes pointues comme un guerrier aztèque, j'ai saigné comme un bœuf (alors qu'on ne doit pas, parait-il), et aussitôt cautérisé les plaies au cigarillo le soir-même.


 

Bref, il ne manquait plus que l'hypnose. A l'Institut National. Du sérieux : deux mois de préavis pour le rendez-vous. Questionnaire personnalisé à remplir. Chèque de 390 euros à joindre pour mieux asseoir la motivation. « Il faudra se concentrer sur un souvenir heureux de l'époque où vous ne fumiez pas », dit la lettre personnalisée. Mais qui ne pourra être d'ordre sexuel... C'est un problème : je n'ai aucun souvenir d'enfance. Adolescent, je fumais. Et après, tous mes bons souvenirs, dans ma chienne de vie, sont d'ordre sexuel. Enfin, d'ici le 26, j'aurais bien trouvé quelque chose. Je vous tiens au courant.

 

Les atouts du sevrage :
 

Je ne parlerais même pas de la crainte du crabe et des tentatives de l'éloigner de mes alvéoles pulmonaires : il faut 12 à 15 ans pour nettoyer le bazar et revenir au risque moyen de la population générale ( qui comprend les fumeurs...). C'est dire si, statistiquement, la camarde m'aura déjà signifié avant -cette faux-jetonne-, en recommandé avec accusé de réception, que pour une fois j'ai gagné à un jeu de hasard ( donc net d'impôts, toujours ça qu' Hollande n'aura pas).

Ouais, que pour une fois, parmi les nominés, the winner is ... ma pomme. Parfaitement. J'aurais à peine le temps de remercier ce vieux Smalto de m'avoir habillé pour l'hiver, ma Maman, sans laquelle je ne serais pas là en train de crever, le metteur en scène de ma piètre vie (mais qui est-ce, au fait ?), l'éclairagiste (tu me vois là, Paulo ?), mes filles qui continueront le chemin on the road again avec mon image plantée dans les yeux et la musique à fond. Et puis remercier mon Label (Daniel, le Jack Daniel, le Label rouge ? Pfft, j'ai oublié), mes musiciens, mon éditeur qui ne m'a jamais édité et tout le toutim.

 

Non, je parle pas de ça. D' ailleurs, la faucheuse, je lui cause méme pas : qu'elle retourne sur son Massey-Ferguson faucher la lavande en basse-Provence.


 

Non, le progrès notable, ce sera pour les artères. J'en avais assez de me promener partout, au restaurant ou chez des amis, avec un écouvillon à biberon pour me ramoner coronaires et fémorales après chaque écrasée de pommes de terre à l'huile d'olive, chaque escalope de foie gras poellée déglacée au St Emilion, tout saucisson de Lyon, qui se paient cash en plaque d'athérome. C'était douloureux, peu efficace et assez salissant. Je voyais bien les airs peinés des con-vives, enfin ceux qui étaient encore vifs, assez pour se reculer d'un mètre quand le jet rouge giclait au milieu des profiteroles et maculait l'addition. C'était toujours le moment que choisissait un/ une imbécile pour dire que du coup, on ne sait plus qui doit quoi, qui a pris un dessert et pas d'entrée.

 

Le cœur aussi. En un an, il paraît qu'il est neuf, prêt à pomper et gober n'importe quelle connerie, prêt à dire je t'aime à la première shampooineuse rencontrée sur le parking du centre commercial Vélizy 2, les soirs de grandes panade, quand chacun rentre à sa voiture, que le brouillard masque les enseignes et que les spots orangés des lampadaires éclairent ce désastre de la comédie humaine et hormonale.
 

Fini aussi l'haleine de chacal goudronné à peine masquée par la fraicheur de vivre d'un chewing-gum -toujours prompt à dézinguer plombages, ciments et composites- ou d'un coup de spray « special drague » à 20 euros, pour mettre la poussière sous le tapis avant un rendez-vous.

Finie la moue dégoutée du dentiste lors du détartrage annuel, qui m'accueillait avec masque, tuba et lunettes de plongée, par un « bon, on va d'abord nettoyer tout cela pour y voir plus clair ».

J'aurai de blanches canines longues à rayer le parquet qui feront redécoller ma carrière. J' afficherai sans cesse, qu'il pleuve, vente ou neige, le même sourire béat et blanc, blanc comme une soucoupe étincelante qui sort du lave-vaisselle, un sourire figé de présentatrice météo sortant des coulisses et de son coït furtif mais brutal avec le directeur des programmes.

Tiens parlons-en. Sexuellement, ces derniers temps, je baisse. Comme disait Desproges, « j'ai tendance à m'essouffler bruyamment dans les escaliers trop raides et les femmes trop molles ».

Je sens bien que j'ai du mal à tenir les 45 minutes de pilonnage intensif que Cosmopolitan recommande pour commencer à faire frémir la citadelle assiégée, et qui précède l'envoi d'huile bouillante à travers le pont-levis abaissé.

Hier soir encore, « Rosée du matin », la jeune thaïlandaise de 18 ans et trois jours qui partage parfois ma couche en échange du paiement de son loyer en cité-U, me le disait délicatement : la croissance est là, mais pas assez soutenue, pas assez ferme et durable pour inspirer la confiance des investisseurs, bref construire une politique Keynésienne à long terme de nature à favoriser les dépôts en liquide ( je crois qu'elle est étudiante à HEC).

Avec l'arrêt du tabac, je m'attend à tout : des coups de balais dans les murs des voisins jaloux ( quoique je n'aie pas de voisins), des propositions cinématographiques chez Marc Dorcel. On verra bien.

Et puis je vais pouvoir me remettre au sport : à moi les randonnées à VTT dans les massifs forestiers alpins avec plein d'anglais en BMW. A moi les genoux niqués par le jogging sur le goudron de juillet, les fractures tibia/ péroné à Val d'Isère en janvier, les polytraumatismes faciaux en parapente en avril, le surf dans les rouleaux de Tahiti et les amputations de la jambe post- attaques de squale blanc ou de requin citronné... Oui, ce sera bon pour ma santé, le Doc. me l'a dit. Et il peut pas se tromper. Si les pontes de la Faculté n'avaient plus leurs facultés, ça se saurait.
 

Les risques d'un sevrage brutal :
 

Il y en a, je ne me voile pas la face.

D'abord l'envie. C'est très long de perdre l'envie d'avoir envie. Johnny ne dirait pas le contraire, il n'a jamais pu arrêter.

Et puis, y'a l'insomnie. Qui fait faire de drôles de choses. Se relever en se demandant si dans la dernière note au boss, on a bien visé l'alinéa 4 de l'article 264 du code de mes genoux. Qui peut même, à certaines heures pâles de la nuit, quand la ville est endormie, vous faire rallumer la télé, vous qui ne touchiez plus à ce truc depuis longtemps.

Ouais, quitter la tabagisme pour se mettre à regarder la météo, le CAC 40 qui dégringole. Pire, un match de foot avec Karim ben machin, Samir je ne sais qui, phares de la pensée mondiale, qui savent tout sur le bout de leur doigt d'honneur au public. Ou bien un film muet de Marguerite Duras sur Arte. Du patinage artistique commenté par une ménopausée depuis longtemps, mais qui trouve pourtant que la demoiselle ne lève pas assez haut la jambe, dans son triple salto carpé.
 

Faut arrêter aussi le café ristretto et sa mousse fumante, parce que le café appelle la cigarette. Faut éviter le Brouilly sur la terrasse, pour les mêmes raisons. Faut arrêter les bouchons le matin pour aller gagner son pain : parce que quand le portique lumineux de l'autoroute vous indique « A12/ A13 : 55 minutes », tout ça parce que trois cons à scooter ont voulu aller plus vite que les beaufs en voiture et se sont envoyés en l'air, ben.. on a envie d'en griller une, pour calmer le rythme cardiaque, et se mettant un Bashung qui susurre que « volutes partent en fumée ». Mais on ne peut plus le faire.
 

Et puis, il y a la prise de poids. On a peut être les poumons et la gorge claires, mais on a vite une belle bouée qui menace de vous faire uriner uniquement en utilisant un rétroviseur. Des belles joues à la Raymond Barre. Un cou de taureau sans les arènes qui vont avec.

Ben oui. Moi qui était si fier d'être mince comme mes placements financiers après prélèvement libératoire.

Et il y a pire. On risque la dépression. C'est connu, arrêter de fumer après 30 ans de tabagie, c'est comme perdre un ami de 30 ans, m'a dit un pneumologue. On continue de vivre, mais on n'oublie jamais. Et moi, j'ai déjà assez perdu d'amis de 30 ans pour en rajouter.

D'ailleurs, faut aussi se méfier des enterrements de potes ayant trop tiré sur la tige des culbuteurs. En sortant de l'église ou du cimetière, l'émotion aidant, tout le monde en allume une. Pour se prouver - peut être - que nous, on est encore vivants.

Donc, il faut supprimer aussi les enterrements des amis de 30 ans. Ca, ca me va. Et le petit café-cigarillo au bar en face du cimetière. Ca, ça me va moins.
 

Et puis, plus généralement, il faut garder le moral malgré le manque. C'est sûr, je vais avoir peur que l'amer monte, que le fond de l'air effraie, que je me mette au crack boursier, que je me farine le groin avec la couverture de « la vie du rail », que je finisse sur un char dans une Drogue-Queen à Berlin.

Ouais. Je vais peut être en allumer une à votre santé, finalement.
 

Ah, j'oubliais : mon testament. Je lègue mon briquet à ma voisine qui ne fume plus (avec un peu de chance, elle reprendra...). Mes quintes de toux à la mémoire de mon Tonton, qui bien sûr ne tousse plus depuis longtemps. Mes poumons à la déchetterie. Mes dents à la science (bien fait pour elle). Ma langue au chat. Le reste du corps aux chiens.

 

« A mes jambes, à mon chien, à ceux qui ne savent rien, qui ont oublié leurs cheveux dans les branches ». ( Marcel Kanche, « Dog Songe »)
 


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