On vous en rajoute une tartine...

par Corinne Lepage
jeudi 1er juillet 2010

La presse européenne s’est fait l’écho ces derniers jours des rumeurs les plus folles au sujet de la règlementation européenne sur l’étiquetage des produits alimentaires. Les députés européens ont été accusés pèle mêle de vouloir interdire de vendre les œufs à la douzaine ou d’obliger une célèbre pâte à tartiner d’indiquer sur ses pots des mentions extrêmement alarmistes du type « Attention danger, favorise l’obésité », ce qui aurait effectivement conduit à commercialement condamner la marque. Ces rumeurs sont bien entendu complètement infondées, mais appellent quelques réflexions.

Elles révèlent d’abord les dysfonctionnements du système médiatique. Si l’on retrace l’histoire de la fausse information relative à la pâte à tartiner star des goûters d’écoliers, on découvre qu’elle provient de déclarations ambigües de la maison mère de l’entreprise productrice de ce produit, relayée et déformées immédiatement sur le net via le réseau social Facebook par un député italien de la Ligue du Nord, mouvement populiste allié de Silvio Berlusconi. Justement, le gouvernement italien n’a pas été en reste, puisque le ministre italien en charge des affaires européennes a dénoncé un risque de « fondamentalisme nutritionnel », rien de moins. Dans la foulée, cette pseudo information a fait les choux gras d’une partie de la presse italienne, avant d’être reprise sans aucune vérification par plusieurs sites internet de quotidiens, mensuels et radios. Il faudra attendre 24 heures pour que des journalistes publient des articles démontant la supercherie et l’emportement de leurs collègues. Le Parlement n’a pas cherché à interdire un produit, mais, effectivement, à encadrer davantage les campagnes publicitaires mettant en avant les bienfaits pour la santé de certains produits, si ces allégations ne sont pas fondées. Résultats des courses : une publicité monstre à zéro euro pour la marque et une déformation de plus du travail des institutions européennes aux effets dévastateurs dans l’opinion publique.

Car malheureusement cet épisode est aussi révélateur de l’image déplorable présente dans l’esprit des citoyens du travail des institutions européennes, et singulièrement de celui des députés européens. Bruxelles, nid de technocrates déconnectés des réalités produisant des règlements imbéciles, destructeurs et inapplicables ? ’"C’est la faute à Bruxelles" est un leitmotiv des populistes de tous poils. Mais un tel raccourci n’aurait qu’un impact limité s’il ne se fondait pas sur des représentations très bien ancrées dans l’opinion publique, celles d’une Union européenne inutile et même contre productive. Si le processus législatif européen est loin d’être optimal, notamment en raison du manque de transparence de la comitologie par exemple, il est aussi un excellent moyen de promouvoir des législations nécessaires dans les domaines clés de l’environnement, de la protection des consommateurs ou des libertés publiques par exemple.

Enfin, le développement de telles rumeurs démontre une fois de plus la redoutable efficacité du lobbying de l’industrie agro-alimentaire. Ce secteur avait déjà déployé une énergie et des sommes considérables, lors du vote en 1ère lecture du texte sur l’étiquetage des produits alimentaires, notamment pour torpiller la proposition d’un code couleur qui aurait permis une vision immédiate et simple des teneurs en sucre, sel, graisses saturées et graisses de chaque produit. Ce système était pourtant soutenu par les associations de défense des consommateurs, les associations de médecins, et les organismes de sécurité sociale. Cela n’a pas empêcher une majortié de députés de le rejeter. Le problème n’est pas que les lobbyistes défendent leur industrie, mais que les arguments que certains d’entre eux mobilisent relèvent de la malhonnêteté intellectuelle et consiste à invoquer des principes d’intérêt général, pour faire justement le contraire d’une politique d’intérêt général. Le fait que cette rhétorique soit reprise sans vérification par plusieurs journalistes et responsables politiques est tout à fait anormal.

Corinne Lepage


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