« Ecrasez l’infâme ! » (Voltaire)

par Argoul
jeudi 29 septembre 2005

Le libéralisme en France est toujours qualifié d’« ultra », comme s’il n’en existait pas d’autres. L’actualité la plus immédiate vient malheureusement de nous montrer la pertinence d’une distinction entre l’économie selon la loi de la jungle, prônée par les pétroliers texans, et le libéralisme politique classique, venu des Lumières, qui a donné leurs fondements à nos institutions.

A tout confondre, on se laisse dominer en douceur par le tyran. Au nom de la « morale », au nom du « social », au nom des « victimes ». Toute cette bonne conscience affichée englue les réflexes de vigilance et de lucidité, elle dérobe la liberté, faute d’avoir bien distingué en quoi elle consiste.

La petite fille de Maurice Papon a été condamnée par les bien-pensants de la doxa publique pour le seul fait d’être née. Ce privilège héréditaire que l’on croyait aboli avec l’Ancien Régime en 1789 ne l’a pas empêchée d’être chassée de son poste par pure et simple discrimination « négative » - contre la loi, donc. Et cela avec d’autant plus d’absence de scrupules qu’elle n’est pas « fonctionnaire ». La caste se protège de la contamination « morale » - tout comme d’autres l’ont subie sous l’Occupation - sous les injonctions d’une presse que le scandale rebute de moins en moins, puisque l’impunité lui est, de fait, accordée.

Et voici que le ministre de la « Justice » prône de violer délibérément la Constitution de la France pour répondre dans l’urgence - émotionnelle et médiatique - aux récidives des violeurs. Même les victimes ne demandent pas une telle dérive. Le principe de la non-rétroactivité des lois pénales est inscrit au cœur de la règle du jeu libéral. Si « nul ne peut ignorer la loi », encore faut-il que cette loi existe, et qu’elle s’applique lorsque les faits sont commis. Sinon, c’est l’arbitraire. On connaissait le fameux « l’Etat, c’est moi » de Louis XIV, repris avec un certain affairisme sous la présidence de François Mitterrand entre « Carrefour du développement », pertes abyssales du Crédit Lyonnais et « affaire Elf ». Les citoyens doivent connaître aujourd’hui « Le droit, c’est moi » d’un ministre de la présidence de Jacques Chirac. Et telle sera la loi, si tout le monde ferme les yeux, car les contrepouvoirs sont faibles et impuissants.

Aux Etats-Unis, une telle forfaiture ne saurait avoir lieu, car la Cour Suprême, saisie dans tout procès par n’importe quel citoyen, jugerait selon la Constitution et la ferait respecter. Au Royaume-Uni, un ministre qui aurait proféré un tel appel à la violation des règles se verrait ipso facto contraint à la démission. Pas en France, société de castes, où le pouvoir, une fois acheté par concours, fonctionne comme les offices sous les rois. Les politiques ont éparpillé volontairement le « troisième pouvoir » en institutions parcellaires qui ne se saisissent pas elles-mêmes et ont un pouvoir d’application bien faible. Le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat jugent dans leur coin, sans empiéter sur le domaine d’un autre. La « volonté générale » doit avoir priorité sur le droit établi, sur la règle du jeu constitutionnelle elle-même, dans l’esprit des disciples de Rousseau ou autres Jacobins de gauche et de droite. La « volonté générale » contrecarre toute liberté si elle veut et, lorsque les hommes au pouvoir ne sentent pas de limites, leur pente naturelle les pousse à l’abus.

Souvenez-vous, citoyens français, du 10 juillet 1940, où les Chambres, rendues croupions par l’exode de la défaite, ont voté une délégation des pouvoirs constitutionnels à Philippe Pétain, au mépris du droit constitutionnel ! Le maréchal s’est empressé d’abolir la Constitution de 1875, de renvoyer le Parlement, et de se proclamer Chef de l’Etat français. Voilà ce qu’il en coûte de fouler au droit les règles - même au nom du « Bien ».

Voilà pourquoi il est utile, il est urgent, de promouvoir à nouveau le libéralisme politique - celui qui place la liberté des personnes au cœur de la politique et limite les pouvoirs établis - qu’ils soient politiciens, économiques ou sociaux, aux règles débattues et promulguées par tous. Car, brutalement dans le journal d’hier, dans quelle satrapie nous découvrons-nous vivre ? "Le Monde" lui-même n’en a pas fait sa "une" ! On mesure à quel point le droit, en France, c’est "cause toujours"... Comment s’étonner, ensuite, que le "chacun pour soi" l’emporte ?

Le règne du non-droit, c’est le retour de l’arbitraire, aujourd’hui pour « la morale » - demain pour quelle autre « bonne cause » ? Voltaire, dans une révolte du même genre, terminait toutes ses lettres par « Ecrasez l’infâme ! » A-t-on vraiment changé d’époque ?


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