Les vilains petits cailloux font parfois des ricochets

 

Les rebonds salutaires.

 

Même s'ils ne s'écrasent pas toujours, les petits cailloux que certains remplis de morgue et de mépris repoussent négligemment du pied, finissent toujours par irriter lorsqu'ils s'insinuent là où on ne les attend pas. Sachant que leur destin est de finir grain de sable, ils en profitent pour venir gripper la belle mécanique qui a voulu les réduire en poussière.

 

Les petits cailloux ont la vie dure, l'obstination lente certes, mais le temps joue toujours en leur faveur. Leurs rebords tranchants sont parfois prompts à déclencher quelques étincelles pour mettre le feu aux poudres, surtout quand celle-ci est de perlimpinpin.

Quand bien même si, à la fin, ils finissent broyés, concassés, réduits à presque néant, ils n'en demeureront pas moins, au milieu de leurs semblables, regroupés sur un banc au milieu du lit, des petits grains de sable qui entendent se distinguer encore et toujours en interférant à la bonne navigation. La Loire ne sera jamais un long fleuve tranquille par leur malicieux truchement.

Mais avant cette issue qu'ils ne redoutent guère, ils savent se montrer désagréable à qui les jettent négligemment à l'eau d'un coup de pied ou d'une chiquenaude. Ils peuvent blesser un pied nu, s'insinuer dans une sandalette, se glisser sous la semelle, signaler leur insidieuse présence toute une nuit dessous un tapis de sol ou un duvet. Les petits cailloux savent attendre leur heure pour remettre les pendules à l'heure en se faisant sablier.

Ils ont encore plus d'un tour dans leur sac à malice. Se moquant des lois de la physique et en dépit de leurs formes inopportunes, ils se permettent quelques ricochets sur les flots pourvu qu'une main experte les ait enfin propulsés sur le devant de la scène, fut-elle une Loire. De rebonds en rebonds, ils dessinent quelques rides dans l'onde avant d'achever leur fulgurante escapade d'un plouf retentissant.

Les petits cailloux tiennent alors leur revanche, simple réhabilitation pour ceux que des doctes personnages ont rangé dans ce règne minéral qui n'a souvent pas droit au chapitre. Il ne faut pas oublier que le bateau en granit a flotté et que la Pierre qui chante, une lyre sculptée dans la roche de Kersanton offre une mélopée déchirante. Quant à la soupe de cailloux, elle saura bien un jour, tôt ou tard, gruger les plus malins qui se pensent toujours au-dessus du commun.

Les petits cailloux sont de ceux qui surent toujours faire les bons calculs. L'histoire prétend même qu'ils sont à l'origine de l'écriture et de ce qu'on nomme la civilisation. Ils rient sous cape de voir ainsi ce que devient cette humanité qui s'est agrippé sur un immense rocher sans jamais vraiment le respecter.

Il est fort envisageable que jamais la montagne n'accouche d'une souris mais ceux qui vinrent un jour d'un vieux volcan, éteint aujourd'hui, sourient aux anges à l'idée de tous les mauvais tours qu'ils peuvent encore jouer tout au cours de ce chemin d'eau qui un jour les mènera dans l'Océan.

S'ils ne remontent jamais le courant, ils n'en sont pas moins chargés d'une énergie folle tant que leur noyau dure. Les petits cailloux irradient d'une volonté inexpugnable que nul barrage d'aucune sorte ne parviendra à endiguer. Ils sauront toujours trouver la faille dans les plus redoutables cuirasses, celles dont se bardent bien des chevaliers à la triste figure.

Les vilains petits cailloux font parfois des ricochets en guise de pied de nez car ils ne seront jamais de ceux qui finissent par mettre un mouchoir sur la roche. Ils m'ont glissé à l'oreille ce message que je me suis empressé, par souci de transparence, de glisser sur du papier de verre.

Lapidairement leur.