Mauritanie : Discriminations, obscurantisme, duplicité

par laarim
mercredi 4 octobre 2023

La République islamique de Mauritanie reste en première ligne de la lutte contre le terrorisme islamiste mais son code pénal reproduit les mêmes lois que Daesh et Alqaïda. Tandis que la Constitition proclame l'égalité des citoyens, l'appareil de justice continue d'utliser, la religion, comme outil de chantage et de contrainte pour retarder l'éveil politique des noirs d'origine subsaharienne et des castes sous domination séculaire. La Mauritanie se proclame alliée du Monde libre. 

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Mauritanie : Discriminations, obscurantisme, duplicité

Note d’alerte, octobre 2023

A. Saad Bouh ould Tourad, 35 ans, marié 4 enfants

Arrêté depuis le 12 juillet 2023 par la police d'Atar (centre nord de la Mauritanie), il sera jugé et condamné, le 11 septembre 2023, à 3 ans de privation de liberté, devant le tribunal de première instance de la ville où il purgeait sa détention préventive. Les charges retenues contre lui sont « atteinte à la prière de vendredi, aux salutations sur le Prophète et non-respect des symboles islamiques » ; la dernière mention désigne la mosquée. Saad Bouh est incarcéré, à la prison civile du chef-lieu de la région de l’Adrar, en compagnie des délinquants. Un moment fermé, son site touristique, parmi les plus appréciés, accueille, de nouveau, la clientèle. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le futur prévenu plaisantait, avec ses amis, quand ils l’invitaient à l’exercice de la dévotion hebdomadaire. Il déclarait : « j’y vais pour faire plaisir à cette délégation venue me voir ; je veux savoir ce qu’il m’arrivera de nouveau mais à la condition de ne pas m’acquitter de plus de deux prosternations  ». A la remarque de son compagnon qui authentifie le chiffre cité, il réplique, sur le ton de la taquinerie : « ah, j’ai peur que ce soit 6 ou 7 ». Saad Bouh n’a pas nié les faits à lui reprochés mais conteste leur pénalisation...

B. Marieh mint Cheikh ould Awbed, 19 ans, célibataire, sans progéniture

Enlevée, du domicile de ses parents à Atar, le 18/07/2023 à 14h 17mn, par des éléments de la brigade de gendarmerie, elle est déférée, à Nouakchott, dès après 19h. Les griefs retenus à ses dépens s’intitulent « atteinte à l’intégrité morale du prophète », autre qualification du blasphème. Le lieu de détention demeure indéterminé et elle ne dispose d’avocat, pas même commis d’office. Un enseignant chargé de la correction des épreuves du baccalauréat technique, lui avait imputée une copie de dissertation insultante envers le Messager de l’Islam. De son propre chef, le témoin diffuse la copie du texte manuscrit, sur l’application Facebook et déclenche, ainsi, une campagne de haine et d’appels au meurtre, réclamant l’exécution de la susdite. Quelques jours plus tard, le dénonciateur se retrouve lui aussi aux arrêts, pour avoir propagé un écrit anti-religieux. Marieh, réputée élève autiste, réfute l’accusation et revient sur les aveux extorqués sous la pression des enquêteurs, en l’absence d’assistance judiciaire. Elle attend son procès et encourt la liquidation physique.

C. Youba Siby ould El Ghoth, 49 ans, marié, 4 enfants

Il fut interpellé, le 15 septembre, par la police du Sénégal, dont il est citoyen ; l’activiste, auteur d’envolées radicales contre les survivances de l’esclavage et la supériorité envers les africains subsahariens de Mauritanie, est aussitôt livré, aux autorités de son pays d’origine. Depuis, sans possibilité de communiquer avec sa famille ou d’un éventuel conseil, il séjourne, à l’isolement, dans les locaux de la Direction générale de la sûreté nationale (Dgsn), au centre de la capitale, Nouakchott. Il est reproché à Youba Siby, des audio sur les groupes de discussion WhatsApp où il s’en prend, nommément, à des personnalités de l’Etat et à leurs familles. Son inculpation est imminente, en vertu de la loi n° 2018-023 du 21 juin 2018 portant incrimination de la discrimination. Selon nombre d’associations de défense de la dignité humaine, le texte assimile, la contestation de l’ordre établi, aux discours de stigmatisation et d’appel à la violence. Il importe de le préciser, la facilité avec laquelle le gouvernement du Sénégal livre l’un des ressortissants à un Etat tiers, relève, semble-t-il, de la réciprocité ; ainsi, le 5 août 2023, la Mauritanie, à la demande du parquet de Dakar, extradait Maître Juan Branco, avocat de l’opposant Ousmane Sonko. Dans les deux cas, il a été constaté l’usage des menottes, pendant le voyage, jusqu’à destination.

Observations :

1. Les trois justiciables sont des Hratine, le groupe des descendants d’esclaves, sans doute le plus important, du point de vue de la démographie. Située au plus bas de la stratification de caste, bien en dessous de divers cadets sociaux tels les tributaires, les forgerons-artisans et les griots, la main d’œuvre servile aspire à sa pleine émancipation, d’où la récurrence de son frottement conflictuel au statu quo. Cependant, en comparaison des multiples composantes de la société, les Hratine demeurent vulnérables à l’application du droit. L’ensemble des statistiques disponibles témoigne de leur surreprésentation au sein de l’espace carcéral. De surcroît, les pratiques de l’esclavage traditionnel ayant été validées et perpétuées, durant les siècles, à partir de la doxa sunnite de rite malékite, la contestation d’une telle source entraîne la remise en cause, par les victimes, de l’usage du sacré au service de leur relégation.

2. A la différence du Sénégalais Youba Siby, Saad Bouh et Marieh, citoyens mauritaniens, sont poursuivis selon les prescriptions de l’article 306 du code pénal[1]. Tel que révisée puis adoptée, le 27 avril 2018, au terme du vote des députés, la norme « prévoit que tout musulman coupable d'apostasie ou de blasphème sera condamné à mort dès son arrestation sans possibilité de formuler une demande de clémence fondée sur le repentir [2] ». D’ailleurs, des aliénas sanctionnent, d’un châtiment identique, le refus de prier ou l’atteinte à la réputation des anges (sic).

3. La Mauritanie, alliée du Monde libre, destinataire de son aide au développement et îlot de stabilité en Afrique, reste, pourtant, l’une des dernières aires d’Afrique et du monde arabe où les inégalités de naissance et leur legs de différences statutaires imprègnent la sociabilité de tous les jours. Singularité supplémentaire, ce membre de la coalition antiterroriste G5 Sahel, - dont le territoire abrite le Secrétariat exécutif et le collège de formation - s’est doté des mêmes lois que les franchises sahéliennes d’Alqaïda et de l’Etat islamique. Si l’une des deux y prenait le pouvoir, elle s’abstiendrait, certainement, de durcir l’arsenal juridique. A Nouakchott, le droit et les tribunaux sont prêts à accueillir l’avènement du Califat.

Liens connexes

https://www.hrw.org/fr/news/2020/10/19/mauritanie-liberer-des-activistes-inculpes-de-blaspheme# : :text=Les%20cinq%20accus%C3%A9s%20en%20d%C3%A9tention,se%20trouvent%20%C3%A0%20l'%C3%A9tranger.

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/mauritanie-l-ex-condamne-a-mort-pour-blaspheme-est-arrive-en-europe-20190805

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/17/mauritanie-le-blaspheme-sera-systematiquement-passible-de-la-peine-de-mort_5216590_3212.html

 

[1] « « Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur et aux mœurs islamiques ou a violé les lieux sacrés ou aidé à les violer, si cette action ne figure pas dans les crimes emportant la Ghissass ou la Diya, sera punie d’une peine correctionnelle de trois mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 50.000 à 600.000 ouguiya (soit 1428 euros, ndt). Chaque musulman, homme ou femme, qui se moque ou outrage Allah ou Son Messager (Mahomet) – Paix et Salut sur Lui – ses anges, ses livres ou l’un de ses Prophètes est passible de la peine de mort, sans être appelé à se repentir. Il encourt la peine capitale même en cas de repentir. Tout musulman coupable du crime d’apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours. S’il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu’apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. Toute personne coupable du crime d’apostasie (Zendagha) sera, à moins qu’elle ne se repente au préalable, punie de la peine de mort. Tout musulman majeur qui refuse de prier tout en reconnaissant l’obligation de la prière sera invité à s’en acquitter jusqu’à la limite du temps prescrit pour l’accomplissement de la prière obligatoire concernée. S’il persiste dans son refus jusqu’à la fin de ce délai, il sera puni de la peine de mort. S’il ne reconnaît pas l’obligation de la prière, il sera puni de la peine pour apostasie et ses biens confisqués au profit du Trésor public. Il ne bénéficiera pas de l’office consacré par le rite musulman  ». 

[2] Communiqué de presse des Nations unies, « Peine de mort : des experts de l'ONU exhortent la Mauritanie à abroger la loi anti-blasphème », New York-Genève, 7 juin 2018

 


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