Johnny : « Ah que coucou, Suisses ! »

par LM
lundi 18 décembre 2006

Emoi du bon peuple : Johnny, l’idole des jeunes de plus de cinquante ans, après avoir tenté en vain d’épouser la Belgique, se laisserait tenter par la Suisse, ses montres et son chocolat. Les mots ne sont jamais les mêmes, quand on connaît ce qu’est le blues.

On a tous quelque chose en nous de Tennessee, et de Suisse, aussi. Jean Philippe Smet, né d’un père belge, mais Français lui-même, rock star adulée par les jeunes de l’âge de leurs parents et quelques sourds, ami de Bernadette (« On ne touche pas à Johnny ! », pardon Bernie) et de Jacques, soutien affiché de Nicolas et porteur d’Optic 2000, Jean-Philippe Smet, donc, qui se fait à la ville appeler Johnny (Hallyday), a décidé récemment d’éveiller l’Helvète qui est en lui. Problème d’impôts pour un rocker qui sait depuis longtemps de quoi il parle : en 1975, le fisc lui réclame 100 millions de francs d’arriérés, somme qu’il ne finira de régler qu’au début des années 1990. Le seul point commun entre Johnny et les Stones : cette difficulté de conjuguer légende et profit. La bande à Jagger a dû attendre les années 1980 pour commencer à devenir une pompe à fric et non un groupe de pigeons pour promoteurs et producteurs véreux, et Johnny, cinquante ans de carrière ou pas loin, a dû attendre les années 1990 pour rentrer dans ses fonds et devenir riche. Enfin, riche... disons rentable.

Aujourd’hui donc, Hallyday souhaite migrer en Suisse, paradis fiscal aussi sûr que la Belgique. Mais la Belgique s’est refusée à Johnny, n’a pas voulu reconnaître le rejeton en dépit de la belgitude avérée de son paternel. Fi de la Belgique, donc, Jojo a compris, la Suisse, plus coulante : six mois de résidence, et adieu veaux, vaches, prélèvements et autres cochoncetés fiscales. La Suisse et ses verts pâturages sans huissier, sans retenue, sans surtaxe. Un pays définitivement « rock », donc, « rock’n’roll » même, dirait Johnny, de sa très imitable voix rocailleuse. Un pays idéal pour profiter des « 364 années de Smic » que le chanteur a gagnées en 2005, selon Le Figaro entreprises. Un pays parfait, vert comme certains billets, rouge comme une marque de confidentialité et blanc comme neige, un eden pour la petite fille de Laeticia, qui grandira près d’autres célébrités fuyantes, du sport, du cinéma ou de la chanson, toutes exilées pour « échapper à la pression fiscale », comme elles disent.

En Suisse, pourtant, l’impôt existe, mais le site www.live-in-switzeland.com nous explique : « La Suisse vous offre la possibilité de payer un montant fixe d’impôt chaque année. Ce montant est calculé sur la base de votre loyer et pas sur votre revenu ou votre fortune. En fait, vous n’avez même pas à remplir de déclaration fiscale complète. Cet arrangement fiscal est fondé sur une loi fédérale suisse et peut donc être invoqué partout dans le pays. C’est une originalité du système fiscal suisse qui a permis d’attirer depuis des décennies de nombreux étrangers et parmi eux beaucoup de célébrités. » Une sorte de fiscalité parfaite, un petit arrangement avec les ors, parfait pour ceux qui sont blindés de tunes, bourrés aux as, de l’oseille plein les fouilles, du flouze jusqu’à en gaspiller, enfin de quoi survivre à deux réchauffements climatiques, au moins. Sur le même site, on peut lire que « l’impôt est calculé sur vos dépenses, et pas sur vos revenus ». Pas la meilleure nouvelle pour Paris Hilton, mais les paradis fiscaux ne manquent pas et ne sont pas tous calqués sur le modèle helvète.

Quoi qu’il en soit, notre « Johnny national » comme dirait Drucker, « fait son Pagny » comme dirait Fogiel, et ça ne plaît pas à tout le monde. Et quel monde : Jacques Chirac himself, notre bien-aimé timonier corrézien, s’est ému de la décision de son ami de cinquante ans, pour qui pourtant il n’a jamais hésité à bloquer bien des routes de campagne, le président donc a « regretté un peu la décision du citoyen Johnny ». Ce à quoi l’idole des jeunes retraités a répondu qu’il n’en avait « rien à foutre ». Presque un crime de lèse-majesté. Sarkozy lui, soutenu par le rocker pour l’optique 2007, a vu dans le départ du chanteur le signe qu’il y avait bien « un problème » dans notre pays : "Un pays où tant de nos artistes, de nos créateurs, de nos chercheurs (...) où tant de gens se disent qu’il faut partir, c’est bien qu’il y a un problème. » Ségolène Royal, elle, troisième maillon fort des échéances à venir, a rebondi à son tour, attaquant dans le même mouvement du coude la star et son favori : "Ce n’est pas un exemple à suivre, et j’espère que dans les soutiens qui seront les miens je n’aurai pas de contre-exemple comme cela." Pas un exemple à suivre ! Elle va donner quelques rougeurs à Bernie, Ségo ! Pas un exemple à suivre, Johnny ? Lui qui représente si bien la France, qui vient de là, ou qui vient du blues ? Pas un exemple à suivre, le Douillet du rock, généreux dans l’effort et précieux dans le verbe ? Pas un exemple à suivre, le mari de Laeticia, laquelle ignore sans doute où se situe la Suisse et doit penser que cela a un rapport avec les origines de son mari ? Pas un exemple à suivre ! Après le Proche-Orient, Ségo s’est encore plantée sur un sujet sensible ! Quel défilé, en tout cas, de gens pesants, pour réagir à une annonce somme toute anodine. La preuve que Johnny existe bel et bien, personnalité réelle, célébrité qui compte plus que la qualité de ses chansons, que ne juge pas qui veut (Eric de Montgolfier lui-même s’y est cassé les dents), qui adopte aussi aisément que Madonna, qui sait tirer le maximum d’une médiocrité générale : jamais musicien, piètre parolier, acteur quelconque, il est parvenu, à un moment ou à un autre, à attirer les plumes des plus efficaces compositeurs et les caméras de certains talentueux réalisateurs, de belles lignes du Monde et la fréquentation des puissants. Johnny est une incongruité, dont les sosies attirent autant de foule que l’original. C’est la France d’en bas en blousons à franges, bottes pointues et aigle sur le dos qui s’inviterait chez Ducasse. C’est peut-être aussi, comme le suggérait « Jean Philippe », le film de Laurent Tuel, une illusion, un fantasme... une imposture ?

Mais après tout, la Pampa a bien son Pagny et Las Vegas sa Dion, alors pourquoi pas la Suisse son Johnny ? Un homme capable de chanter sans honte les mots du plus large que haut Guy Carlier (Ce qui ne tue pas nous rend plus fort) mérite de toute façon l’expulsion, en charter ou en Ferrari, ça s’impose !


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