Annuler la dette des pays les plus pauvres : écran de fumée ?

par Michel Monette
samedi 18 juin 2005

Pour un citoyen même averti, il n’est pas facile de suivre le débat international sur la meilleure façon d’aider les pays les plus pauvres. Prenons l’initiative des ministres des Finances du G8 d’annuler la dette de 18 des pays les plus pauvres. Il y a d’un côté ceux qui s’en sont réjouis, de l’autre ceux qui, tel le président ougandais Yoweri Museveni, n’y ont pas vu pas la solution pour éliminer la pauvreté. Pendant ce temps, au deuxième sommet du G77 qui réunissait plus de 120 États à Doha, on discutait ferme de coopération sud-sud et d’ordre international plus juste.

Le G77 juge insuffisante et trop tardive l’annulation de la dette des pays les plus pauvres. Certes l’initiative du G8 d’annuler la dette multilatérale de 18 pays africains et latino-américains, d’une valeur totale de 40 milliards de dollars, réjouit le G77, mais il y a une ombre au tableau : les conditions rattachées à l’annulation ne sont pas connues.

AllAfrica.com rapporte les propos du journaliste Sanjay Suri de l’agence de nouvelles IPS selon qui « des prescriptions fermes de privatisation tournent autour de l’offre d’allègement de la dette ».

Les pays concernés doivent « relancer le développement du secteur privé, et attirer l’investissement, puis garantir la suppression des obstacles à l’investissement privé, aussi bien domestique qu’étranger », selon le journaliste.

Pour les institutions financières internationales, la solution passe essentiellement pas des réformes économiques libérales qui devraient faire décoller les économies concernées.

Les allégements de dette au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés et la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) mises sur pied à compter de la seconde moitié des années 1990, sont depuis lors présentés comme des initiatives permettant aux pays les plus pauvres, tout en maintenant des efforts d’ajustement macroéconomique, d’augmenter leurs dépenses consacrées à des programmes sociaux.

Or la Commission des droits de l’homme de l’ONU soulevait en 2000 de fortes réserves sur le but réel de ces nouveaux programmes internationaux.

...l’initiative PPTE est prisonnière d’un réseau complexe de conditions d’admissibilité imposées par le FMI et la Banque mondiale ; l’initiative PPTE et la FASR sont des moyens détournés de permettre au FMI et à la Banque mondiale de continuer de contrôler la politique de développement des pays pauvres et endettés...

Commission des droits de l’homme. Rapport du Rapporteur spécial et de l’Expert indépendant.

Quoiqu’il en soit visiblement, malgré l’intervention du FMI et de la Banque mondiale, les pays les plus endettés n’atteindront pas les objectifs de réduction de la pauvreté fixés par l’ONU pour l’année 2015 (Objectifs du millénaire pour le développement).

L’annulation de la dette annoncée par les ministres des finances du G8 sert la même vieille recette - lier la générosité des pays les plus riches à des conditions qui briment l’autonomie décisionnelle des pays concernés - et risque donc de conduire aux mêmes échecs.

Avec plus de huit habitants sur dix, les pays du Sud comptent pour à peine le tiers du commerce mondial. C’est donc dire que deux habitants sur dix en représentent les deux tiers. La disproportion est énorme et c’est là où le bât blesse.

Écran de fumée pour ne pas procéder aux vraies réformes commerciales qui équilibreraient l’économie mondiale, l’allègement de la dette des pays les plus pauvres ?

Le doute sur les intentions réelles du G8 persiste.


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