Hausse des taux : la grave faute sociale et économique de la BCE

par Laurent Herblay
samedi 23 septembre 2023

Pourtant, la Banque Centrale Européenne avait déjà remonté ses taux fin juillet. Mais apparemment, cela n’a pas suffi aux banquiers centraux qui se sont mis d’accord pour une nouvelle hausse des taux qui porte le taux directeur à un record depuis la mise de l’euro. L’accueil positif des marchés financiers montre encore une fois que la politique de la BCE ne sert que les intérêts de l’oligarchie.

 

Faire peser l’ajustement sur les classes populaires

Bien sûr, l’inflation est restée stable en août à 5,3%, mais il faut noter qu’elle était de 7% encore il y a à peine 4 mois, en avril. L’inflation des produits alimentaires est en fort recul, passée de 15,5% en mars, à 9,8% en août, en repli d’un point en un mois. Bref, nous avons probablement passé le pic de l’inflation, atteint en mars / avril. Bien sûr, il y a encore des incertitudes du fait de la remontée du prix du pétrole, qui pousse les prix de l’essence à des plus hauts historiques, et les prix de l’électricité ne cessent de monter (le CRE ayant proposé une troisième hausse en un an, de plus de 10%, après celle d’août, qui a fait remonter l’inflation en France, alors qu’elle baisse dans beaucoup d’autres pays européens). Mais cette décision commence à provoquer la colère de nombreux économistes, même conformistes.

En effet, au regard de la forte baisse de l’inflation depuis le printemps, on peut juger que cette hausse est inutile, alors que sous quelques mois, sans nouvelle hausse, on peut anticiper que l’inflation se sera bien rapprochée de l’objectif de la BCE. Mais plus fondamentalement, une telle politique revient largement à ignorer l’analyse des leviers de cette vague d’inflation. Tous les économistes soulignent que la hausse de l’inflation vient d’abord de la hausse du prix des matières premières et d’un effet d’aubaine de bien des grandes entreprises qui en ont profité pour augmenter les prix plus que de raison, pour gonfler leurs profits. Nous ne sommes pas dans une configuration de course entre les salaires et les prix, du fait de la persistance d’un chômage de masse dans bien des pays européens.

Dans ce contexte, monter les taux n’est même pas le bon moyen pour limiter l’inflation, si ce n’est de manière indirecte. La hausse des taux pèse modérément sur les prix des matières premières. En effet, il suffit aux pays producteurs de limiter leur production pour compenser une éventuelle baisse de demande. Et ce repli de la demande peut justement pousser à soutenir les prix pour le compenser. De la même manière, la hausse des taux ne va pas forcément réduire les hausses de prix destinées à gonfler les profits. Au contraire, la hausse des frais financiers et le repli de la demande peut pousser à une inflation tarifaire des entreprises qui sont en position d’oligopole… Bien sûr, indirectement, par l’effet dépressif qu’a une hausse de ses taux directeurs, cela peut peser sur l’inflation, en réduisant la demande.

Mais ce faisant, la BCE choisit de faire peser l’effort d’ajustement de manière très disproportionnelle sur les classes populaires. En effet, le prix de l’argent s’envole pour elles, qui n’ont peu ou pas d’épargne. L’effet dépressif sur l’économie pèse sur les salaires, qui tendent à croître moins rapidement que les prix (d’autant plus que leur structure de consommation fait que l’inflation des produits et services qu’elles consomment est plus importante que l’indice officielle), ce qui se traduit par une baisse de leur pouvoir d’achat. En revanche, les classes supérieures n’en soufreront pas, ou peu. Leur inflation est plus faible (l’électricité, l’essence ou l’alimentaire pèsent bien moins lourd dans leur budget) et elles bénéficient souvent du ruissellement des profits historiques des grandes entreprises d’une manière ou d’une autre.

Pour couronner le tout, cette hausse forte et rapide des taux d’intérêt a un impact colossal sur les budgets publics. Cela provoque une augmentation du coût du service de la dette (surtout quand on a la bêtise de continuer à émettre des bons du trésor indexés sur l’inflation), qui pèse sur tous les autres budgets. Non seulement les fonctionnaires risquent de continuer à voir leur pouvoir d’achat rogné par des revalorisations inférieures à l’inflation, mais ce sont tous les budgets sociaux qui vont être affectés. De la même manière, les budgets de soutien au pouvoir d’achat sont coupés du fait d’un contexte beaucoup plus difficile. En somme, l’effet budgétaire social sera tout aussi calamiteux pour les classes populaires et moyennes qui vont subir l’austérité budgétaire qui se met en place très clairement.

Bien sûr, cette hausse des taux fait quelques victimes parmi les financiers qui jonglaient avec la dette de manière déraisonnable (de Naouri à Drahi). Mais, globalement, le choix fait par la BCE consiste à faire payer aux classes populaires et moyennes l’essentiel de l’ajustement pour revenir à une inflation acceptable pour la sphère allemande. Pour couronner le tout, son efficacité est probablement très limitée.


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