Jusqu’à quel point les villes pourront-elles continuer à grossir ?

par HKac
vendredi 18 août 2006

Vous l’avez probablement constaté mon blog a un parti pris clair en faveur de la vie à la campagne. Il ne s’agit pas de dresser le mode de vie campagnard contre celui de la ville. Après tout chacun devrait être libre de vivre là où bon lui semble. L’ambition de ’S’installer et vivre à la campagne’ est avant tout de s’interroger dans quelle mesure est-il possible de choisir son mode de vie de nos jours. Cette question se pose ici car le modèle urbain semble être une sorte de norme en matière de choix de vie à laquelle il parait difficile d’échapper.

Voici quelques faits intéressants pour comprendre la démarche de mon blog.

Ajourd’hui (en 1999), 75% de la population française vit dans des unités urbaines. En 1936, le rapport était d’environ moitié-moitié. Le fait intéressant à noter est qu’en nombre d’habitants, la population rurale est restée stable depuis 1968, aux alentours de 14 millions. Cela signifie que depuis quelques décennies l’accroissement de la population des villes n’est pas dû dans l’essentiel à l’exode rural mais à l’accroissement de la population globale en France qui s’est fait principalement en faveur des villes et tout particulièrement de l’agglomération parisienne. Depuis 1954, la population des villes s’est accrue de 55% tandis que la population des campagnes a décrû de près de 21%. A noter également que la population urbaine s’est accrue par absorption des petites communes rurales situées en périphérie des grands centres urbains. Ces ’unités urbaines’ (voir les définitions à partir du lien Insee fourni plus bas) représentent 18,4% du territoire. Ce territoire urbain est passé de 48 783 km² en 1962 à 100 041 km² en 1999 soit un accroissement de 48%, il a presque doublé en 40 ans !

Ces chiffres illustrent bien de quelle façon s’opère la croissance de la population française notamment par un déséquilibre en termes de densité de population entre villes et campagnes. Ce constat pousse à s’interroger si le rythme d’urbanisation engagé est finalement soutenable à long terme.

Pourquoi les villes continuent-elles d’avoir cette formidable attractivité...

Avant tout c’est la richesse de la palette des emplois qui rend les villes attractives. Plus la population est nombreuse, plus les besoins en produits, infrastructures et services augmentent génèrant ainsi de nouveaux emplois. La création de nouveaux emplois en milieu rural ne se produit pas de façon aussi importante puisque la population reste stable (14 millions d’habitants depuis le début des années 70). Il est à l’évidence plus facile de trouver un emploi ou d’en changer en milieu urbain qu’en milieu rural.

Ensuite, vient l’offre de services et de loisirs. Auparavant, les migrants issus des campagnes recherchaient un nouveau confort disponible en ville et qui était encore peu développé à la campagne. Ces commodités étaient l’eau courante, l’électricité, les réseaux de communication et de transport, les écoles et les crèches. Aujourd’hui, les campagnes ont partiellement rattrapé leur retard. Toutefois de nouveaux services sont apparus entre temps en ville créant un nouveau différentiel de confort avec les campagnes. Il s’agit en particulier de l’Internet à haut débit, les loisirs à thèmes et les autres lieux de culture (cinémas, théâtres, lieux d’exposition) offrant beaucoup de choix en termes de divertissement.

Le développement du tissus urbain a créé une dynamique économique sans précédent. Il a permis de réduire la distance entre les lieux de production et de consommation faisant disparaitre ainsi l’idée de pénurie. En ville, tout s’obtient immédiatement et partout. A la campagne, obtenir un bien de consommation courante s’accompagne la plupart du temps d’un trajet plus ou moins long et donc consommateur de temps.


...alors que la qualité de vie semble s’y déteriorer de plus en plus ?

Mais cette attractivité pour le milieu urbain exige des contreparties. On peut affirmer sans grandes chances de se tromper que le formidable boom des villes est dû à la singulière capacité du milieu urbain à satisfaire la plupart de nos besoins de consommation. En effet, nos modes de vie sont maintenant fortement conditionnés par la consommation permanente et cela bien plus en ville qu’à la campagne d’ailleurs. La ville incite à consommer : restaurants, sorties, vêtements en soldes, équipements high-tech destinés à un mode de vie essentiellement urbain et intérieur. Ce mode de vie capte une grande part de l’épargne parce que nous sommes davantage sollicités par la consommation et aussi parce que le logement est très cher en ville poussant ses habitants à vivre dans des lieux exigus principalement dans des appartements.

Par ailleurs, la vie urbaine a tendance à se dérouler en claustration et de façon plutôt confinée. Cette claustration se manifeste de plusieurs manières : enfermement individuel dans son véhicule, promiscuité dans les transports en public, petitesse des logements et proximité gênante du voisinage, manque d’espaces naturels. Ces ’coups’ absorbés, ’encaissés’ à longueur d’années génèrent indubitablement un phénomène de stress qui peut parfois mener dans une sorte de cycle sans fin à l’enfermement et à un besoin d’isolement.

Fait tout à fait paradoxal, alors que la disponibilité des emplois est l’une des raisons majeures de l’attractivité des villes, l’accès quotidien au travail n’a rien à envier aux distances parcourues en milieu rural pour les mêmes raisons. Les plus chanceux des urbains sont à une demi-heure de transport ou à pied de leur lieu de travail mais la plupart des citadins, surtout en Ile de France, passent pas loin de trois heures par jour dans les transports voire davantage. Les transports en public y sont plutôt anxiogènes ne donnant pas d’autre choix que de courir ou à l’inverse attendre et subir le contact pratiquement peau contre peau avec les voyageurs. Dans certains cas, ce temps de transport est inexploitable pour lire, tout au plus il l’est pour écouter son lecteur MP3 quoique le bruit ambiant empêche souvent d’apprécier pleinement l’écoute musicale.

Le rapport au temps est différent selon que l’on se trouve en milieu urbain ou à la campagne. En ville, la fréquence des transports publics induit que les horaires de travail se décalent plutôt vers le soir. Il y est courant de rentrer chez soi après vingt heures et il n’est pas rare d’arriver sur son lieu de travail après neuf heures du matin. Les horaires de travail à la campagne sont plus structurés. Ce phénomène est pour partie accentué par les horaires fixes des trains TER et des autocars ce qui a pour conséquence de stabiliser davantage le rythme de vie de la semaine. En effet, si vous manquez l’autocar de 17h30 vous en êtes quittes pour appeler votre conjoint ou une connaissance afin de venir vous chercher. La rareté des transports en milieu rural est propice au covoiturage (Voir la plateforme de covoiturage 123envoiture). Par ailleurs, en ville, en particulier en Ile de France, les horaires de crèches sont particulièrement astreignants.

D’un côté, il existe une importante pression pour conserver un emploi où que l’on se situe. Or, en ville, le cumul des différentes contraintes : transports, glissement des horaires de travail, rigidité des crèches, embouteillages permanents, attentes diverses à la Poste, dans les administrations et dans les magasins rendent la vie citadine plus stressante. En contre-partie, les revenus y sont généralement plus élevés ce qui ne signifie pas forcément que la capacité d’épargne y est supérieure. Bien sûr, on retrouve aussi de nombreuses contraintes en milieu rural : peu de crèches, écoles éloignées, beaucoup de trajets en voiture, peu de cinémas, expos et théâtres, etc. Mais il semble que les habitants des campagnes parviennent à mieux s’organiser entre eux, notamment en se rendant différents services logistiques, en optant davantage pour une stratégie de solidarité et en simplifiant leurs besoins.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que de plus en plus de citadins aspirent ou du moins rêvent de s’installer à la campagne en y idéalisant un choix de vie possible. Cette tendance se fait de plus en plus aigüe et le sujet devient de plus en plus étudié (étude IFOP et l’ouvrage ’Au bonheur des campagnes (et des provinces)’ de Bertrand Hervieu). Cette aspiration à quitter la ville et à s’installer en milieu rural devient une réalité tangible que les pouvoirs publics devront nécessairement prendre en compte un jour ou l’autre. On ne peut pas tout à fait exclure que d’ici quelques décennies les villes soient de moins en moins en mesure de voir leurs populations croître aux rythmes enregistrés dernièrement. A un moment donné, une certaine forme de saturation rendra la ville moins sécurisante, moins confortable et en fin de compte moins attractive.

Vers un nécessaire rééquilibrage villes-campagnes


Actuellement, le choix de son lieu de vie reste difficile à opérer parce que nous vivons dans un pays qui a eu une politique marquée de centralisation urbaine. Tout a été fait pour développer l’urbanisation et en particulier en Ile de France qui ne compte pourtant que 11,36 millions d’habitants soit 18,7% de la population métropolitaine (source INSEE). On peut objecter que personne ni rien n’empêche qui que ce soit de s’installer en milieu rural. Toutefois, on ne parle pas là de contraintes législatives mais plutôt de difficultés d’ordre socio-économiques.

Lorsqu’on souhaite s’installer en milieu rural il faut bénéficier d’une rare opportunité pour y trouver un emploi correspondant à ses compétences. Quand on n’a pas cette chance, on doit alors se résoudre à créer son propre emploi soit dans le secteur marchand soit sous la forme d’une association. Dans une précédente note ’Travailler à la campagne : un marché du travail spécialisé ?’ je signalai déjà les particularités du marché du travail en milieu rural.

Il ne s’agit pas à travers ce billet de se plaindre sempiternellement, ni de demander à l’état de régler tous les problèmes. Cependant, dans l’idéal, un axe de progrès majeur serait que l’état, les régions et de façon générale toutes les instances locales puissent encourager de façon franche l’implantation de nouvelles entreprises en milieu rural tout en préservant les emplois et les services publics actuels.

Par exemple, au niveau de l’état il pourrait y avoir deux types d’efforts à mettre en oeuvre : le ralentissement de la concentration des services publics et une décentralisation plus affirmée des grandes administrations ainsi qu’un encouragement fiscal à s’implanter en milieu rural. Rien que cela serait à même de créer un effet d’attractivité nouveau pour les milieux ruraux. A ce titre, la création des pôles de compétitivité notamment les ’pôles d’excellence rurale’ sont encourangeants.

Au niveau des régions, des dispositifs sous la forme d’incitations fiscales avantageuses à destination des investisseurs devraient être mis en place. Cela l’est déjà plus ou moins pour certaines régions. Je fais référence à l’implantation de Toyota dans le Nord de la France (4000 emplois). Mais ces initiatives sont encore insuffisantes autrement on ne connaitrait pas autant de fermetures d’entreprises en régions. En rendant les régions suffisamment attractives on n’attirerait pas seulement de nouvelles entreprises françaises mais également des initiatives étrangères. Après tout, pourquoi la France ne tirerait-elle pas non plus partie de la mondialisation ?

Quant aux communes ou communautés de communes, il serait important qu’elles accèlèrent le développement des réseaux de communication à haut débit ainsi que d’autres services tels que les crèches, les réseaux de transports locaux, l’accueil touristiques. Les régions françaises sont actuellement très attractives pour les étrangers qui n’hésitent pas à investir dans des biens immobiliers à des fins de villégiature. Quelques étrangers même s’installent dans nos
campagnes. L’installation d’étrangers et la venue des citadins sont en mesure d’insuffler une nouvelle dynamique pour nos campagnes s’accompagnant de la création de nouveaux services pour répondre à leurs besoins spécifiques. Tout cela est générateur d’emplois. De même, l’accroissement de la population des seniors est susceptible de créer des emplois additionnels de type services à la personne.

Dans un scénario idyllique, on peut imaginer qu’en fin de compte les campagnes deviennent d’ici quelques années tout aussi attrayantes que les villes avec une palette de services équivalente mais avec la beauté de la nature et l’identité culturelle des terroirs en plus.

Quelques sources

INSEE Population urbaine et rurale en France métropolitaine
Etude INSEE Forte extension des villes entre 1990 et 1999
Etude de l’IAURIF Densité de populations des régions de l’Union européenne en 2001
Rapport 2005 des investissements étrangers en France


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