La fin du pétrole, une bonne affaire pour l’environnement ?

par Vanou
mardi 2 mai 2006

Certains espèrent qu’un pétrole à plus de 75 $ le baril entraînera un ralentissement de la consommation de combustibles pétroliers (carburants...), et donc une réduction d’émission de gaz à effet de serre. C’est oublier un peu vite qu’il est facile, et rentable, de produire des carburants « pétroliers » à partir d’autres sources, quasiment inépuisables à notre échelle de temps.

La grande affaire de notre époque, dans les milieux écologistes, est le réchauffement climatique. Il est communément admis que celui-ci est en grande partie causé par les fortes émissions de gaz à effet de serre par l’humanité, depuis deux siècles, surtout depuis les années 1920.

Beaucoup se réjouissent donc de l’augmentation importante du prix du brut depuis quelques années (passé de quelque 20 $ le baril il y a 5 ans à 75 $ ces derniers jours). Je ne reviendrai pas sur les causes multiples, et sans doute durables de cette hausse (croissance mondiale et surtout asiatique, investissements insuffisants, épuisement de certains gisements, situation internationale propice à la spéculation, coût de revient en hausse, etc.). Quels que soient les experts concernés, tous parlent maintenant du « pic de production » comme étant plus ou moins proche, et en tout cas prévu dans le courant de ce siècle.

Et l’on reparle de solutions alternatives aux carburants fossiles, en espérant que cette hausse des prix et la future pénurie freineront la consommation, diminuant les fameuses émissions de CO2, limitant ainsi le réchauffement de la planète. Qui de présenter sa voiture hybride électrique/moteur thermique, qui de relancer le nucléaire, etc.

L’ennui, c’est qu’il n’est pas sûr du tout que le déclin, ou même la fin du pétrole fasse nécessairement de nos moteurs à explosion des machines du passé. En fait, une information intéressante prouve même le contraire : en tant que chercheur en chimie, je collabore de manière suivie avec l’Afrique du Sud. Pour résumer, la chimie dans ce pays est essentiellement représentée par la société Sasol.

Sasol est riche, très riche. Elle est devenue depuis la fin de l’Apartheid une multinationale gigantesque, avec une capitalisation boursière de plus de 17 milliards de $ (à comparer, par exemple, avec Total, 100 milliards environ). Et que vend cette société ? Du pétrole ?

Non, Sasol vend surtout des produits de synthèse fabriqués à partir de... charbon. Le principe du procédé utilisé, le Fischer-Tropsch, n’est pas vraiment nouveau. Des chimistes allemands des années 1920 à l’industrie de guerre du IIIe Reich, on apprend dans les articles bien renseignés qu’il a été abandonné car « non rentable », après guerre.

Seulement voilà, l’Afrique du Sud de l’Apartheid a, pour diverses raisons, dès les années 1950, investi des moyens importants pour reprendre le procédé Fischer-Tropsch, et en faire une application industrielle à l’échelle d’un pays semi-développé de 40 millions d’habitants. Jusqu’à la fin des années 1980, le pays étant sous embargo, Sasol fournissait l’ensemble des moteurs thermiques du pays (jusqu’aux moteurs des avions) en carburant de synthèse. Depuis la fin du régime raciste, l’explosion de l’automobile, maintenant accessible à l’ensemble de la population qui en a les moyens, a provoqué une forte importation de pétrole. Cependant, Sasol continue de fournir environ la moitié des carburants consommés dans le pays. Mieux, certains d’entre eux, par exemple le gazole, peuvent être exportés. Ce gazole de synthèse permet, en coupant les gazoles de pétrole, de diminuer la concentration de soufre, dont les normes admissibles diminuent chaque année. Si vous conduisez un diesel, il est probable qu’une (petite) partie de votre gazole provient de mines à ciel ouvert de charbon de Secunda, non loin de Johannesburgh...

Il est remarquable aussi que ce procédé s’applique aussi au gaz naturel.

Lors des premiers contacts que j’ai eus avec cette société, à la fin des années 1990, j’ai appris que les carburants de synthèse vendus devenaient rentables pour Sasol quand le prix du baril de pétrole (fixant celui des carburants) dépassait 20 $. On comprend donc aisément que Sasol ne soit pas à plaindre depuis quelques années. Cette société investit de plus en plus, grâce à ses bénéfices, en particulier en Chine. Elle propose aussi ses services en tant que société d’ingénierie, pour monter une usine Fischer-Tropsch clé en main, comme cela a été fait en Algérie et au Texas, par exemple. On voit que ce procédé dont personne ne parle est en plein développement. Il permet d’obtenir des carburants plus purs : pas de soufre, benzène, ni autres impuretés difficiles à éliminer totalement quand les carburants sont produits par raffinage du pétrole. Mais les raisons de son développement sont plus simples :

- les produits sont rentables, qu’il soient synthétisés à partir de gaz ou de charbon
- les réserves de ces deux sources de carbone sont sans commune mesure avec celle de pétrole (on parle de plusieurs millénaires de réserves, à la consommation actuelle).

Il faut donc conclure que les lois du marché ne feront rien pour ralentir « naturellement » les émissions de CO2. Lorsque le pétrole deviendra trop rare ou trop cher, la production de carburant de synthèse augmentera, c’est tout.

NDLR : A lire aussi sur ce sujet, dans la nouvelle rubrique "Extraits d’ouvrages", l’article d’Eric Laurent : L’imposture du choc pétrolier de 1973


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