Le nucléaire en discussion

par Forest Ent
mercredi 19 juillet 2006

Les inconvénients de la plupart des sources d’énergie sont bien connus. Les hydrocarbures sont en quantité limitée. La combustion de végétaux mobilise des terres cultivables et produit également du gaz carbonique. L’hydroélectricité a une puissance limitée par l’hydrologie, les cellules photoélectriques par les matériaux rares utilisés, les éoliennes par les surfaces ventées.

Le but de cet article est de tenter de discuter sereinement et objectivement des inconvénients de l’énergie nucléaire. Je ne suis pas du tout impliqué dans ce secteur ni spécialiste, mais j’ai fait les meilleurs efforts pour me documenter. Cela n’empêche pas qu’il y aura certainement ici quelques erreurs que les lecteurs, j’en suis sûr, rectifieront.

Je ne parlerai pas ici de la fusion nucléaire. Il s’agit plutôt de travaux de recherche, qui ne sont pas encore assez avancés pour que l’on puisse en deviner l’industrialisation et en évaluer les inconvénients. Pour la méthode classique de fission, il me semble que l’on peut identifier trois inconvénients principaux :
- la limitation des stocks d’uranium
- le risque en exploitation
- la gestion des déchets

Il y a bien sûr aussi un risque associé à l’usage militaire et à la prolifération, mais je ne le traiterai pas. Le nucléaire n’est qu’un moyen parmi d’autres de se massacrer mutuellement, et si des gens en ont la volonté bien ancrée, ils trouveront d’autres moyens, éventuellement plus simples.

Stock d’uranium

L’uranium est tout aussi limité en quantité que le pétrole. Ce n’est pas une source d’énergie renouvelable. Au rythme actuel, elle ne passera pas le XXIe siècle.

Il existe par contre une technique de surrégénération qui permet de réutiliser directement le plutonium produit, et de fonctionner en circuit fermé sans apport nouveau de combustible. Cette technique fonctionne mais n’a pas trouvé pour l’instant d’application commerciale. Elle revient plus cher que la technique actuelle. Etant sensiblement plus compliquée, il est aussi possible qu’elle présente un risque supérieur en exploitation. Ainsi, dans le prototype français Superphénix, le refroidissement du circuit primaire n’était plus réalisé à l’eau, mais au sodium, produit coûteux et inflammable à l’air.

Risque en exploitation

Le risque principal en exploitation est la "fusion de coeur" ou ("syndrome chinois"), dans laquelle le réacteur ne peut plus être refroidi et s’échauffe de lui-même à quelques milliers de degrés. Ceci a failli se produire à Three Miles Island, et plus aucune centrale n’a été depuis construite aux USA. Cela s’est produit à Tchernobyl, avec les conséquences tragiques que l’on sait ou subodore : une région entière contaminée et peu favorable pour un certain temps à l’habitat humain. Mais cela ne s’est pas produit en France après 30 ans d’exploitation, soit plus de 1000 ans cumulés de fonctionnement de réacteurs. Les réacteurs occidentaux sont d’une conception plus sûre que les réacteurs russes, en particulier grâce à la construction initiale d’une enceinte de confinement, qui a cruellement manqué en Ukraine.

L’objectif assigné par l’Etat français au parc nucléaire est qu’il ne se produise pas plus d’une fusion de coeur tous les 10 000 ans. C’est une valeur si faible que l’erreur de calcul devient beaucoup plus probable que les faits envisagés. Tout ce que l’on peut constater aujourd’hui, c’est que cette fréquence est sans doute inférieure à une fois tous les 30 ans. Si on la ramène à la taille du parc occidental, on dépasse les 100 ans, mais si l’on prend en compte le parc ex-soviétique, le score est évidemment plus mauvais. On est en tout cas loin de pouvoir constater ces 10 000 ans.

La France représente 1% de la population mondiale. A supposer que la planète consomme tout autant, avec la même source d’énergie, et à supposer que l’objectif français soit bien dimensionné, cela représenterait un Tchernobyl par siècle sur la planète, ce qui est moyennement acceptable, d’autant que c’est tout sauf une estimation précise, et que le risque peut augmenter avec la taille du parc.

Il est possible aussi que le risque s’avère finalement plus faible que cela. Malheureusement, avec des probabilités aussi faibles, il faut faire entrer en compte des événements peu pondérables, comme le sabotage et le terrorisme, ainsi que les catastrophes naturelles dont les fréquences faibles aux grandes amplitudes sont mal cernées. Si le risque est faible, on ne le saura pas avant d’avoir essayé, et il sera alors difficile de revenir en arrière. Il faudrait en effet un siècle pour vérifier que l’on respecte déjà l’objectif.

En conclusion, le risque en exploitation est maîtrisable pour une certaine quantité de production et pour une certaine durée, mais la simple addition des probabilités montre que l’énergie nucléaire ne peut pas être une solution planétaire sur le long terme pour la production d’énergie. Sauf si l’on invente une technologie plus sûre. Mais, à ma connaissance, les neutrons rapides ne sont pas dénués, eux non plus, de risques en exploitation.

La gestion des déchets

Par "déchets", on pense en général aux résidus de combustible irradié après retraitement. Ces déchets ont la plus forte activité, mais le plus faible volume. A l’heure actuelle, on en extrait le plutonium pour le recycler comme combustible. C’est une bonne idée car, indépendamment de sa radioactivité, c’est le produit le plus toxique jamais fabriqué. Mais il reste ensuite certaines matières actives ayant des demi-vies très longues, parfois supérieures au millénaire. Le problème de ce chiffre, c’est qu’il est supérieur à l’espérance de vie des civilisations.

Deux solutions sont envisagées. La première est de les enfouir profondément pour s’en débarrasser à jamais. Mais, sur une durée pareille, on ne peut être certain de ne pas les retrouver un jour dans une nappe phréatique. L’autre consiste à les stocker à portée de main, pour pouvoir prendre la décision d’enfouissement le plus tard possible si l’on n’a pas trouvé d’ici là un moyen de les recycler aussi. Mais ils risquent de s’accumuler pendant un certain temps.

Les déchets les plus volumineux sont en fait les centrales elles-mêmes. Elles ont une durée de vie limitée, et contiennent en fin de vie des milliers de tonnes de matériaux irradiés, dans des proportions et pour des durées variables. On ne sait pas encore très bien ce qu’on va en faire. Il semble que ces lieux doivent être "sanctuarisés", c’est-à-dire étroitement surveillés, pour de très longues durées. Cinquante ans de taxe professionnelle, puis des siècles de gardiennage.

En conclusion, le problème des déchets ne peut pas être considéré aujourd’hui comme résolu, et il le sera d’autant moins qu’il y aura plus de sites de production.

Conclusion

L’exploitation à échelle modérée et pour une durée limitée de l’énergie nucléaire de fission est sans doute une solution raisonnable et pas démesurément risquée. Mais il ne peut s’agir d’une solution planétaire de long terme.

A mon avis, il n’existe pas de source d’énergie connue aujourd’hui capable seule d’alimenter durablement la planète et exempte d’inconvénients majeurs. Sauf à prendre des risques inconsidérés pour la santé et pour l’environnement, la meilleure solution, de loin, serait de réduire notre consommation. Cela implique une limitation, voire une diminution de l’industrialisation, du niveau de vie et de la démographie, s’il n’est pas trop tard.


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