Le principe de précaution : castrateur de liberté, ou vecteur d’innovation ?

par Dominique Bied
mercredi 6 septembre 2006

Le principe de précaution est présenté par la classe politico-médiatique comme un élément bloquant de la société. Cet article montre qu’il n’en est rien. Ce principe peut- être créateur d’une nouvelle économie, selon la manière dont on le met en œuvre.

Le principe de précaution est aujourd’hui un concept qui figure dans la Charte de l’environnement, elle-même incluse dans la Constitution, c’est-à-dire l’élément juridique le plus en amont. Pourtant, lors des débats parlementaires sur cette charte, de nombreuses voix se sont élevées pour dire que ce principe allait bloquer toute l’économie, ralentir le progrès, etc.

Ce débat contradictoire donne l’occasion de remettre sur la table des éléments de réflexion permettant de modifier les représentations qu’ont les hommes politiques et les chefs de grandes entreprises aux commandes actuellement.

Tout réside dans le contenu que l’on met dans les mots progrès, économie, croissance. La représentation du progrès en cours est celle qui consiste à reproduire les modes de fonctionnement existants de la société, en réparant à la marge les dégâts faits aux écosystèmes. Les acteurs économiques existants cherchent finalement à grandir dans les mêmes schémas. L’anticipation des évènements climatiques futurs, par exemple, est faible, malgré des moyens de mesure de plus en plus performants.

Si on considère que ces schémas nous mènent à des mauvaises surprises au niveau de la planète qui nous fait vivre, il est nécessaire d’inclure dans les notions de progrès et de croissance des éléments innovants permettant d’éliminer les impacts négatifs de certaines activités, et d’en créer d’autres, dont la croissance rétablira l’équilibre des écosystèmes dont nous sommes une composante.

Ceci veut dire que des activités économiques disparaîtront ou s’adapteront, d’autres apparaîtrons. Ceci décrit finalement le fonctionnement normal de l’économie.

Les grands monopoles tels que Total, EDF,etc., ne peuvent s’accaparer les innovations technologiques en empêchant la concurrence d’émerger, en retardant la mise en oeuvre de technologies plus propres et moins coûteuses, tant que les processus précédents n’ont pas épuisé tous leurs fruits. C’est alors le consommateur qui paie la facture de cette mauvaise gestion.

Ils ne peuvent non plus chanter sur tous les toits qu’il faut s’adapter, être réactifs, et en même temps refuser le dynamisme de l’économie innovante, mettant le principe de précaution dans leur cahier des charges de produits le plus en amont possible, y compris même dans le choix des produits mis sur le marché. C’est là que nous abordons la version positive du principe de précaution. Le chef d’entreprise qui se replie sur ses activités habituelles ressent le principe de précaution comme une contrainte insupportable. Celui qui en fait une contrainte lui permettant de trouver des nouvelles valeurs ajoutées est dans l’innovation, et conçoit des produits lui permettant de trouver de nouvelles perspectives de développement. La firme BP, par exemple, s’engage résolument, beaucoup plus que Total, dans une révolution industrielle, celle du « sans-pétrole ».

Cette dualité de vision apparaît clairement dans l’interview de François Ewald, philosophe et président du Conseil scientifique de la fondation pour l’innovation politique, dans le hors-série d’Enjeux Les Echos de décembre 2005.

François Ewald est un ardent adversaire du principe de précaution, qui représente pour lui la plus grande défaite de l’esprit des lumières. Voici ce qu’il déclare :

« Les problématiques de protection de l’environnement servent à la promotion constitutionnelle d’un principe de précaution destiné à donner, à ceux qui s’en prétendent les défenseurs, le privilège de mettre la puissance judiciaire au service de leur cause. »

Il ajoute :

« L’évidence sécuritaire a pris un tel poids que c’est la liberté -celle d’aller et venir, d’entreprendre, de travailler, de chercher et d’innover- qui apparaît désormais comme une menace. »

On est là dans la vision castratrice du principe de précaution.

Il dit encore, à propos de la démocratie participative et des débats publics :

« Ces batailles-là expriment la volonté des minorités d’imposer leur loi en prenant le pouvoir sur ce qui fait le pouvoir du pouvoir : l’imaginaire, l’émotion, les médias, les juges...Pour déstabiliser les pouvoirs en place, pour instiller le doute et la suspicion, rien ne vaut l’arme du débat et le jeu désordonné de la démocratie participative. »

Là, on est vraiment sur des terrains glissants. C’est un peu facile de stigmatiser la démocratie participative qui n’est qu’émergente en France.

En fait, tout est dans l’interprétation que nous faisons du principe de précaution, dans la communication et l’usage industriel que l’on en fait pour améliorer la vie quotidienne collective et la faire durer. Il s’agit aussi de ne pas faire du développement technologique, de la liberté individuelle, une autre dictature limitant notre espérance collective de vie. En ce sens, prendre le principe de précaution comme vecteur d’innovation, c’ est-à-dire trouver des modes de vie et des process à prélèvements minimums sur la planète, c’est une nécessité. Même si ce principe peut apparaître castrateur dans un premier temps, une analyse approfondie montre que c’est un formidable vecteur de progrès si on sait se l’approprier de façon responsable. Il a aussi le mérite de porter au niveau constitutionnel une anticipation des risques, et ainsi d’impulser les recherches pour les connaître et trouver des solutions durables.

Un principe de précaution bien compris n’est pas incompatible avec une prise de risque économique et avec l’esprit d’entreprise. Il permet de les orienter.


Lire l'article complet, et les commentaires