Nucléaire : logique énergétique ou économique ?

par Olivier FRIGOUT
lundi 13 février 2006

La question du nucléaire hante à nouveau les décideurs, et ceci malgré le double spectre de l’accident de Tchernobyl et de l’incontournable question du retraitement des déchets. Pour le moment, seules la France, la Finlande et la Roumanie se sont lancées dans la construction de nouveaux réacteurs. Mais les fortes tensions sur le marché des combustibles fossiles conduisent d’autres pays à s’interroger.

Ainsi, la Grande-Bretagne a décidé de lancer une consultation publique sur son approvisionnement énergétique, évoquant la relance possible de son programme nucléaire. L’Espagne, la Suisse et les Pays-bas semblent, quant à eux, indécis et pourraient changer de politique énergétique. L’Allemagne du chancelier Schröder était sortie du nucléaire, mais cette décision ne tient qu’à la capacité des Allemands d’accepter la hausse des prix de l’énergie. Enfin, les États-Unis ne cachent pas leur volonté de se doter de la technologie EPR.
Brandis comme l’ennemi public numéro un, les gaz à effet de serre sont devenus le meilleur allié du nucléaire. En effet, 80% de la production d’énergie dans le monde provient du pétrole, du charbon et du gaz. Atypique dans le paysage énergétique mondial, la France produit 80% de son énergie avec ses centrales nucléaires, position qui incite le chef de l’État à lancer la conception d’un prototype de 4e génération, prévu pour entrer en service en 2020. Une date qui laisse pantois, lorsqu’on sait que la technologie qui permettrait de faire fonctionner un réacteur à neutrons rapides est loin d’être maîtrisée.


Utilisant de l’uranium 238 (et non 235 pour les réacteurs actuels et le futur EPR) et du plutonium issu des réacteurs actuels, le « cycle fermé du combustible » n’est pas annoncé avant 2050 par le CEA lui-même ( Dossier nucléaire CEA. Cet optimisme d’État s’explique peut-être par les liens historiques et politiques qui lient Jacques Chirac à celui qui a fait entrer la France dans l’ère de l’atome. Comme je l’expliquai dans Nucléaire français : l’absurde fuite en avant, les réserves mondiales d’uranium 235 seront épuisées avant la fin du siècle (le CEA annonce 50 ans de réserves mondiales raisonnablement accessibles -sources), disqualifiant avant même sa mise en service l’EPR. Quant à l’uranium 238, il ne nous offrira que 1500 à 4000 ans de ressources.
Mais la question essentielle qui se pose dans une telle perspective reste : l’indépendance énergétique « relative » que nous assure aujourd’hui le nucléaire est-elle garantie à plus long terme ?
En effet, seuls 2% des gisements d’uranium sont détenus par l’Europe, le reste est donc soumis au bon vouloir des pays qui les détiennent. Et le fait que le Canada et l’Australie recèlent plus de 40% des réserves mondiales ne met aucun pays à l’abri d’une pénurie. Que seront ces pays dans un siècle, dans mille ans, d’un point de vue politique ? Personne ne peut répondre à cette question.
Et alors que Toshiba a mis, selon la presse japonaise, cinq milliards de dollars dans le rachat du groupe nucléaire américain Westinghouse, et que la Chine a lancé un vaste programme nucléaire de près de 50 milliards de dollars pour se doter de 40 réacteurs d’ici 2020, les énergies renouvelables, seules ressources inépuisables et garantissant une indépendance énergétique absolue, dérangent toujours la vue ou l’ouïe de quelques électeurs.
Comme pour le pétrole, les intérêts économiques semblent plus forts qu’une politique énergétique à long terme, la protection de l’environnement et la santé publique réunies. Ils drainent des investissements dont le coût final (retraitement des déchets, démantèlement des centrales en fin de vie) dépasse l’imagination et qui cautionneront l’escalade nucléaire de certains pays que la communauté internationale montre du doigt.
L’échec de l’appel d’offre lancé par le gouvernement français en février 2004 pour 500 mégawatts offshore (seuls, 105 ont été retenus) montre combien les priorités budgétaires ne sont pas en faveur du développement de technologies propres et viables à long terme. La lente progression de l’utilisation de ces ressources inépuisables en France ne suffit pas à donner l’impression que la préservation de la planète est désormais au cœur de la politique, bien au contraire, elle illustre la capacité de nos dirigeants à poursuivre dans une voie qui répond à des intérêts économiques et partisans, au détriment de l’intérêt général.


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