BOURGES BARJOTS

par Jules Elysard
vendredi 26 avril 2013

Dimanche 21 avril, il faisait beau et je traînais dans le Jardin des Tuileries. Je m’étais installé sur un banc, côté quai des Tuileries, et je lisais un livre.

Aux environs de 16 h, j’ai entendu quelques clameurs et des coups de klaxon au loin, côté rue de Rivoli. Je savais que des événements avaient été organisés autour du mariage dit « pour tous ». Des opposants « de droite » devaient défiler sur la rive gauche et des partisans «  de gauche » devaient se réunir à la Bastille. Quelques incontrôlés avaient pu échouer rue de Rivoli. Je fus piqué par la curiosité.

Je traversai le parc pour voir les enragés. Aux couleurs bleues qu’ils agitaient, j’ai conclu qu’il s’agissait probablement d’un escadron de « la manif pour tous » ou du « printemps français ». Mais ce n’était pas un commando de crânes rasés. Quelques jeunes garçons et jeunes filles de bonne famille qui faisaient preuve d’audace tout simplement.

 

Leur audace était toute en modération d’ailleurs et leur rage se limitait à bloquer un peu la circulation à un feu rouge. Celui de la rue Rivoli à la hauteur de la rue du Vingt Neuf juillet qui permet aux visiteurs d’accéder au jardin et de le quitter. Les clameurs étaient celles des jeunes gens et les klaxons ceux des automobilistes qui voulaient les soutenir ou leur demander de se retirer.

Comme pour me contrarier, ces jeunes ont d’ailleurs décidé de se retirer au moment où je m’approchais. Ils sont entrés dans le jardin et j’ai entrepris de les suivre. Ils l’on traversé par la gauche, en sont sortis au quai des Tuileries et ont emprunté le Pont Royal. Je les avais estimés à une vingtaine environ lorsqu’ils étaient dans le jardin, mais sur le pont ils ne me semblaient plus qu’une dizaine. Ils ne cherchaient plus à importuner les voitures (point trop n’en faut) et se contentaient d’agiter leurs couleurs sous le nez des passants. Je les ai suivis encore le long du quai Anatole France, mais je les ai quitté au niveau du pont Léopold Sedar Senghor en renonçant à les interviewer (point trop n’en faut).

Les jeunes enragés s’enfonçaient dans l’avenue Solferino, peut-être dans le but d’envahir les locaux du parti qui est majoritaire depuis moins d’un an.

 

Je me suis interrogé un temps sur les réelles motivations de ces enfants.

Ils semblent épouser avec tant de ferveur les passions de leurs parents. Ceux-ci sont entrés en « résistance » sitôt élu l’usurpateur. Et nous ne sommes plus en 1981 où des enfants de la bourgeoisie, après avoir « écouter pousser leurs ch’veux », pouvaient avoir voté à gauche pour faire la nique à leur parents[1].

 

Le «  conflit des générations » que moquait Brel semble avoir quitté cette bourgeoisie, petite et moyenne, en perte de repères et de valeurs, qui déclare se lancer dans « la guerre civile ».

C’est la peur qui domine cette bourgeoisie et ses enfants : peur de l’avenir et déclassement ; peur de perdre une situation, des privilèges, des illusions.

Les enfants sont perdus, en outre, entre la peur et l’envie de perdre un pucelage, d’être des « paumés du petit matin ».

 

Perdus entre l’envie de dire, avec Paul Nizan[2] et un peu d’anticipation : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » 

Et de dire avec Rimbaud et un peu d’impatience :

 

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

On va sous les tilleuls verts de la promenade.[3]

 

Cependant, les ressources de la psychologie sont nécessaires pour comprendre comment ils peuvent être transportés par les figures tutélaires de Frigide Barjot et Béatrice Bourges.

 

Lorsque j’avais leur âge, il m’était arrivé de défiler dans la rue, mais ce n’était pas dans des manifestations qu’avaient organisées des amis de mes parents.

 

Le livre que je lisais une demi-heure avant de croiser ces enfants, c’était l’Histoire anachronique des Français de Louis Chevalier.



[1] Ils pouvaient même aller jusqu’à entonner des chansons un peu irrévérencieuses, quoique plutôt convenues lorsqu’on se milite au refrain : http://www.dailymotion.com/video/x1138t_jacques-brel-les-bourgeois-1964_music

 

[2] Aden Arabie (1931). Paul Nizan est le grand père d’Emmanuel Todd.

[3] On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

On va sous les tilleuls verts de la promenade.


Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin

A des parfums de vigne et des parfums de bière...

 

Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon

D'azur sombre, encadré d'une petite branche,

Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond

Avec de doux frissons, petite et toute blanche...


Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête...

On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête...


Le coeur fou robinsonne à travers les romans,

 Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...


Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...

Sur vos lèvres alors meurent les cavatines..


Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.

Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.

Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.

Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !...

 

Ce soir-là..., vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade...

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

 


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