C’est pas sérieux quand on s’appelle Jean Bertho

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 29 janvier 2021

« Les gens sérieux ont une petite odeur de charogne. » (Francis Picabia, peintre, "Écrits critiques" sorti en 2005).



L’ancien animateur de télévision Jean Bertho fête son 93e anniversaire ce samedi 23 janvier 2021. 93 ans ! Né en Lorraine, à Pont-à-Mousson, entre Nancy et Metz, il fait partie des dinosaures qui ont survécu à l’explosion de la météorite télévisuelle des années 1980 qui a inondé les ondes hertziennes de futilités, d’artifices et de ricanements. Mais en écrivant ces quelques mots, soudain, la tête me tourne, je vois plein de petits points grésillants sur un écran noir et je tombe dans un vieux canapé à la couleur kaki, si ce n’est orange, très à la mode…

Arg ! Ça y est, c’était sûr, ça devait arriver, je suis tombé dans une faille spatio-temporelle, un trou de ver peut-être (non, c’est bien autre chose, en fait)… Je suis plongé dans ces années 1970 si laides, si maudites ! Laides, car qui trouverait esthétiques les pattes d’eph et les cols longs comme un cimeterre ? Et les chignons ?…

Tu te retrouvais dans le dimanche ordinaire. C’était la joie. La messe était finie. Le Petit rapporteur aussi était terminé, Jacques Martin était parti avec sa bande (Pierre Desproges, Daniel Prévost, Stéphane Collaro, Pierre Bonte, Piem, etc.) sur l’autre chaîne. Sur la Une (TF1), une nouvelle émission. Tu la regardais un peu comme on mangerait une glace quand on admirait un beau paysage, sans la regarder. Une émission en guise de déjeuner. Deux joyeux lurons.





Tu avais là Jean Bertho. Son sourire. Ses cheveux blancs. C’est vrai, à l’époque, il avait déjà une petite cinquantaine de balais. Très petite, à peine cinquantaine, mais pour toi, c’était vieux, très vieux. Cheveux blancs. Celui qui rassurait, celui qui guidait. Ce n’était pas ton grand-père, il était plus sérieux, mais c’était pareil, peut-être le grand-oncle de Paris qui venait donner des nouvelles, les informations. C’était ton informatman. Tout se valait à l’époque. L’idée était de faire des calembours, mais pas comme chez Ruquier, non, des vrais calembours, ceux qui plaisaient sans se tirer les cheveux, sans autosatisfaction narcissique. Juste comme ça, sans prétention.

Non, il était plutôt l’ami de la famille. Celui qui apportait toujours quelques pâtisseries appétissantes. Qui te dirait que tout allait bien, même si tout allait mal. Le fait même de rire suffisait à rire. Le protecteur.

Il était le producteur en chef, le grand prêtre de l’émission. "C’est pas sérieux". Tu râlais déjà de l’imprécision de la syntaxe. C’était à la télévision française et ça ne parlait déjà plus français. Plus tard, on aurait pire, "C dans l’air", "C à vous". Ce serait carrément le langage sms à la télé. Mais c’était encore avant, bien avant, à une époque où l’on imaginait la télévision portable plutôt au poignet, à la place de la montre, que dans la poche, dans un téléphone qui était encore ce gros boîtier noir très laid avec ce disque en plastique à ressort pour former les numéros (vive le 1, gare au 9 et au 0).

Au moins, le titre de l’émission te plaisait. C’était lui, Jean Bertho, qui venait chez toi, dans ton salon. Il occupait la meilleure place dans le fauteuil que tu lui avais réservé. Et il venait avec sa troupe. Et dans sa troupe, tu ne pouvais pas manquer son frère jumeau, impossible que l’un fût là sans l’autre.



L’autre, c’était Jean Amadou. Comme tu aimais Jean Amadou ! Il était le "politique" du lot. Jean Bertho, lui, s’amusait et amusait. Mais Jean Amoudou, du haut de son grand mètre quatre-vingt-treize, il était une tête pensante. Il connaissait toute l’actualité, celle politique, ou diplomatique, ou économique. Tu pouvais la croire ennuyeuse mais c’était tout le contraire, tu en raffolais. Jean Bertho n’était qu’un entremetteur, qu’un amuseur de salle. C’était Jean Amadou que tu voulais entendre. Sa revue de presse. Il zigzaguait avec l’actualité comme un fou du volant. Saltimbanque mais pas méchant. Ni bête ni méchant. C’est sûr que c’était beaucoup soft que Le Petit Rapporteur, mais c’était plus opportun pour le repas dominical. Moins acide, plus bon enfant.


Et puis, après son speech du début, Jean Amadou se levait et s’avançait devant un chevalet avec une collection de grandes feuilles blanches. Tu adorais cela car tu adorais le dessin. Alors, je ne me souviens plus beaucoup. Il y avait un dessinateur, c’était peut-être Dadzu, mais ma mémoire flanche déjà, éparpillée par le retour du temps, qui faisait devant la caméra son dessin, et avec un petit mot de Jean Amadou, le modifiait d’un simple trait et cela changeait complètement la signification. C’était très courant à l’époque, Piem faisait cela pour Jacques Martin.

Jean Bertho continuait sa messe. Il y avait sa liturgie, ses rituels, aussi ses chants, c’était l’occasion pour certains artistes de venir vendre leurs disques, comme dans une émission de variétés classique. Tu aimais bien le kiosque. Pendant très longtemps, ta mémoire t’a joué des tours, tu étais persuadé que c’était Simone Signoret qui tenait la boutique. Tu avais des circonstances atténuantes, elle avait la même coiffure.

Le concept était assez simple. Dans le kiosque, la vendeuse de journaux pouvait raconter quelques brèves, quelques anecdotes, quelques faits-divers. En fait je ne sais plus trop bien, si ce n’est que ta mémoire était complètement bidon. Ce n’était pas Simone Signoret, mais Anne-Marie Carrière. C’est vrai, l’une comme l’autre étaient, pour toi, déjà des "vieilles", l’une 55 ans, l’autre 51 ans. Mademoiselle Rose te faisait sourire sinon rire. Et c’était de l’humour tendre. De l’humour à la fin duquel on s’embrassait. Maintenant, impossible. Gestes barrières !





Puis, en essayant d’aller tout au fond de la mémoire, il y avait aussi une autre chronique, c’était une sorte de reportage humanitaire, "Les Petits Ivoiriens". À l’origine, l’idée était d’imiter l’expression "Les Petits Suisses", ces petits pots de crème que tu pouvais avoir à la cantine scolaire, qui, à l’époque, était supposée être très dégueulasse, mais beaucoup beaucoup moins que maintenant car à l’époque, c’était des menus préparés sur place avec de vrais cuisiniers et des vrais produits frais, sans conservateurs et venant de pas très loin, pas une multinationale spécialisée dans la restauration collective qui chasse les centimes d’euros si ce n’est les dixièmes d’euros.

L’idée était sans doute de se donner bonne conscience, mais cela aidait pas mal d’enfants de Côte d’Ivoire, c’était aussi une occasion de connaître d’autres cultures, d’autres modes de vie…

"C’est pas sérieux", émission produite par Catherine Anglade et tournée au Studio 102 de la Maison de la Radio, fut ton rendez-vous avec l’humour et la gaudriole. Mais c’était encore de …l’humour courtois. Bon anniversaire, Jean Bertho !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 janvier 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean Bertho.
Piem.
Olivier Mazerolle.
Alain Duhamel.
Marc Ferro.
Michèle Cotta.
Philippe Alexandre.
Henri Amouroux.
Noël Copin.
Françoise Dolto.
Philippe Bouvard.
Menie Grégoire.
Évelyne Pagès.
Jean Garretto.
Jacques Chapus.
Henri Marque.
Arthur.
François de Closets.
Pierre Desgraupes.
Philippe Gildas.
Pierre Bellemare.
Jacques Antoine.
Bernard Pivot.
Michel Polac.
Alain Decaux.


Lire l'article complet, et les commentaires