Roger-Gérard Schwartzenberg, boîte à idées institutionnelles

par Sylvain Rakotoarison
lundi 22 mai 2023

« Roger-Gérard Schwartzenberg confirme qu'il prend place, par les bonheurs du style et la rigueur de la pensée, au premier rang de nos écrivains politiques. » (François Mitterrand, le 11 février 1981 dans "Le Monde").

Un illustre futur Président de la République, encore simple candidat, a loué le talent intellectuel et la plume d'un spécialiste du droit constitutionnel qui allait devenir un de ses ministres quelques années plus tard et une valeur sûre de la politique française.

Un nom long qui ne s'est jamais transformé en sigle comme VGE, DSK, JJSS, NKM et même PMF. L'ancien ministre Roger-Gérard Schwartzenberg a fêté ses 80 ans le samedi 17 avril 2023. Si son cousin Léon Schwartzenberg était réputé comme médecin, cancérologue et homme très médiatique (qui s'est frotté très furtivement à la politique jusqu'à avoir été quelques jours ministre), Roger-Gérard Schwartzenberg est connu comme un professeur de droit public, spécialiste de sciences politiques et de droit constitutionnel, auteur de livres politiques qui ont fait références et homme politique à part entière. Il a aussi été membre du jury de thèse du futur Président de l'Assemblée Nationale Jean-Louis Debré.

Agrégé de droit à 25 ans en 1968, plus jeune professeur d'université de droit, d'abord à Orléans puis en 1969, à Paris-Assas ainsi qu'à l'IEP Paris, Roger-Gérard Schwartzenberg a allié à la fois l'observation et l'analyse politiques à l'action politique. Dans la théorie pendant les années 1970 (intervenant régulièrement dans "Le Monde" et "L'Express"), il mettait en avant les avantages d'un régime politique rationalisé et régulateur, en particulier par le quinquennat (ce n'était pas nouveau, Georges Pompidou y était déjà favorable), un statut de l'opposition au Parlement (qui fut mis en place par Nicolas Sarkozy en 2008), l'organisation de primaire ouverte dont le modèle allait être adopté par le parti socialiste en 2011, et aussi une limitation du cumul des mandats, un financement public des partis politiques et des campagnes électorales et un plafonnement de ces dernières. Dans la pratique, il s'est jeté dans l'action dans les années 1980 avec l'arrivée de la gauche au pouvoir.

Député européen sur la liste socialiste menée par François Mitterrand de 1979 à 1983 (colistier de Maurice Faure entre autres), Roger-Gérard Schwartzenberg a été élu président du MRG (Mouvement des radicaux de gauche) le 5 octobre 1981 pour remplacer Michel Crépeau, candidat radical de gauche à l'élection présidentielle de 1981, nommé par la suite Ministre du Commerce et de l'Artisanat par François Mitterrand (RGS était auparavant délégué général en 1976 puis vice-président du MRG en 1978).

Comme le voulait la tradition mitterrandienne, tout président du MRG devenait ministre et tout ministre devait quitter la direction d'un parti. Ainsi, Roger-Gérard Schwartzenberg a été nommé Secrétaire d'État à l'Éducation nationale du 24 mars 1983 au 20 mars 1986 dans les gouvernements de Pierre Mauroy et de Laurent Fabius, plus particulièrement chargé des Universités à partir du 23 juillet 1984.

À ce titre, il a démissionné de la présidence du MRG le 12 octobre 1983, présidence qu'il n'allait jamais retrouver, laissant les radicaux de gauche être dirigés par Jean-Michel Baylet (lui aussi futur ministre de François Mitterrand).

Passé dans l'opposition en 1986 où il s'est fait élire député du Val-de-Marne (à la proportionnelle), Roger-Gérard Schwartzenberg a commencé une longue carrière de député, de mars 1986 à juin 2007 et de juin 2012 à juin 2017 (il a échoué à l'élection de juin 2007, sinon, il a toujours été réélu au scrutin majoritaire). Très présent à l'Assemblée Nationale, il a créé un groupe politique rassemblant les radicaux de gauche, qu'il a présidé de juin 2012 à juin 2017, appelé groupe radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP), qui a soutenu très fidèlement les gouvernements nommés par François Hollande tandis que le président des radicaux de gauche (PRG, Parti radical de gauche alors) Jean-Michel Baylet souhaitait quitter la majorité pour éviter d'être entraîné dans le naufrage de la gauche en 2017. Auparavant, il a présidé de 1999 à 2000 le groupe radical, citoyen et vert (RCV) à l'époque de la "gauche plurielle".

Roger-Gérard Schwartzenberg n'est pas redevenu président des radicaux de gauche (il en est le président d'honneur depuis des décennies), mais cela ne l'a pas empêcher de revenir aux affaires dans le gouvernement de Lionel Jospin, nommé Ministre de la Recherche du 27 mars 2000 au 6 mai 2002, succédant à l'imposant géologue Claude Allègre. C'est à ce poste qu'il a sans doute montré le plus d'envergure ministérielle, en contribuant au lancement ou à la relance des programmes ITER, Galileo, Ariane 5+, du synchrotron SOLEIL (Source optimisée de lumière d'énergie intermédiaire du LURE) à Saclay, etc.

Après l'échec présidentiel de Lionel Jospin en 2002, il a transmis son ministère au président du radical valoisien François Loos le 6 mai 2002, puis à la spationaute Claudie Haigneré, nommée le 17 juin 2002 par le Président Jacques Chirac.



Dans sa vie politique, Roger-Gérad Schwartzenberg a eu des positions assez classiques pour un membre du parti radical de gauche, à savoir la promotion de la construction européenne (en particulier du TCE en 2005), la défense de la laïcité (il s'est opposé en décembre 2013 au port du voile islamique par les parents qui accompagnent les élèves lors de sorties scolaires), l'aide au progrès scientifique au prix d'omissions sur l'éthique (jusqu'à soutenir le clonage thérapeutique en mai 2005 et l'expérimentation sur les embryons humains le 23 janvier 2013 : « Le rôle de l'État n'est pas d'entraver la science biomédicale par une législation inappropriée et obsolète. Il importe donc d'agir pour modifier cette législation, afin que la recherche cesse d'être la recherche du temps perdu. ») ; à la déchéance de nationalité contre les terroristes binationaux, il a proposé en janvier 2016 de lui préférer la déchéance des droits civiques. En avril 2006, il était par ailleurs en faveur d'un référendum sur le CPE (contrat premier emploi) après les fortes manifestations de protestation contre ce projet de Dominique de Villepin.

Roger-Gérard Schwartzenberg a proposé aussi de légiférer sur l'euthanasie le 26 septembre 2012 (proposition n°228) avec ce sophisme qui commençait l'exposé des motifs : « Choisir la mort devrait être la dernière liberté. » et en souhaitant « une assistance médicalisée permettant, par une aide active, une mort rapide et sans douleur », comme si la mort pouvait ne pas être douloureuse (tout en compensant la charge financière de l'État induite par de nouvelles taxes, comme l'indique l'article 7, le dernier, de cette très légère proposition de loi !).

Si en mai 2006, Roger-Gérard Schwartzenberg n'était pas opposé à une alliance avec l'UDF de François Bayrou (qui avait voté la censure du gouvernement de Dominique de Villepin), il s'est opposé en juillet 2007 aux premières tentatives de réunification des radicaux engagées par Jean-Michel Baylet, président du PRG, et Jean-Louis Borloo et André Rossinot, coprésidents du parti radical valoisien, considérant que Jean-Louis Borloo était un influent ministre d'État du gouvernement UMP alors que lui-même était dans l'opposition.

Après avoir été décoré chevalier de la Légion d'honneur le 3 avril 2009 par le Président Nicolas Sarkozy, Roger-Gérard Schwartzenberg a été promu officier de la Légion d'honneur le 31 décembre 2018 par le Président Emmanuel Macron.

Courir après les honneurs ? Cela ne lui ressemblait pas, mais pourtant, le 15 janvier 2004, l'ancien ministre, professeur de droit et député s'est présenté à l'Académie française au fauteuil du grand constitutionnaliste Georges Vedel, mort le 21 février 2002. Bien qu'arrivé en tête avec 10 voix, il n'a pas obtenu de majorité face à ses concurrents (dont l'astrophysicien Jean-Claude Pecker, professeur au Collège de France et membre de l'Académie des sciences, dont on fête le centenaire de la naissance le 10 mai 2023). L'élection a été dite blanche, c'est-à-dire sans avoir choisi de successeur. Après son retrait pour ce siège et quelques velléités pour le siège de l'ancien ministre et historien Alain Decaux (mort le 27 mars 2016), Roger-Gérard Schwartzenberg a finalement abandonné l'idée de devenir immortel.

Théoricien du droit constitutionnel, Roger-Gérard Schwartzenberg en est devenu un praticien comme homme politique à part entière, tant comme parlementaire que ministre et chef de parti. C'est surtout comme parlementaire qu'il a été très fertile en propositions de loi sur de nombreuses questions, institutionnelles ou pas.

Ainsi, le 12 septembre 2016 (proposition n°4030), il a proposé (plus dans un objectif de rationalité que de démagogie) de limiter le nombre de ministères dans un gouvernement à trente, vingt ministres dont une loi organique fixerait la dénomination et le périmètre, et dix ministres délégués ou secrétaires d'État. C'était typiquement une proposition d'un professeur de droit qui a du mal à comprendre l'action politique et s'il y a bien une grande liberté à laisser au Président de la République et au Premier Ministre, c'est bien la nomination du gouvernement, l'importance des ministres et des ministères et même leur dénomination, tout cela étant une décision éminemment politique (l'idée de nommer Jean-Louis Borloo Ministre d'État à l'Écologie n'était pas anodine, par exemple).

Le 12 septembre 2016 également (proposition n°4031), il a proposé l'obligation, lorsqu'un Premier Ministre vient d'être nommé et de prononcer un discours de politique générale, d'engager la responsabilité du gouvernement devant les députés. Ce simple petit mot, obligation, aurait pourtant été un changement de régime radical, absolument rejeté par De Gaulle et le père de la Constitution Michel Debré. En effet, cette obligation aurait ramené la France sous la Quatrième République dans le cas où aucune majorité absolue n'aurait été élue par les électeurs, ce qui était le cas de novembre 1958 à novembre 1962, de juin 1988 à mars 1993 et, surtout, depuis juin 2022 ; on imagine mal Élisabeth Borne, dans les conditions actuelles, confirmée par une majorité absolue de députés après son discours de politique générale le 6 juillet 2022. Le principe justement de la Cinquième République, c'est de permettre un renversement du gouvernement dans le seul cas où ce serait constructif, à savoir, qu'il existe une majorité de rechange et un Premier Ministre de rechange capable d'obtenir la confiance des députés. Ce qui n'est pas le cas depuis 2022.

Le 5 octobre 2016 (proposition n°4078), Roger-Gérard Schwartzenberg a aussi proposé que le Président de la République présente aux parlementaires à Versailles, chaque année en janvier, un message sur l'état de la Nation, un peu comme c'est le cas pour le Président des États-Unis (et également pour le Président de la Commission Européenne). Il l'avait proposé à une époque où la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur le sujet (le Président de la République peut s'exprimer une fois par an devant les parlementaires) avait été appliqué seulement deux fois en deux quinquennats, le 22 juin 2009 et le 16 novembre 2015. Là encore, c'était proposer un cadre rigide sur ce qui était déjà possible de faire : en effet, le Président Emmanuel Macron a utilisé deux fois cette possibilité le 3 juillet 2017 et le 9 juillet 2018, et comptait l'utiliser chaque année de son quinquennat pour présenter le bilan de l'année passée et l'agenda de l'année à venir. La crise des gilets jaunes, puis la crise sanitaire, enfin la guerre en Ukraine ont fait complètement disparaître cette résolution initiale.

Encore auparavant, faisant preuve toujours d'une forte productivité et créativité constitutionnelles, le 8 janvier 2013 (proposition n°576), Roger-Gérard Schwartzenberg a proposé un changement du statut des anciens Présidents de la République : ils ne seraient plus membres de droit du Conseil Constitutionnel, ce qui peut poser des questions sur l'impartialité du Conseil Constitutionnel, notamment sur ses décisions concernant les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), et à la place, ils seraient membres de droit du Sénat (donc à vie). Actuellement, ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande, les deux seuls anciens Président de la République encore en vie, ne siègent au Conseil Constitutionnel (et ils ne reçoivent donc pas les indemnités associées).

Enfin, je termine sur la proposition n°229 du 26 septembre 2012 dans laquelle l'ancien ministre radical de gauche a proposé l'élection des députés européens à la proportionnelle à l'échelle nationale et pas dans le cadre des grandes circonscriptions comme entre 2004 et 2014, c'est-à-dire, en fin de compte, reprendre le mode de désignation des députés européens originel, celui entre 1979 et 1999. Même si cette proposition de loi n'a pas été adoptée à l'époque (en 2012), l'idée, sur le fond, a été reprise par la loi n°2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement Européen sous l'impulsion du Président Emmanuel Macron.

En ce sens, Roger-Gérard Schwartzenberg s'est révélé être une très dense boîte à idées institutionnelles, et les gouvernements ont pioché ce qui leur semblait le plus intéressant.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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