Confession Épistolaire

par C’est Nabum
mardi 5 mars 2024

 

Journal infime

 

Après des années de mal-être, de difficulté à trouver ma place dans ce monde qui ne m'a jamais sans doute tendu les bras, j'arrive à un âge où je me dis qu'il serait temps de me réconcilier un tant soit peu avec une histoire chaotique qui m'a toujours encombrée. Écoutant quelques conseils bienveillants, après une série de mésaventures qui m'ont tourneboulé l'esprit, c'est en couchant sur le papier ce qui ne peut être dit aisément, que je vais tenter de partir enfin du bon pied même si ce que j'ai à vous confier n'a rien de monstrueux ni d'extraordinaire et que ce récit n’intéressera guère de monde, il sera pour moi salutaire.

Ce journal infime bien plus qu'intime est celui d'une gamine de ce qu'on nommait alors la DDASS qui a su trouver une bonne étoile sur son parcours, ce qui évitera de tomber dans le mélodrame et le sordide. Les amateurs d'histoires terrifiantes devront passer leur chemin, j'en suis désolée. Pourtant ce que j'ai vécu demeure encore si présent qu'il me faut aujourd'hui vous le narrer sans fausse pudeur ni surtout sans le moindre exhibitionnisme.

Tout a commencé de curieuse manière, me mettant immédiatement en fâcheuse posture. Longtemps j'ai pensé être née de père inconnu du ventre d'une génitrice qui ne m'a jamais aimée. C'est sur un quai de Loire que je vis le jour et dans ce contexte ce fut la rivière que j'ai considérée comme ma marâtre .

Mais je vais trop vite en besogne. Il faut bien semer la graine qui me fit naître et déjà là, le sordide se mêle à l’incroyable, la grande histoire justifiant l'imbroglio de mes petits malheurs. Je devine que le cours de mon récit ne sera pas un long fleuve tranquille et je dois faire effort de ne pas embrouiller plus ce qui l'est déjà dans mon esprit. Je vous demanderai donc de faire preuve d'un peu de mansuétude dans les arcanes d'une mémoire qui aurait bien envie de se perdre en chemin.

L'Europe fut mise à feu et à sang pour que mon éventualité puisse advenir. C'est en Pologne que se joua le premier acte de ma possible venue au monde dans des conditions qui alors la rendaient fort incertaine voire hypothétique. La légende familiale prétend que mon grand-père paternel a été interné dans un camp en Allemagne, duquel il parvint par miracle à s'échapper. Sa fuite l'a conduit sans que j'en sache beaucoup plus dans un laminoir en France avec ma grand-mère dans ses bagages. Celle-ci était enceinte de ma mère.

Ma grand-mère que j'ai beaucoup aimée me racontait qu'en Pologne, elle courait sous les bombes en poussant le landau de sa fille. La paix les a conduits en France, dans la région de Nantes pour le travail. Ils vivaient alors dans des préfabriqués de l'usine. Tout aurait pu aller pour le mieux mais le grand-père, en polonais qui se respecte aimait beaucoup à boire et bien peu à marcher. Un soir de beuverie, il vola un vélo pour tenter de rentrer plus aisément chez lui et fut renvoyé du logement. Puis ce passé de Basse Indre se brouille dans mes souvenirs.

Étrangement, à la même époque se nouait un autre destin. Le père de celle qui allait devenir ma mère de cœur avait été abandonné au pied d'une colonne comme cela se faisait autrefois. Des sœurs charitables l'ont recueilli et lui ont donné un patronyme proche du mot colonne. Cela se passait en Savoie, à l'opposé de mon pays de Loire. Mais patientons un peu pour retrouver cette femme exceptionnelle.

C'est en décembre que je fus extirpée d'un ventre qui ne demandait qu'à se débarrasser de moi. Il faut reconnaître que cette femme avait été trahie et abandonnée à quelques jours d'un mariage programmé par le géniteur qui avait préféré d'autres bras. C'est ainsi que très longtemps, j'ai pensé que ce personnage n’existait que par le truchement de l'offrande qu'il avait laissée à ma mère biologique. Pour moi, j'étais née de père inconnu.

Ma mère au désespoir, alla vivre chez une de ses quatre sœurs, me confiant ainsi à qui voulait bien prendre le temps de s'occuper de moi. Ma grand-mère en dépit de son âge et d'un parcours qui l'avait épuisé s'occupa autant que possible de ce bébé que sa fille rejetait. Femme marquée par son catholicisme et son bon cœur, d'une infinie gentillesse. Elle me laissa un bon souvenir.

Chez la sœur de ma mère, c'est l'une de ses filles : une cousine en somme qui s'occupait de moi. C'est de cet hébergement provisoire que ma vie trouva un heureux rebondissement. Cette tante, si je peux l'appeler ainsi, avait une voisine qui allait embellir ma vie. J'avais tout juste six mois quand un rayon de soleil entra dans mon existence. Une femme et sa famille changèrent ma destinée.

Ce sont donc les voisins qui m'ont intégrée dans leur famille sans se soucier des règles ni de leur nombreuse famille. Je suis ainsi devenue la petite sœur choyée de frères et sœurs pour lesquels je n'étais qu'une inconnue sans que jamais ils ne pensent ainsi. Comme l'administration de temps à autre demandait à ma famille biologique de me rendre une petite visite, jusqu'à l'âge de 13 ans je demeurai une étrangère légale à ma famille nourricière.

Ma mère véritable finit par se remarier alors qu'elle avait eu une autre enfant lors d'une aventure précédente. Cet homme traitait ma sœur et moi de bâtardes quand l’administration m'imposait de vivre quelque temps avec eux. Je faisais alors des cauchemars, j'avais de terribles insomnies et je fuguai sans savoir où rejoindre ma famille de cœur. J'avais cinq ans, deux demi-sœurs et un demi-frère, tous de pères différents. Vous imaginez combien il est aisé de se construire dans pareille situation.

Tout ce qu'il y a de plus sordide est alors advenu dans cette famille qui n'en était pas une. Les tromperies, la violence, l'alcool, l’exhibitionnisme de ce beau-père indécent, les mauvais traitements et une alimentation incertaine tandis qu'il existait pour moi un havre de paix chez les voisins.

Avant même mon placement officiel à la DDASS qui se déroula bien plus tard, le couple de voisins me prit sous son aile. Je leur serai éternellement reconnaissante alors que de leur côté ils avaient un fils gravement malade qui décédera pour ses 20 ans. Pendant ce temps ma mère enfantait et abandonnait ses rejetons dans une institution. Le tableau était tel qu'enfin une décision de placement chez mes adorables voisins clarifia une situation qui n'était plus tenable pour moi.

Pour mes bienfaiteurs, la vie n'était pas facile : Quatre garçons, de petits revenus et une petite fille bien plus jeune. Le placement apporta un peu d'argent et l'association des Castors permis la construction d'une maison pour cette arche de Noé. Jusqu'à mes 13 ans je fus dans l'obligation de temps à autre de rendre visite à celle qui se prétendait malgré tout ma mère puis j'ai pu me déterminer dans mes choix.

Malgré tout l'amour que j'ai reçu de cette famille, bien des images noires tournaient dans ma tête. J'ai connu vous devez vous en douter une adolescence difficile et la jeune fille agitée que j'étais ne fut hélas pas toujours à la hauteur de l'amour que je recevais là où désormais je vivais. Comment pouvais-je en toute franchise leur restituer pleinement l'amour que je recevais ? J'avais trop de misère à porter, de fardeaux à découvrir encore, de non-dits qui envahissaient mon existence. Malgré l'éloignement et ma vie de femme que je garderai pour moi, j'ai toujours été présente pour eux, jusqu'au bout. Je leur devais bien ça.

Le temps a passé, des fantômes de cette existence que j'ai fuie ont surgi : des sœurs, ce fameux père que je pensais inconnu. Les réseaux sociaux ont ce pouvoir de remuer bien des pans entiers que parfois il serait bon de ne pas soulever. Pendant ces révélations qui me bouleversaient tout en me mettant en rage, je perdais une grande partie de ma famille élective sans avoir pu leur dire l'amour que j'avais pour eux.

Ma marâtre et son merveilleux mari ne sont plus là ainsi que deux de mes grands frères de cœur. Je vis loin de mes deux derniers frères et je dois faire avec cette autre famille qui surgit d'on ne sait trop où. Il me faut faire avec, remettre chacun à sa bonne place et tenter d'en trouver une cohérente pour moi. Cet écrit m'aidera peut-être, au moins à clarifier un peu les choses et surtout à évacuer tout le sordide que j'ai découvert et qu'il convient ici de ne pas évoquer plus que nécessaire.

Lors d'un concert où mon frère de cœur tenait une place importante, il y avait des places vides devant moi. Je savais fort bien qu'elles étaient réservées à ceux de ma famille de cœur à jamais disparus mais si présents encore. Il y avait aussi mes sœurs biologiques qui avaient profité de l'occasion pour venir à ma rencontre.

Que dois-je faire désormais. Faire en sorte que cet écrit coule dans le marbre ce passé. Qu'il ne laisse transpirer que ce que j'ai bien voulu noter ici et qu'il efface tout ce qui a été omis. J'entends reprendre ma route soulagée de ce fardeau mémoriel en me consacrant à ces sœurs surgies du passé, qui ont besoin de moi sans oublier naturellement ma fille et mon petit fils. Je remonterai doucement la pente, je peux vous l'assurer maintenant que tout ce qui suffit est écrit.

J'ai un formidable héritage, elle restera à jamais gravé au plus profond de moi. Qu’importe l'état civil, j'ai eu une famille de cœur et c'est à elle que je dois d'être restée debout. Merci à eux.

 

Cher confesseur épistolaire.

 

 

De votre récit, je compléterai à mon tour des textes personnalisée pour mes parents, mes frères, mes sœurs, ma fille, mon petit fils. Une version différente pour chacun d'entre eux.

Pour certains j'y raconterai les différentes phases de ma vie. Ma vie amoureuse tumultueuse à la recherche de l'amour véritable, mes rencontres, mes différents travails professionnels.

Votre écrit servira de commencement pour un renouvellement de mon histoire.

Il m'a donné aussi l'envie aussi d'en connaître un peu plus sur mes grands parents. En vous lisant je comprends que vous ne m'avez pas assigné le rôle de personnage principal de ce récit mais tous ceux qui me furent bienveillants et qui ont éclairé mon chemin.

Mes parents adoptifs m'ont affirmé que je fus leur soleil car j'étais, en dépit de ce parcours chaotique une enfant curieuse, enjouée, qui dansait qui chantait. J'ai toujours aimé la vie même si parfois, comment pouvait-il en être autrement, j'ai songé à la quitter.

Merci à vous d'avoir couché sur le papier les bribes de ma vie, le "brouillon" de cette vie agitée. Votre participation me confirme qu'il me faudra au plus vite revoir la Loire, elle me manque.

Soyez assuré que votre récit m'a touchée.

Illustrations de

Kurahashi Eiri


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