De la porte au clou

par C’est Nabum
lundi 29 mai 2023

 

Le doigt dans l'œil.

 

Il advint qu'un charpentier maniant avec habileté la varlope et la scie égoïne, suite à une fausse manœuvre, s'enfonça un clou dans la main alors qu'il avait les bras en croix. Le coup fut si rude que le malheureux en eut un coup au cœur tout en se frappant le crâne avec sa main valide et en s'exclamant : « Et dire que je ne suis pas à jour de mon vaccin antithétique ! »

Est-ce l'inquiétude, la perspective d'une fin atroce, la douleur ou simplement une fragilité émotive, toujours est-il que le pauvre garçon passa de vie à trépas avec son clou tordu et rouillé dans la main droite. Si ce détail peut vous sembler sans importance il l'était pour celui qui devait frapper la porte du paradis.

Il est des usages qu'il convient de respecter. Pointer le bout de son nez devant Saint Pierre n'est déjà pas une mince affaire, l'enjeu est de toute première importance pour qui n'entend pas passer sa mort dans les flammes de Satan. Frapper délicatement c'est donner une bonne impression mais comment toquer doucement avec sa mauvaise main ?

Il songea un instant, ce n'est guère malin, de donner un petit coup de pied, arguant qu'il avait glissé sur le paillasson. Il se retint se doutant que le maître des clefs trouverait inévitablement qu'il s'y prenait comme un pied pour pointer son nez ici. Il tergiversait devant cette porte close, souffrant mille morts pour lui qui n'en était qu'à sa première quand un écriteau qu'il n'avait pas vu jusqu'alors lui sauva la mise : « Entrez sans frapper ! »

Ce qu'il fit de bonne grâce ne se doutant pas de l’accueil qui lui serait réservé. Saint Pierre, vénérable vieillard, sans doute excédé de ne jouer ici qu'un modeste rôle de portier, en avait gros sur la patate de jouer les aiguilleurs du ciel. Si au moins, il bénéficiait des mêmes avantages que ses collègues terrestres, il jouirait d'un train de vie plus en conformité avec sa réputation. Hélas, Dieu en matière de droits sociaux pour son personnel, n'est pas différent des grands chefs d’entreprises profanes.

Saint Pierre qui avait pris son service du mauvais pied pour les raisons sus-évoquées vit d'un très mauvais œil celui qu'il prit pour un falsificateur, un copieur, un schizophrène se prenant pour le fils du patron. « Un seul stigmate ne fait pas de vous un candidat au salut éternel » lui déclara tout de go le méchant homme.

Le pauvre garçon en fut tout chamboulé. Déjà que sa venue ici était pour lui tellement inattendue et soudaine qu'il n'avait nullement songé à rédiger sa lettre de candidature mais qui plus est on le recevait comme au coin d'un bois. Avouez que pour mon menuisier, la chose est dure à avaler. Il lui fallait trouver réplique pour sa défense ou faire appel à un juriste pour cet effet. Hélas il ne connaissait qu'un certain Dupont Moretti, avocat du diable, fort déplacé en ce lieu.

Il se jeta dans l'eau de là, tentant le tout pour le tout pour amadouer le bougon de service. « Mon cher Saint Pierre, nulle intention pour moi de singer le fils du Seigneur. Regardez donc d'un peu plus très ce clou à tête ronde. Il provient du décor d'un théâtre où j'œuvrais à la création de celui-ci. On peut même affirmer que ce fut là le clou du spectacle ! »

Saint Pierre prit de haut ce postulant qui non seulement imitait médiocrement mais qui plus est, fricotait avec des acteurs qui de tout temps eurent maille à partie avec l'église. Par curiosité plus que pour trouver circonstance atténuante, il demanda le nom de la pièce. L'autre de lui répondre : « Cyrano de Bergerac ! ». Non seulement il se mettait le doigt dans l'œil et le clou dans la main mais en prime avec une telle pièce il y avait de quoi l'avoir dans le nez.

Le charpentier ira rôtir en enfer. Voilà ce qui arrive quand on fréquente d'un peu trop près les saltimbanques. Ces gens sont vraiment indésirables dans la fosse comme au Paradis.

À contre-emloi


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