Le colloque des « affluenceurs »

par C’est Nabum
jeudi 14 septembre 2023

 

La portion congrue.

 

Il advint qu'en un temps lointain, la volonté des humains d'établir une hiérarchie en toute chose provoqua un basculement dans l'ordre naturel des rivières de notre bassin versant. Alors que jusqu'à peu encore, les affaires fluviales étaient dirigées par la communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire et les fleuves descendants en icelle, le pouvoir revint à des gens de Seine qui s’empressèrent d'inverser le cours des choses.

La rivière prit des lettres de noblesse, devenant dans l'esprit de ceux qui n'étaient jamais tombés sur les charmes tous féminins de la donzelle un fleuve, tandis que ses compagnes et compagnons aqueux furent rabaissés à l'état de rivières subalternes. La géographie imposait désormais un ordre de bienséance dans les cours d'eau.

Depuis lors, les flots qui coulaient sous les ponts réclamaient de savoir à quel destin ils étaient voués. Compléments d'une voie royale ou bien maître de cérémonie d'un commerce juteux. C'était encore une époque cependant durant laquelle on ne franchissait pas un pont sans savoir, par le truchement d'une pancarte, quelle rivière on enjambait ainsi. Cependant, parmi les riverains de celles et ceux qui n'étaient plus que des faire-valoir, des porteurs d'eau en somme, la colère montait plus sûrement que la côte.

De l'Allier à la Boulogne au sud, de l'Arnoux à l'Erdre au nord chacun apportait sa pierre, sa contribution et souvent son grain de sable à la vaste épopée de celle qui tirait toute la couverture de son lit majeur à elle. Il devenait évident que la Loire attrapait la grosse tête, se voyait plus belle qu'elle n'était vraiment. Il convenait que le mérite des seconds rôles fut enfin reconnu à sa juste valeur.

Il fut établi une compagnie des affluenceurs, néologisme né d'une ressemblance avec un terme en vogue sur une vague numérique qui ne connait pas de creux. S'il n'était pas question de surfer sur leurs eaux, ils entendaient cependant faire valoir leur mérite par le truchement d'un colloque qui eut tout aussi bien pu se nommer conciliabule.

Une idée était chère à tous les participants à cette belle assemblée : Retrouver leur honneur au travers d'une reconnaissance symbolique d'importance. Les affluents avaient eu écho d'un grand Festival honorant dame Liger, celle que les poètes et les offices de tourisme qualifiaient de fleuve royal. La démocratie semblait n'être pas de mise en la matière à moins qu'ils n'y comprennent goûte dans les dépliants touristiques.

Pourquoi diantre ce grand rassemblement de la marine fluviale ligérienne ne portât pas le nom de Festival de Loire et de ses affluents. C'eut été la moindre des politesses que de reconnaître que sans eux, la Loire ne serait qu'un mince filet d'eau perdu parmi un désert de sable. La colère grondait parmi ceux qui se sentaient aussi lésés que dépossédés d'une part de leur importance.

 

Des envies de grève se firent jour. Si cette possibilité n'est pas nouvelle en Loire, elle risquait d'assécher plus encore le destin de cette manifestation. Nul ne songea du reste à faire barrage à cette idée même si, elle avait des détracteurs parmi les participants. En effet, il fut rapidement admis que cette expression du mécontentement collectif risquait fort de tomber à l'eau pour deux raisons majeures.

En premier lieu, la date choisie pour ce festival coïncide avec la fin de la grande période de l'étiage estival. Le risque serait grand d'attribuer à la météorologie ou à la saison les mérites d'un manque d'eau qui ne serait alors pas compris comme l'expression d'une revendication profonde.

D'autre part, la répartition des forces vives et des principaux contributeurs se plaçait bien en aval de la cité d'Orléans à l'origine de ce Festival. Là encore, le mouvement risquait de faire un flop retentissant.

 

Les participants se creusèrent la tête pour apporter un peu d'eau et beaucoup d'idées à leur moulin. Afin que la roue tourne un peu en leur faveur, il convenait de faire savoir au grand public que la Loire, celle-là précisément que des individus qualifiaient de Capricieuse n'était qu'une orgueilleuse qui s'appropriait tous les mérites. Parmi ses vassales, certaines penchaient pour une stratégie de débordement, prenant le contre-pied de la mise à sec et à sac de Fête.

Le colloque tournait vinaigre ce qui s'imposait tout particulièrement à propos d'un événement orléanais. Même le bon Saint Martin ferait ce qu'il pourrait pour montrer de quels flots la nature se sentait capable pour qu'en fin on la crût ou bien la respectât quelque peu. Des émissaires de la cité vinrent tenter de dresser des levées à ce flot de mécontentements afin que la discussion ne s'emporte pas.

Le Cher, l'Indre, le Beuvron, la Vienne notamment évoquèrent l'idée de rassembler leur force à l'imitation du Loir, de la Sarthe et de la Mayenne pour faire un peu plus entendre leurs voies navigables. Si l'union fait la force c'est aussi dans la capacité d'établir un puissant courant d'opinion que celle-ci pourrait parvenir à ses fins.

C'est alors qu'un participant de moindre importance à qui du reste on dénie le statut d'affluent car il était incapable de préciser ses sources : le Loiret émit l'idée d'inverser le courant durant la période incriminée. Les autres lui firent remarquer qu'il était le seul à être en mesure de réaliser ce prodige qui contrevenait aux lois de la physique des liquides.

Chacun campait sur ses positions, restant sur sa rive et n'en démordant pas quant à l'exigence de reconnaissance qu'on lui devait. C'est alors qu'un Historien suggéra de faire appel au passé de la cité responsable de ce trouble. Il suffisait d'assiéger la place, de demander aux représentants des différentes rivières oubliées, invités sur la manifestation de ne pas oublier de se réclamer de leur rivière.

Si les mariniers de l'Allier, du Cher, de l'Indre, de la Vienne, de la Maine, de l'Erdre se donnaient la main afin de manifester leur désappointement lors qu'un formidable bain de siège au cœur de la cité Johannique, réclamant à la face du monde leur part du festin, nulle Lorraine ne viendrait s'opposer à ce qu'enfin leur bon droit soit reconnu. Ce cri des chœurs mariniers même avec des basses eaux pour ces joyeux lascars permettrait de rétablir les oubliées dans leur bon droit. Les chie dans l'eau feraient ainsi entendre haut et fort cette juste revendication.

Remontés comme des coucous, nos mariniers mirent à exécution cette action d'envergure. Devant la force et la détermination de ceux qui entendaient qu'on rétablisse dans leur honneur, les affluents, le Festival fut débaptisé pour devenir ce qu'il aurait dû toujours être :

« Le festival de Loire et des rivières descendants en icelle ! »

 

Le colloque prit fin sous des tonnerres d'applaudissements tels qu'ils firent tomber du ciel cette eau qui manquait au décor. Tout le monde était ainsi fort satisfait à l'exception du service communication de la ville qui devait refaire toutes ses affiches.

À contre-courant.


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