La contre-partie

par C’est Nabum
lundi 18 mars 2024

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Pour un grand voyage.

 

Il advint qu'au pied d'un volcan endormi, une petite source jaillit en divers endroits, pensant couler des jours heureux pour aller se jeter dans la Méditerranée toute proche à vol d'oiseau. Le tout petit ru n'en demandait pas plus, une rapide descente en prenant le cap au sud, ferait son bonheur d'autant que non loin de là, le puissant Rhône lui tendait les bras, prêt à l'accueillir.

Or, il advint qu'un oiseau migrateur vint se désaltérer dans l'onde pure au cours d'un long périple le conduisant vers le nord de la France. Le ru et l'oiseau échangèrent quelques propos qui laissèrent un profond trouble dans l'esprit du petit ruisseau. Ainsi, dans la nature, certains ne se laissaient pas aller à la pente naturelle et entreprenaient de très longs voyages.

L'oiseau partit vers le Nord Est tandis que le ruisseau avec un fort esprit de contradiction se dit que son désir le plus cher était de rejoindre le soleil couchant après avoir remonté au nord, le plus longtemps possible. Si pour les oiseaux, le voyage ne pose guère de problème, ils sont libres comme l'air et vont où ils veulent, pour un cours d'eau, les lois de la physique et de la géologie lui imposent de se plier au relief pour se laisser porter au fil du courant.

Le petit ru n'entendait pas sombrer dans cette facilité. Il n'allait tout de même pas devenir le petit vassal de l’orgueilleux Rhône pour aller se jeter dans une mer qui ne faisait guère de vagues. Il avait l'esprit tumultueux en dépit de sa modestie initiale et envisageait un grand destin, une existence riche en passion et pourquoi pas la vie de château.

Comment s'y prendre sans l'aide de quiconque pour infléchir le cours des choses ? Il en était là de ses réflexions quand loin de là, la Terre fit surgir les Alpes de ses entrailles, provoquant un grand désordre dans tout le territoire. Le sol en fut bouleversé au point que notre ru fut détourné de sa pente initiale pour aller s'égarer dans le Nord.

Hélas pour lui, notre ru bien plus loin de chez lui alla se perdre dans une autre rivière, semant grande confusion dans une vaste plaine avant que d'achever sa route plus au nord encore dans un océan qui ne le satisfaisait pas en somme. Son changement de cap l'avait certes déboussolé sans pour autant lui faire tourner la tête vers ce soleil couchant qu'il appelait de ses vœux.

Le Grand Ru voulait gagner son autonomie sans pour autant faire une scène avec celle avec qui il partageait son lit. Il espérait qu'un nouveau bouleversement géologique lui tendrait la main pour lui donner un coup de pouce et une inflexion vers l'ouest. Il avait beau tourner les yeux vers le ciel, le grand créateur n'était plus disposé à changer ses plans. Contrairement à ses prévisions, le vieux bonhomme avait déjà eu de l'ouvrage bien plus que sept jours…

C'est son comparse et son alter ego néfaste qui sortit d'on ne sait où pour faire une proposition à ce Ru ambitieux. Il pouvait à son tour infléchir son destin, le faire basculer vers le soleil couchant en imitant son collègue maître de Gaïa. Mais lui en échange exigeait des contreparties. Il n'y eut pas de négociation, celle qui allait devenir la Loire signant un pacte avec le diable.

Lucifer fit sortir le Jura de terre pour provoquer un vaste mouvement tectonique. La Loire cessa de se perdre dans la Seine et traça une nouvelle vallée qui promettait d'être belle. L'Océan tel que nous le connaissons aujourd'hui n'était pas encore au bout d'un voyage qui mit bien des millénaires encore à se réaliser.

Mais le pli était pris et les belles promesses ne manquaient pas pour ce Ru devenu l'axe essentiel d'un pays à naître. Hélas, il y avait le pacte signé avec son bienfaiteur sur lequel il était désormais impossible de revenir. Le diable avait exigé que la Loire demeure à jamais une rivière instable au cours fluctuant, aux colères terribles, aux endormissements inquiétants et aux emportements dévastateurs.

Pire encore, il lui avait donné pour mission de faire chaque année moisson d'âmes par ces pièges, ses crues, ses tourbillons et sa terrible attirance maléfique, puisant ses âmes damnées parmi ceux qui la qualifient de capricieuse et entendent la mettre à leur merci. La Loire tint promesse et nous ne pouvons lui en tenir rigueur. Sans cela, jamais les ligériens n'eurent pu profiter de sa merveilleuse présence, tout en prenant bien garde de la respecter.

 


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