3 janvier 1521, le jour où l’Église s’est fissurée : l’excommunication de Martin Luther

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
jeudi 2 janvier 2025

Le 3 janvier 1521, un événement marquant s'est produit dans l'histoire de l'Église catholique : Martin Luther, moine augustin et théologien, a été excommunié par le pape Léon X. Cette décision, qui a eu des répercussions profondes sur la chrétienté et la société européenne, a non seulement scellé le destin de Luther, mais a également ouvert la voie à la Réforme protestante.

 

Luther contre Rome : les racines du conflit

Pour comprendre l'excommunication de Martin Luther, il est essentiel de revenir sur les origines de son conflit avec l'Église catholique. Le 31 octobre 1517, veille de Toussaint, Luther avait déjà fait sensation en affichant ses 95 thèses sur la porte de l'église de Wittenberg, dénonçant la vente des indulgences et critiquant la corruption au sein de l'Église. Cette pratique, consistant à accorder des réductions de peines après la mort en échange d'une somme d'argent, était très répandue à l'époque et suscitait de vives critiques, notamment sur le fait que le salut ne pouvait s'acheter. Ses idées, qui prônaient un retour aux Écritures et une foi personnelle, ont rapidement trouvé un écho favorable parmi une population de plus en plus désillusionnée par les abus de l'Église et notamment par le luxe du clergé qui contrastait avec la misère de nombreux fidèles.

 

 

Luther ne se contentait pas de critiquer des pratiques spécifiques ; il remettait en question l'autorité papale elle-même. En 1520, il publie plusieurs écrits, dont "À la noblesse chrétienne de la nation allemande" ("An den christlichen Adel deutscher Nation von des christlichen Standes Besserung") , où il appelle à une réforme radicale de l'Église. Il y défend l'idée que tous les chrétiens sont prêtres et que les laïcs ont le droit de réformer l'Église, remettant ainsi en cause le monopole du clergé sur l'interprétation des Écritures. Ces écrits, qui circulent largement grâce à l'imprimerie, provoquent une réaction violente de la part des autorités ecclésiastiques. Le pape Léon X, voyant son autorité menacée et craignant une division de l'Église occidentale, décide d'agir pour préserver l'unité de l'Église.

 


 

 

Le feu de la discorde : Luther brûle la bulle papale

Le 15 juin 1520, le pape Léon X publie la bulle papale "Exsurge Domine" ("Lève-toi, Seigneur"), qui condamne les idées de Luther et lui accorde un délai de 60 jours pour se rétracter. Cette bulle détaille 41 erreurs théologiques attribuées à Luther, notamment sa conception de la justification par la foi seule, qui remettait en cause le rôle des sacrements dans le salut. Loin de se rétracter, Luther voit dans cette bulle une attaque contre l'Évangile et refuse de se soumettre. Au lieu de se soumettre, il brûle publiquement la bulle en décembre de la même année, défiant ainsi l'autorité papale. Cet acte de défi, symbole de sa rupture définitive avec Rome, marque un tournant décisif dans sa lutte contre l'Église catholique.

 

 

Luther ne se contente pas de s'opposer à l'Église ; il commence à rassembler des partisans, notamment parmi les princes allemands qui voient dans ses idées une opportunité de renforcer leur pouvoir face à Rome. Les princes allemands, affaiblis par les guerres italiennes et désireux de réduire l'influence de Rome sur leurs États, sont attirés par les idées de Luther qui légitiment leur autorité. Ce soutien politique est crucial, car il permet à Luther de se protéger contre d'éventuelles représailles. Néanmoins, la tension entre Luther et le Saint-Siège ne cesse d'augmenter, menant inévitablement à l'excommunication.

 

L'excommunication de Luther : la fin d'une ère

Le 3 janvier 1521, la décision d'excommunier Luther est officiellement prononcée dans la bulle pontificale "Decet Romanum Pontificem" ("Il sied au Pontife Romain"). Cette excommunication est un acte de rupture qui va bien au-delà d'une simple sanction religieuse. Elle signifie que Luther est désormais considéré comme un hérétique, exclu de la communauté chrétienne et de tous les sacrements. Les conséquences de cette décision sont immédiates et dramatiques : Luther est mis au ban de du Saint-Empire romain germanique et ses écrits sont interdits. Son statut de hors-la-loi le place dans une position précaire, le forçant à se réfugier au château de Wartbourg pour échapper aux représailles.

 

 

L'excommunication de Luther ne se limite pas à sa personne. Elle marque également un schisme au sein de l'Église chrétienne, qui ne sera jamais complètement réparé. Les partisans de Luther, appelés les luthériens, commencent à se structurer en une communauté distincte, avec leurs propres doctrines et pratiques. Ce schisme est accéléré par la traduction de la Bible en langues vernaculaires, entreprise par Luther, qui permet une diffusion plus large de ses idées et favorise l'émergence de nouvelles communautés protestantes. Ce schisme est le prélude à une série de conflits religieux qui secoueront l'Europe pendant des siècles, notamment les guerres de religion qui opposeront catholiques et protestants. Ces conflits religieux auront des répercussions profondes sur la société, la politique et la culture européennes, marquant ainsi un tournant majeur dans l'histoire de l'Occident.

 

L'héritage de Luther : une nouvelle ère pour le christianisme

L'excommunication de Martin Luther a des répercussions qui vont bien au-delà des frontières de l'Allemagne. Elle catalyse un mouvement de réforme qui se propage à travers l'Europe, inspirant d'autres réformateurs tels que le Français Jean Calvin et le Suisse Ulrich Zwingli. Ces figures, tout en partageant certaines idées avec Luther, développent leurs propres interprétations de la foi chrétienne, contribuant ainsi à la diversité du protestantisme. Calvin, par exemple, met l'accent sur la souveraineté de Dieu et l'importance de l'Église comme institution, tandis que Zwingli insiste sur la nature symbolique de la Cène. Cette diversité théologique au sein du protestantisme mènera à de nombreuses controverses et à des divisions internes, notamment sur la question de l'Eucharistie.

 

 

Sur le plan politique, l'excommunication renforce la position des princes allemands qui soutiennent Luther. Ils voient en lui un moyen de s'affranchir de l'autorité papale et de renforcer leur propre pouvoir. La Paix d'Augsbourg en 1555 reconnaît officiellement la coexistence du luthéranisme et du catholicisme dans le Saint-Empire romain germanique, marquant une étape importante dans la consolidation du protestantisme en Europe. Ce soutien politique est crucial pour la survie du mouvement luthérien, qui bénéficie d'une protection contre les représailles de Rome. En conséquence, l'excommunication de Luther devient un catalyseur pour des changements sociaux et politiques majeurs en Europe. La Réforme protestante contribue à l'émergence des États-nations modernes, à la sécularisation de la société et à l'essor de l'humanisme.

 


 

L'héritage de Martin Luther et de son excommunication est immense. Il est considéré comme le père de la Réforme protestante, un mouvement qui a redéfini le paysage religieux de l'Europe. Ses idées sur la justification par la foi, l'autorité des Écritures et le sacerdoce universel continuent d'influencer plus de 900 millions de chrétiens à travers le monde. L'excommunication, loin d'être une fin en soi, a en réalité marqué le début d'une nouvelle ère dans l'histoire du christianisme. La Réforme protestante a également eu un impact durable sur la culture, l'éducation et la société en général, en encourageant la lecture de la Bible, le développement de l'éducation et la promotion de valeurs telles que l'individualisme et la liberté de conscience.

 

"Ce qui ne peut s'enseigner que par des coups et au prix de la violence ne portera que de mauvais fruits."

 

Martin Luther


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