De l’art d’avouer les violences scolaires en les niant
par Paul Villach
vendredi 13 octobre 2006
Les réactions indignées, enregistrées dans les établissements scolaires classés par le magazine Le Point, le 31 août dernier, parmi les plus violents de France, ont parfois, à l’insu de leurs auteurs, plus confirmé les faits qu’elles ne les ont réfutés. C’est entendu, ce classement est injuste, parce que les chefs d’établissement ou n’ont pas renseigné du tout le logiciel « Signa » prévu à cet effet, ou l’ont fait selon leur sensibilité à la violence, qui peut varier selon que celle-ci est quotidienne ou occasionnelle.
N’empêche ! Nul ne peut nier que ce thermomètre de la violence, si imparfait soit-il, a indiqué l’existence d’une température générale anormale. Que les mesures locales soient inégales et discutables, est-ce une raison pour le casser ? Fera-t-on ainsi baisser la température ? Des médias sont ainsi venus au secours des établissements stigmatisés pour leur donner avec raison une sorte de droit de réponse. Cette perche a été saisie avec plus ou moins de bonheur, si l’on en juge par cet article d’un magazine du sud de la France dont le nom importe peu et qui déplore d’entrée dans son titre « l’injustice faite au collège Papillon ». Mais cette fois, c’est la charité qui commande de taire le nom du collège. Sous réserve que la journaliste ait été exacte dans son article, « l’énervement », voire la colère, est le sentiment partagé par ces personnels éducatifs locaux et départementaux, à l’image d’une déléguée de parents qui clame péremptoirement que « ce classement, c’est un torchon ». Soit ! Mais quels arguments présentent-ils donc pour leur défense ?
1- La faute aux autres
Ils rejettent d’abord la responsabilité sur les autres.
- C’est d’abord celle du logiciel qui est trop imprécis dans ses catégories : ainsi, dans la catégorie « lancer de projectile », dit un professeur, on peut faire figurer « lancer de gomme » ou « de poignard ». Oui, mais pour commettre cette bourde, ne faut-il pas manquer de discernement ? Peut-on être à ce point dépourvu de bon sens dans un collège ?
- Ensuite c’est la faute aux autres établissements qui, en somme, ont triché : ils ont renseigné inégalement ou pas du tout le logiciel : un quart d’entre eux en Seine-Saint-Denis l’ont ignoré, selon Le Point. Une principale d’un autre collège, déléguée du syndicat des chefs d’établissement, a, elle, une explication lumineuse de cette négligence : vous comprenez, explique-t-elle sans rire, « plus vous intervenez sur le terrain pour gérer des problèmes de violence, et moins vous avez le temps de rester devant l’ordinateur à remplir ce logiciel ». D’où il ressort logiquement que plus le logiciel est rempli, moins il y a de violences dans l’établissement ! C’est bête comme chou ! Mais il fallait y penser !
2- La dénégation de la réalité
Toutes ces personnes compétentes tendent, en effet, à nier obstinément l’existence même d’une violence insoutenable dans leur établissement. Et elles le font en usant de trois procédés : la minimisation, la vaccine et le pavé de l’ours.
1- La minimisation systématique des faits est elle-même obtenue par quatre méthodes.
- D’abord, on révise les chiffres à la baisse : ce n’est pas « huit violences à caractère sexuel » qu’il y a eu, mais deux. De même, note, finaud, un professeur, « Si Le Point cite un coup de poignard en 2004, c’est qu’il n’en a pas trouvé d’autres ! » Mais parfois le compte n’y est pas : « L’an dernier, dit le principal, nous avons comptabilisé une main courante et quatre plaintes : une prof insultée par un élève, un vol de MP3 et un parent d’élève qui avait agressé verbalement le principal-adjoint. » Et la quatrième plainte ? Mystère et boule de gomme !
- On use ensuite du bon vieil euphémisme qui permet de configurer la réalité à sa convenance. Violent, le collège ? « Agité, mais pas dangereux » ! Violences à caractère sexuel ? Tout au plus des « mains aux fesses ». Des délinquants, les élèves ? « Une poignée d’élèves pénibles », guère plus ! Ces anges auraient-ils l’injure à la bouche ? Non, ce ne sont que des « déviances de langage », rectifie la conseillère principale d’éducation ou CPE.
- On pratique d’autre part la litote inversée. On sait que la litote consiste à dire moins pour faire comprendre plus (ce n’est pas fameux = c’est mauvais) ; la litote inversée, c’est l’inverse : on dit plus pour faire comprendre moins (C’est pas la mer à boire ! C’est pas la mort ! Y a pas le feu !) : ici, un agent qui « bosse depuis 35 ans » dans le collège, se vante de « (n’y avoir) perdu ni un bras ni une jambe ». On le voit, la seule normalité devient sujet d’émerveillement ! L’inspecteur d’académie renchérit en assurant qu’ « on n’est pas à Chicago ! (Il) a travaillé huit ans en Seine-Saint-Denis et il n’y a pas photo ». Ouf ! On respire. La CPE confirme : « On ne vient pas la peur au ventre comme dans mon précédent établissement à Vitry-sur-Seine ». Ah bon ! On a eu peur !
- Enfin on trouve toujours des circonstances atténuantes aux pires conduites : « Les armes mentionnées par Le Point, dédramatise le principal, sont : un couteau confisqué fermé dans un sac, un guidon de trottinette et un pointeur laser qu’un élève a dirigé sans le faire exprès vers mes yeux. » On est définitivement rassuré !
2- Le deuxième procédé en usage est la vaccine, ainsi appelée par Roland Barthes parce qu’à la façon du vaccin qui inocule des germes inactivés pour susciter des anticorps contre une maladie, elle consiste à concéder un peu de mal pour faire oublier le grand mal qui reste, et même pour faire admettre l’existence d’un grand bien. « Papillon n’est pas un long fleuve tranquille, mais on n’est pas à Chicago », observe l’inspecteur d’académie dont il est dit cruellement, mais sans doute involontairement, qu’ « il parle d’autant plus sincèrement qu’il part à la retraite dans un mois ». Sa sincérité aurait-elle donc varié au gré de sa carrière ? - De même, est-il reconnu, « les élèves sont agités mais pas au point de commettre des actes irréparables » - Et « la main aux fesses » ? « Un geste inadmissible mais qui n’a pas la gravité d’un viol », souligne le principal. Non, c’est vrai, ce ne sont que des préliminaires ! - « On a notre poignée d’élèves pénibles, concède un agent technique, mais la majorité d’entre eux sont adorables ». Il n’y a pas de quoi fouetter un chat ! Tout baigne !
3- Pour finir, il y a le pavé de l’ours - du nom du pavé avec lequel un ours de La Fontaine voulut chasser la mouche sur le nez de son ami jardinier endormi. Que croyez-vous qu’il arrivât ? Ici, c’est la même déléguée de parents, experte en « torchon », qui tranche : « Ma fille a fait sa scolarité à Papillon, avec toujours les félicitations. Cet été, je lui ai proposé de déménager sur la côte d’Azur. Elle m’a dit je veux rester à Papillon. Si tu déménages, je ne travaillerai pas. » Voilà qui est magnifique pour montrer l’autorité qu’une fille peut exercer sur sa mère démissionnaire, mais qui l’est peut-être un peu moins pour illustrer la qualité de l’éducation donnée au collège Papillon.
Ce qui frappe donc, c’est une mobilisation pathétique de tous les procédés d’expression pour nier la réalité d’une violence qui, pourtant, transpire par toutes les pores de ces dénégations obstinées. Tout juste convient-on, qu’ « on manque de moyens pour l’éducation à la citoyenneté » au collège Papillon. C’est même ce manque de moyens qui a poussé l’administration, à « tout (faire) remonter » pour « en obtenir davantage ». Donc toute cette collecte de violences était en fait une ruse ! Seulement, on comprend mal ! S’il n’y a pas de problèmes de violences, pourquoi donc demander davantage de moyens ? On le voit, les malheureux ne peuvent mieux confirmer ce qu’ils tentent de nier.
3- Une impossible remise en cause personnelle et professionnelle
On cherche vainement une remise en cause personnelle et professionnelle à laquelle chacun devrait pouvoir se résoudre. On juge l’arbre à ses fruits. Mais voit-on des agents, des professeurs, une CPE avec à leur tête un principal et un inspecteur d’académie, reconnaître leur part de responsabilité dans ce désastre, fût-ce une toute petite part ? Non, c’est impossible parce qu’insoutenable : ils préfèrent nier mordicus la réalité plutôt que de se reconnaître dans l’image hideuse d’eux-mêmes qu’elle leur renvoie.
On connaît la parodie de Montesquieu dans « De l’esclavage des Nègres » (L’esprit des lois, 1748). « Il est impossible que nous supposions que ces gens-là - il parle des noirs - soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. » Transposée, la même hypothèse autovalidante donnerait ceci : il est impossible, n’est-ce pas, que nous qui sommes des personnes compétentes, puissions obtenir de si mauvais résultats, parce que, si ces mauvais résultats étaient avérés, nous devrions commencer par nous demander si nous sommes vraiment des personnes compétentes ! Paul VILLACH