Des poisons aux flammes : la fin tragique de la Voisin, sorcière, empoisonneuse et faiseuse d’anges
par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
lundi 24 février 2025
Derrière le faste de Versailles, des femmes souffrent en silence. Catherine Deshayes, épouse Monvoisin, dite la Voisin, leur offre une solution interdite, au péril de sa vie. Mais l'affaire des poisons éclate, et la voilà accusée de crimes bien plus grands encore. Sorcière, empoisonneuse, certes, mais aussi, et peut-être surtout, "faiseuse d'anges".
L'arrestation : un piège se referme
Le 12 mars 1679, le cours de la vie de Catherine Deshayes bascule. Ce jour-là, alors qu'elle sort de l'église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle où elle vient d'entendre la messe, elle est appréhendée par les hommes de François Desgrez, un lieutenant de police agissant sur ordre de Nicolas de la Reynie, le lieutenant général de police de Paris. L'arrestation fait suite à une dénonciation, une parmi tant d'autres dans ce climat de suspicion généralisée. Mais celle-ci est différente, elle émane de Marie Bosse, une autre "devineresse", rivale de la Voisin, également impliquée dans l'affaire des poisons.
Ironie du sort, Catherine Deshayes se sentait pourtant en sécurité. Elle avait même envisagé de quitter Paris, pressentant peut-être le danger. Mais la perspective d'une rencontre avec Madame de Montespan, la favorite du roi, l'avait retenue. Cette rencontre, qui n'aura finalement jamais lieu, scelle son destin. Ce n'est pas n'importe qui qui arrête la Voisin. François Desgrez n'est pas un policier ordinaire. C'est un homme de confiance de La Reynie, un enquêteur expérimenté qui a déjà fait ses preuves dans d'autres affaires délicates. Son professionnalisme et sa détermination seront des atouts majeurs pour l'accusation.
L'arrestation est un coup de tonnerre. La Voisin est une figure connue à Paris. Sa réputation, sulfureuse, la précède. On la dit capable de tout, des prédictions les plus banales aux rituels les plus sombres. Son nom circule dans les salons de la noblesse, chuchoté avec crainte et fascination. Son incarcération marque le début d'une descente aux enfers. Elle est emmenée au château de Vincennes, une forteresse redoutable qui sert alors de prison d'État. Les murs épais et les barreaux glacés de sa cellule contrastent avec le luxe et l'effervescence de la cour qu'elle a si souvent côtoyée.
La Chambre ardente : un tribunal d'exception
Pour juger la Voisin et les autres accusés de l'affaire des poisons, Louis XIV crée une juridiction spéciale : la Chambre ardente. Ce nom, évocateur des flammes de l'enfer, témoigne de la gravité des crimes reprochés et de la volonté royale de faire un exemple. Cette cour extraordinaire, présidée par le chancelier de France, Michel Le Tellier, est composée de conseillers d'État et de maîtres des requêtes triés sur le volet.
La Chambre ardente n'est pas soumise aux règles habituelles de la justice. Les procédures sont accélérées, les droits de la défense limités. L'objectif est d'obtenir des aveux, coûte que coûte. La torture, appelée "la question", est utilisée de manière systématique. L'utilisation de la question est une pratique courante à l'époque, mais elle est particulièrement brutale dans le cadre de l'affaire des poisons. Les accusés sont soumis à des souffrances intenses, physiques et psychologiques, pour les faire parler.
La création de la Chambre ardente est une décision politique. Louis XIV veut reprendre le contrôle de la situation et étouffer le scandale. Il craint que l'affaire n'éclabousse la cour et n'affaiblisse son autorité. La Chambre ardente est un instrument de la raison d'État, un moyen de rétablir l'ordre et de faire taire les rumeurs. L'instruction est menée dans le plus grand secret. Les interrogatoires sont menés à huis clos, loin des regards indiscrets. Les documents de l'enquête sont soigneusement conservés, certains seront même détruits sur ordre du roi.
Les accusations : un tissu de rumeurs et de dénonciations
Les charges retenues contre la Voisin sont accablantes. Elle est accusée d'empoisonnement, de sorcellerie, de sacrilège et, pire encore, de complot contre la personne du roi. Un cocktail explosif qui la conduit tout droit à l'échafaud. Les témoignages à charge s'accumulent, souvent contradictoires, parfois obtenus sous la torture. Des noms prestigieux sont cités, des membres de la noblesse, des proches du roi. L'ombre du doute plane sur la cour.
L'accusation d'empoisonnement repose sur des témoignages de clients et de complices présumés. La Voisin aurait fourni des poudres et des potions à des personnes souhaitant se débarrasser d'un mari gênant, d'une rivale encombrante ou d'un héritier trop pressé. La liste des victimes potentielles est longue et impressionnante.
L'accusation de sorcellerie s'appuie sur des descriptions de messes noires, des rituels sataniques où la Voisin aurait officié. Des témoins affirment avoir vu des sacrifices d'animaux, voire d'enfants. Ces accusations, difficiles à prouver, contribuent à créer une atmosphère de terreur et de mystère autour de l'accusée.
La charge la plus grave est celle de tentative de régicide. La Voisin aurait été impliquée dans un complot visant à empoisonner Louis XIV. Des rumeurs circulent sur des objets ensorcelés, des talismans maléfiques destinés à atteindre le roi. Cette accusation, bien que jamais formellement prouvée, scelle le sort de la Voisin. Attenter à la vie du roi, c'est s'attaquer à l'ordre divin, à la stabilité du royaume. C'est un crime impardonnable. La Voisin clame son innocence, mais sa voix se perd dans le tumulte de l'accusation. Elle nie avoir participé à un complot contre le roi, affirmant qu'elle n'a jamais eu l'intention de nuire à Louis XIV. Mais ses dénégations ne pèsent pas lourd face à la machine judiciaire lancée contre elle.
Au-delà des accusations grandioses de complot et de magie noire, une autre charge, plus terre-à-terre mais tout aussi grave aux yeux de la loi, pesait sur la Voisin : celle de "faiseuse d'anges". À une époque où l'avortement était strictement interdit et considéré comme un crime religieux et moral, la Voisin pratiquait clandestinement des interruptions de grossesse. Cette activité, bien que cachée, était connue et lui avait valu une clientèle variée, allant des femmes du peuple aux dames de la noblesse. Les enquêteurs ont retrouvé des restes de fœtus enterrés dans le jardin de la Voisin, preuve matérielle accablante de cette pratique illégale. Ironiquement, ce sont peut-être ces avortements, plus que les prétendues messes noires, qui ont fourni les preuves les plus concrètes de ses activités criminelles.
La question : la douleur comme arme de justice
Face aux dénégations de la Voisin, la Chambre ardente décide de recourir à la question. Le 16 mai 1679, elle est soumise à la question ordinaire, puis à la question extraordinaire. Les bourreaux utilisent des brodequins, des instruments de torture qui écrasent les jambes, et des coins de bois enfoncés entre les genoux. La douleur est atroce, insoutenable.
Sous la torture, la Voisin craque, mais partiellement. Elle admet avoir vendu des poisons, avoir participé à des messes noires, mais elle continue de nier toute implication dans un complot contre le roi. Ses aveux, extorqués sous la contrainte, sont-ils sincères ? Ou bien cherche-t-elle simplement à abréger ses souffrances ? La question reste posée. La scène de la torture est un spectacle effroyable. La Voisin, autrefois puissante et crainte, est désormais une femme brisée, hurlant de douleur. Les bourreaux, impassibles, exécutent les ordres. Les membres de la Chambre ardente assistent à la scène, certains avec froideur, d'autres peut-être avec un malaise secret.
Malgré la violence de la torture, la Voisin conserve une certaine force de caractère. Elle refuse de livrer certains noms, protégeant peut-être des clients influents. Elle se montre plus courageuse que d'autres accusés, qui, sous la torture, ont dénoncé des innocents pour sauver leur peau. Sa résistance force le respect, même de ses bourreaux. La robustesse de la Voisin la surprend elle-même, au point qu'elle dira d'elle : "Bon Dieu, que cette femme est forte, et qu'elle a le diable au corps !".
Le verdict : une condamnation inévitable
Après des mois d'interrogatoires et de délibérations, le verdict tombe, implacable. Le 19 février 1680, Catherine Deshayes, dite la Voisin, est reconnue coupable des crimes qui lui sont reprochés. La sentence est sans appel : elle est condamnée à être brûlée vive en place de Grève, après avoir subi l'amende honorable devant Notre-Dame de Paris. La condamnation est conforme aux lois de l'époque. L'empoisonnement et la sorcellerie sont considérés comme des crimes particulièrement graves, passibles de la peine de mort. Le châtiment est public, il doit servir d'exemple et dissuader d'éventuels imitateurs.
La Voisin reçoit la nouvelle avec un mélange de résignation et de défi. Elle sait que son sort est scellé, mais elle refuse de se laisser abattre. Elle demande à être confessée, et se prépare à affronter la mort avec une certaine dignité. Elle sait que l'histoire retiendra son nom. La nouvelle de la condamnation se répand comme une traînée de poudre dans Paris. La population est partagée entre la peur et la fascination. Certains se réjouissent de la mort de la "sorcière", d'autres s'interrogent sur la réalité des accusations portées contre elle.
Le sort de la Voisin est un avertissement pour tous ceux qui seraient tentés de défier l'autorité royale. La Chambre ardente a frappé fort, elle a montré sa détermination à éradiquer le mal, réel ou supposé. La condamnation est aussi un message adressé à la cour : nul n'est à l'abri de la justice du roi, même les plus puissants.
L'exécution : un spectacle macabre et populaire
Le 22 février 1680, le jour tant redouté arrive. La Voisin, vêtue d'une simple chemise blanche, est conduite sur une charrette de l'infamie à travers les rues de Paris. La foule se presse pour assister au spectacle. Des cris de haine, des insultes, mais aussi des regards de pitié se croisent. C'est l'abbé Edme Pirot qui la confesse pendant le trajet jusqu'à la place de Grève. Arrivée devant la cathédrale Notre-Dame, elle doit faire amende honorable, c'est-à-dire reconnaître publiquement ses crimes et demander pardon à Dieu, au roi et à la justice. Refusant d'abord de descendre de la charrette, elle est finalement contrainte de le faire par la force.
Sur la place de Grève, le bûcher est dressé. Le bourreau, Simon Levasseur, s'affaire. La Voisin, affaiblie par la torture et le jeûne, a du mal à se tenir debout. Elle est attachée au poteau, les fagots sont entassés autour d'elle. Avant que le feu ne soit allumé, elle a un dernier sursaut de rébellion. Elle repousse le prêtre qui lui tend un crucifix, et écarte la paille du bûcher.
Le feu est mis, les flammes montent rapidement, enveloppant le corps de la Voisin. Les cris de la condamnée se mêlent aux crépitements du bois. L'odeur de chair brûlée envahit la place. La foule, silencieuse, regarde le spectacle avec horreur et fascination. L'exécution de la Voisin marque la fin d'un chapitre sombre de l'histoire de France. Mais elle ne met pas un terme à l'affaire des poisons. D'autres procès suivront, d'autres condamnations seront prononcées. Le scandale continuera de hanter la cour de Louis XIV pendant des années.
Les cendres de la Voisin, après l'exécution, ont été dispersées au vent, fin misérable pour une femme dont le nom est désormais associé à l'un des plus grands scandales de l'histoire de France.