Encadrement militaire
par Marsiho
vendredi 9 juin 2006
A la suite des annonces de Ségolène Royal, j’aimerais narrer comment je suis sorti d’un chemin qui m’emmenait directement vers les tribunaux et la zonzon pour commencer à trouver un sens à ma vie (pompeux, mais juste).
Il se trouve que jusqu’à l’âge de vingt ans, n’ayant pas de boulot et l’école m’ayant poussé vers la sortie dès mes seize ans pour cause de mauvais résultats (mais surtout de grande gueule et d’esprit frondeur), je dois avouer que je traînais souvent les soirs, ou plutôt les nuits, faisant quelques voitures et petit à petit commençant à vider quelques maisons. Je n’en suis pas fier, je ne raconte pas cela dans ce sens, mais pour expliquer quel était mon quotidien à une époque. J’ai bien connu la spirale de la délinquance et pourrais expliquer comment on se laisse aller à la facilité. Mais là n’est pas le propos. Le cliché était donc celui-là à cette époque. Mon seul centre d’équilibre, la MJC, avec laquelle je venais de vivre une grande expérience collective (ma première) en travaillant bénévolement sur un festival (Madine 85). Je me souviens qu’il y avait Paul Personne en première partie et Talk-Talk en vedette. Bref, je m’égare... Le travail préparatoire était énorme, et des appelés du contingent étaient venus nous aider, en provenance du 8e RA de Commercy. J’avais bien sympathisé avec eux et nous nous quittâmes amis.
A peine rentré chez mes parents, un courrier m’attendait (j’en recevais peu à l’époque) : ma feuille d’incorporation. Et devinez où j’allais avoir le plaisir de crapahuter dans la boue ? Au 8e RA de Commercy ! Le hasard est parfois étrange. J’arrivai donc dans une caserne comme bleu-bitte, mais y connaissant des libérables ! Les initiés comprendront. Et dans la foulée, je découvrais que je n’allais pas suivre les collègues avec qui je m’étais trouvé rapidement des affinités, mais que j’allais intégrer le PEG (peloton d’élèves gradés). J’étais très surpris, d’autant que c’étaient mes tests des trois jours qui avaient motivé ce choix, avec la note de 19/20. C’était bien la première fois que j’avais une telle note. J’avais souvenir d’un ancien 20/20 en musique, mais sinon, j’étais plutôt abonné aux dessous de la moyenne, comme les bernacles restent toujours accrochées à la coque du navire. Je me retrouvai donc dans un couloir, au milieu d’une file constituée de jeunes un peu plus vieux que moi et n’ayant pas vraiment ni le même langage que moi, ni les mêmes attitudes, car venus d’un milieu étudiant et ayant pu faire reculer la date de leur appel. Des tronches, à mes yeux... Je n’ai pas cessé de me dire : "Pas possible, y’a une erreur, on va venir me chercher et me renvoyer avec les autres à coups de pied dans le cul". Cette impression me restera d’ailleurs longtemps gravée, au fur et à mesure que ma vie changera et que je prendrai des responsabilités.
Le lieutenant C, crâne rasé, poignard de commando à moitié sorti de sa gaine sur le bureau, était un jeune officier dont je ne saurais vraiment pas indiquer l’âge à l’époque. La trentaine sûrement. Il me fit un speach dont je n’ai plus vraiment souvenir aujourd’hui, mais dont la teneur était le respect de l’uniforme et les valeurs militaires. J’avoue que cela me passait au-dessus de la tête. Je voyais simplement, m’étant renseigné entre-temps, que j’allais bénéficier d’une meilleure solde et avoir, après deux mois de classe, mes galons de brigadier ! J’y croyais à peine. Les classes justement furent assez dures, avec stage commando à Bitche et une semaine de terrain, à dormir dans un vieux fort quasiment à l’air libre par l’hiver le plus rigoureux que j’aie connu à l’époque. Le record de froid cet hiver-là fut de -18°. La vie à la dure, quoi. Mine de rien, cela soude les appelés et forge le caractère, d’autant que les épreuves physiques étaient basées sur l’esprit de camaraderie et la solidarité. Pas de chacun pour soi. Cela aussi était nouveau pour moi.
Par hasard ou parfois par provoc’, j’avais toujours des treillis trop grands ou trop petits. Toujours l’air d’un clown, et je faisais mon possible pour faire le con et tenter de garder mon identité (elle valait ce qu’elle valait, mais je n’avais que celle-là). Ma chambre devint vite Macao, avec jeux et trafic de clopes et autres besoins de la vie militaire. Mes amitiés chez les libérables me facilitant la tâche. Notre officier, proche de ses élèves, ne cessait de me faire la leçon :"Vous vous habillez comme un clown, vous ne cessez de faire le clown, mais quand comprendrez-vous que vous n’en êtes pas un ?"
J’ai eu droit à ce laïus tout le temps de mes deux mois de classe. Cela m’énervait bien sûr, comme quasiment tout le reste, n’étant pas formaté pour la vie militaire. Et puis j’avais tellement d’écart, culturellement parlant, avec mes compagnons de peloton que je ne savais plus me réfugier que dans la dérision ou l’agressivité (cela aussi a continué longtemps). Ce lieutenant a eu l’intelligence de voir autre chose en moi que je ne devinais même pas. Il m’a poussé dans le bon sens, profitant de ma passion d’alors pour l’univers radio amateur : je me suis retrouvé pupitreur informatique sur un système de tir d’artillerie. Documents confidentiels, codes, matériel pointu, responsabilités... Je n’ai pas vraiment brillé pour autant sur ce poste, mais le pas était franchi, quelqu’un m’avait fait confiance, me donnant une chance. C’était énorme.
Je me suis retrouvé en batterie, une fois mes galons obtenus. Suis même passé brigadier/chef et avec ce même lieutenant, j’aurais pu passer sergent (vive le PESO), mais l’ambiance s’était dégradée lors du passage sous les ordres d’un capitaine dans la pure veine caricaturale du militaire con et obtus. J’ai déserté. Deux fois. M’étant rendu de moi-même dans une enceinte militaire, j’ai évité la taule et suis sorti du pavillon psychiatrique avec le label P4.
Quoi qu’il en soit, c’est bien l’armée et cet encadrement militaire qui m’ont permis de changer. Pas seulement cet officier qui a joué le rôle d’éducateur, mais bel et bien cet environnement, avec ses règles à respecter et souvent de bons moments. J’y ai connu un brassage social qui m’a ouvert les yeux sur nombre de choses et moi-même, j’ai enrichi, je pense, la vie de deux ou trois personnes. J’ai même eu l’occasion de sortir de là avec un Certificat de formation générale, ayant suivi des cours scolaires deux fois par semaine (encore une fois l’influence de ce lieutenant). L’école avait tout raté avec moi, et les réprimandes perpétuelles ainsi que les jugements à l’emporte-pièce m’étaient bien rentrés dans le crâne, et j’avais une image de moi extrêmement négative. Répétez à un gamin ou à un jeune adulte, plusieurs fois par mois, qu’il est un nul, il finira par le croire et se conduire en conséquence.
L’été qui suivit, j’eus l’occasion de voir mon bataillon défiler sur les Champs-Elysées, étant rentré depuis peu d’une mission auprès des pompiers du sud pour les aider à lutter contre les incendies. J’ai crâné en les voyant sur l’écran, mais j’avoue qu’au fond de moi, je regrettais d’avoir raté cela. Se rendre utile et en tirer une reconnaissance, n’est-ce pas utile pour aider un homme à se construire ?
Voilà, c’était juste un témoignage, chacun en tirera l’enseignement qu’il voudra. Quant à moi, je suis aujourd’hui au service des autres, dans une sorte de renvoi d’ascenseur particulièrement bénéfique. La vie est faite de rencontres, et je ne regrette pas celle-là.