Enseigner les génocides, un devoir de citoyenneté ?
par Gabriel Maurisson
lundi 28 août 2006
L’histoire des génocides est aujourd’hui presque totalement absente de l’enseignement en France. Ainsi la destruction des juifs d’Europe (dans le cadre plus large de la deuxième guerre mondiale évidemment) est placée, dans les nouveaux programmes d’histoire, à la fin de la première. Sous couvert de la longueur du programme cela permet de ne pas abordé ce phénomène.
Même en tant qu’étudiant en histoire à la Sorbonne (Paris 1), je n’ai pu assister à aucun cours concernant la destruction des juifs d’Europe et encore moins les nombreux autres génocides : Rwanda, Cambodge, Arméniens... Le sommet de cet état de fait fût en Licence où dans un cours parlant des phénomènes migratoires dans les mondes juifs du XX siècles, des heures de cours furent consacrées au pogrom russe à la fin du XIX siècle mais pas une seule heure ne fut consacré à la Shoa !
Pourtant, dans le même temps, la mémoire ce des événements obsèdent nos sociétés (1). Les dangers d’une histoire expliquée à partir simplement des cérémonies mémorielles sont particulièrement forts. Je ne m’arrêterai que sur un exemple : il est souvent avancé dans ces cérémonies que 5,5 millions de juifs sont morts au cours de leurs transferts ou dans les camps de concentration/extermination. Cela est parfaitement faux, c’est oublier que 1,5 à 2 millions des victimes sont mortes dans les opérations mobiles de tuerie sur le front est. Ces déformations font à la fois le jeu des négationnistes mais plus grave encore elles empêchent de comprendre la manière dont c’est déroulé le phénomène. Les enseignants d’histoire ne peuvent laisser un tel état de fait demeurer.
Le génocide : un phénomène à décrypter
Aucun événement historique n’est plus à même que les génocide de laisser place à l’émotion sur la raison. Que ce soit pour les images (difficile de regarder pour la première fois nuit et brouillard sans avoir des frissons d’horreur) ou les textes (2). L’attitude commune face à une telle horreur est bien connue : les hommes qui on agit de la sorte sont des monstres absolus. Malheureusement cette protection psychologique est bien loin de la réalité. Les génocides sont perpétrés par des hommes ordinaires. Pire, ils s’inscrivent dans une pratique quotidienne qui parce qu’elle devient un quotidien est supportable. Au final, se cacher derrière l’horreur ne fait que reproduire les protections psychologiques que dressaient les acteurs du génocide : ce n’est pas moi ou quelqu’un de semblable qui a fait cela. Eux se cachaient derrière leurs supérieurs et la division des taches nous nous cachons derrière la déshumanisation des acteurs des génocides.
Le génocide : quelle méthode d’enseignement ?
Une des grandes « modes » consistent actuellement à emmener les adolescents en voyage scolaire à Auschwitz. Là au plus près de l’horreur, ils sont censés pouvoir réaliser l’événement. L’affaire des mauvaises blagues proférées par un élève avait fait grand bruit en France (3). Cette affaire est la démonstration même que les élèves n’avaient ni réalisé ni compris où ils étaient. Il ne s’agit pas du méthode d’enseignement d’histoire mais une méthode de diffusion de la mémoire. Comprendre Auschwitz ce n’est pas voir uniquement le camps mais aussi ce qui ce cache derrière. Comprendre Auschwitz c’est surtout réussir à pratiquer une analyse rationnelle là ou justement elle est le plus difficile à mettre en œuvre. Le génocide doit donc être traité comme un événement historique à part entière. Montrer l’horreur ne doit pas servir à émouvoir mais enclencher une réflexion sur le comment et le pourquoi. Le génocide est un concept qui doit être étudié en soit. La Shoah n’est pas le seul événement définissant ce concept, pourquoi ne pas pratiquer une analyse comparative des génocides ? La compréhension devrait en être facilitée. La diversité des comportements et des réactions selon les génocides est essentielle. Quelles similitudes entre la destruction des juifs d’Europe qui a voulu être dissimulée et le génocide des Tutsi par les Hutu au grand jour ? Il est donc indispensable qu’une partie d’un programme de terminale y soit consacré, que le sujet soit envisageable au baccalauréat, que notre société accepte ce que peut perpétrer l’être humain.
(1) http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=9680
(2) "Une saison de machette" de Jean Hatzfeld
(3) Ainsi un élève du lycée Jean-Jaurès de Montreuil a été exclu définitivement pour avoir dit "ils ont bien fait de brûler"