Face à la violence scolaire, de la compassion à la justice

par Paul Villach
lundi 4 septembre 2006

La publication par l’hebdomadaire Le Point (n° du 31 août 2006) d’un classement des établissements scolaires en fonction du nombre d’ actes de violence recensés en leur sein suscite, on le comprend, un peu de nervosité dans les milieux de l’Éducation nationale, pour diverses raisons, comme si ce pan de voile soulevé découvrait quelques parties honteuses. Ce n’est pas faux.

1- La loi du silence.

C’est, en effet, la première fois qu’il est fait état dans la presse d’un recensement partiel des agressions qui font l’ordinaire des établissements depuis des années. Le sujet était à ce point tabou, apprend-on, qu’il a fallu aux journalistes du Point affronter le ministère de l’Éducation nationale devant le Tribunal administratif pour qu’il finisse par lâcher les documents qu’il gardait secrets par devers lui ou qu’il diffusait partialement au gré de ses intérêts.

2- Une « psycho-pédagogisation outrancière ».

Il faut avoir à l’esprit que les années 1980 et 1990 avaient « psycho-pédagogisé » à outrance les actes violents : le concept d’ « élève en difficulté » - a priori bien choisi pour celui qui peine à assimiler le savoir diffusé malgré ses efforts et en raison d’une origine culturelle déficiente - a été, par exemple, étendu à tort à l’élève coutumier des transgressions, depuis le refus d’obtempérer jusqu’à l’agression physique ouverte, en passant par les injures et les menaces qui empoisonnent la vie de tous dans un établissement scolaire. Une agression, c’est bien connu, est un appel au secours !

3- Le conseil de discipline devenu tabou.

On en était logiquement venu à rejeter les procédures graduées applicables en la matière, celle des diverses sanctions et celle, pour finir, du conseil de discipline.
- Celui-ci était littéralement tombé en désuétude et remplacé par des réunions baptisées cliniquement « conseils de remédiation » ou anonymement « commissions de vie scolaire ». Ces instances examinaient, la larme à l’œil bienveillant, sans prendre de sanction, les exactions du « petit fautif » en lui trouvant souvent bien des excuses. Car il existait entre professeurs et administration une véritable surenchère dans la compassion dévoyée. Un conseil de discipline était, en effet, l’aveu de l’échec de l’équipe éducative, qui n’avait pu transformer le loup dans la bergerie en agneau de lait bêlant. C’était parfois amusant de voir comment le prof le plus « bordellisé » par « l’élève en difficulté », dont on examinait le cas dans ce genre de réunion, s’évertuait à se montrer le plus compréhensif devant ses collègues et son chef. C’était, il est vrai, le seul moyen qui restait à ce pauvre professeur humilié pour hisser au-dessus de tous le visage irénique du meilleur pédagogue de l’établissement.
- D’autre part, un conseil de discipline avait l’inconvénient d’attirer obligatoirement l’attention de l’extérieur sur une vie interne de l’établissement qui passait pour agitée, alors que le maître mot est : « Surtout pas de vague ! ». Le rectorat en était forcément averti. Le chef d’établissement craignait de passer pour un incapable et de voir surtout sa notation administrative en souffrir. La réputation de l’établissement pouvait elle-même en pâtir auprès des parents. Mieux valait donc étouffer, minimiser, falsifier la réalité, fermer les yeux.

4- La violence comme mode éventuel d’administration. Mais cette violence quasi quotidienne était parfois la bienvenue dans la stratégie de certains chefs d’établissement sans principe pour contrer des professeurs jugés ennemis parce qu’ils ne pouvaient se satisfaire de cette destruction lente mais sûre du service public d’éducation. À la façon de la police qui sait qu’elle n’éradiquera pas la délinquance et qu’il vaut mieux s’en servir pour régner, ces chefs d’établissement utilisaient ces « petites frappes » comme indicateurs et provocateurs qui avaient leurs entrées dans leur bureau. Leurs transgressions (absentéisme non justifié et revendiqué - refus répétés et affichés de respecter les règles de la classe - injures - menaces) n’étaient pas sanctionnées. Il fallait au professeur beaucoup de courage : car s’en prendre au voyou revenait à devoir affronter aussi son protecteur, un chef d’établissement qui jouait de tous les registres : « Vous n’avez pas le droit de refuser cet élève en cours ! » était la formule rituelle. Il fallait être costaud pour répliquer : « En matière des Droits de la personne, j’ai tous les droits ! » Ce pouvait être une guérilla quotidienne.
- Le comble est que le professeur ne pouvait même pas compter sur ses collègues qui y trouvaient l’occasion - il y en a si peu dans le métier - de se valoriser et de montrer leur expertise supérieure en sussurant avec une onction cardinalice : « Moi, je n’ai pas de problèmes avec cet élève ! », même s’il était notoire que leur cours fût perturbé par « l’élève en difficulté ».

5- L’appel à la responsabilité d’un chef d’établissement.

Certains chefs d’établissement honnêtes, toutefois, n’étaient pas dupes de ce jeu de dupes. L’un d’eux, par exemple, en mai 2006, a cassé le morceau dans une note de service à ses « collègues ». En ayant sans doute assez d’entendre les profs gémir sans jamais faire de rapport sur les transgressions dont ils se plaignaient, il a rappelé que trois conseils de discipline venaient d’exclure trois élèves pour des faits graves, agressions en tout genre ou absentéisme, et qu’il était prêt à recommencer pour garantir la sérénité du travail de tous. Il invitait donc au respect des règles, qui en était la condition, et appelait chacun à prendre ses responsabilités à la place qu’il occupait, comme il assurait qu’il prenait celles qui lui incombait. Mais, à bien y regarder, c’était ni plus ni moins à une vraie conversion que ce chef d’établissement appelait les professeurs, puisqu’ils étaient invités à passer de la compassion dévoyée... à la justice. Chamfort disait déjà au XVIIIe siècle : « Il faut être juste avant d’être généreux, comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles. »

6- Une longue marche ?

Cette conversion est-elle possible ? Le tableau publié par Le Point montre qu’elle est entamée mais que beaucoup y répugnent. Un habitant de Vergèze (dans le Gard) peut être surpris de découvrir que le collège de son petit village rural, où sourdent les bulles de la source Périer, trône sur le podium des trois établissements les plus violents de France. On se doute bien, à ce compte, que tous les chefs d’établissement ne jouent pas le jeu dans le renseignement du logiciel ministériel Signa.
- Il y a bien sûr ceux qui préfèrent nier ou minimiser les agressions pour n’avoir pas à prendre de décision. C’est une règle atavique de l’administration.
- Chaque chef d’établissement a, d’autre part, le souci de la réputation de son établissement et donc de la sienne, puisque la seconde dépend de la première.
- Mais d’autres chefs d’établissement ne sont pas forcément malhonnêtes : quand l’ordinaire est fait d’injures ou d’agressions physiques dites mineures, on conçoit qu’on finit par n’y être plus sensible : « Même pas mal ! », sourit celui sur qui pleuvent les coups et qui y est habitué. L’âme, comme la main faite au manche qu’elle manie, devient calleuse. Il faut une tentative de meurtre, comme à Étampes, pour s’émouvoir. Et encore ! L’enquête ministérielle a exonéré l’administration de toute faute caractérisée.
- Il est difficile, enfin, de passer de « la psycho-pédagogisation à outrance » à une politique de respect des droits de la personne qui implique la sanction de leurs violations. Le ministre avait promis, après Étampes en janvier 2006, une circulaire pour dicter la conduite à tenir face aux agressions, alors qu’il lui suffisait de s’engager lui-même avec son administration à respecter l’article 11 de la loi n° 83634 du 13 juillet 1983. Cette loi ancienne lui crée, en effet, un devoir impératif de protection du fonctionnaire attaqué dans l’exercice de ses fonctions, mais il est le premier avec ses recteurs à la violer avec constance et à refuser la protection statutaire au professeur agressé.

On voit que les « petites frappes » ont encore de beaux jours devant elles. Car c’est bien d’une conversion qu’il s’agit, pour que les règles, dans un établissement scolaire, seulement les règles républicaines admises par tous, remplissent leur fonction de pacification des relations sociales. La compassion, elle, varie au gré des pulsions et des stratégies de chacun quand le Droit s’impose au contraire à tous. Et qu’on ne vienne pas, à cette occasion, parler d’utopie parce qu’au sommet de l’État l’exemple n’est pas donné ! Qu’on convienne plutôt qu’il en est ainsi parce que ces élus sont à l’image de la majorité qui les a choisis ? Paul VILLACH


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